Sous les feux de la rampe pour quelques jours, des films du monde entier tentent leur palme au festival de Cannes. Ils devront ensuite se confronter au public dans les salles obscures, à condition d’y être diffusés correctement. C’est tout l’enjeu des cinémas d’art et d’essai de promouvoir cette diversité culturelle tout au long de l’année. En Val-de-Marne, 16 établissements, le plus souvent municipaux, se démènent pour réussir la rencontre entre le public et les oeuvres. Coup de projecteur.
Si certains films sont projetés d’emblée dans près d’un millier de salles, soit la moitié des établissements du pays, d’autres doivent se contenter de quelques dizaines d’écrans et disparaissent des radars à peine une semaine après leur sortie. «On estime qu’en dessous de quatre séances, le film n’existe plus», souligne Jean-Jacques Ruttner, directeur du cinéma Le Luxy à Ivry-sur-Seine. «C’est à nous de trouver l’équilibre global qui permet aux films de pouvoir exister et de pouvoir rencontrer les spectateurs. Il y a aussi un cheminement qui est fait d’un film à l’autre.» Le cinéma municipal, qui compte deux salles, met un point d’honneur à ne programmer que des films en souffrance de diffusion, et ne projette pas ceux qui disposent d’une sortie nationale de 300 copies, même s’ils sont recommandés art et essai, avant leur quatrième semaine dans le circuit. «Le film est alors suffisamment visible pour ne pas entrer dans notre programmation dans cette période-là», justifie le directeur qui veut «regarder les films non pas comme un produit commercial, mais comme une œuvre.» Un positionnement tranché qui s’inscrit en complémentarité de l’offre existante dans la ville, qui accueille aussi un multiplex, le Pathé Quai d’Ivry et se situe également non loin du MK2 Bibliothèque.
Ailleurs, la programmation se veut plus éclectique, jouant sur un mix entre films plus grands publics et plus exigeants pour répondre aux attentes des habitants. «Nous proposons une large part de films art et essai mais diffusons aussi des films populaires en sortie nationale. Nous avons par exemple mis Avengers à l’affiche. Nous essayons de satisfaire le goût de tous les publics», explique Natacha Juniot, chargée de communication et d’animation du cinéma municipal Les Trois Robespierre à Vitry-sur-Seine. Dans les trois salles des Cinémas du Palais, à Créteil, le dernier film de Guillaume Canet, diffusé dans plus d’un millier de salles, côtoie aussi le film brésilien-portugais Le Chant de la forêt (à partir de mercredi prochain) diffusé dans une centaine de petites salles, ainsi que les derniers Almodovar et frères Dardenne. «L’art et essai n’est pas exclure, c’est inclure. On va choisir des films qu’on a envie de soutenir, parce qu’on suit un cinéaste depuis longtemps, parce que le sujet du film entre en relation avec ce qu’on défend ou encore grâce à sa qualité cinématographique», explique Guillaume Bachy (photo), directeur de ce cinéma associatif.
Des propositions exigeantes, pas toujours évidentes à concilier sur le plan économique. Pour porter la diversité culturelle, une subvention de l’Etat est allouée, allant, pour les cinémas du département, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros. Dans ce contexte, la très grande majorité des cinémas dépendent aussi financièrement des villes, qu’ils soient municipaux ou associatifs avec de fortes subventions municipales. «Pour l’équilibre économique, il vaut mieux programmer Avengers plutôt qu’un film thaïlandais. Si on ne recevait pas des aides de la ville, on ne pourrait pas être ouvert. C’est notre principal soutien. Le deuxième vient de la subvention art et essai et nous sommes également soutenus par le ministère de la Culture sur des actions particulières», explique Guillaume Bachy.
Pour les cinémas privés indépendants, il s’agit d’ajuster l’offre pour atteindre l’équilibre économique. «La programmation n’est pas décidée uniquement en fonction de nos propres goûts, nous nous adaptons aussi à ceux du public. Étant un cinéma de périphérie, nous diffusons à la fois des films commerciaux et des films art et essai, expose Stéphane Joyeux, directeur du Vincennes. Mais nous essayons d’attirer le public vers un cinéma plus exigeant, pas seulement de divertissement. Nous proposons des séances en version originales, diffusons des films étrangers», poursuit le directeur. Même stratégie à Nogent-sur-Marne. «Depuis 1997, nous composons notre programmation en fonction du public local et il faut reconnaître qu’à Nogent, on peut tout programmer, il y a toujours un public, pour les grandes comédies populaires comme pour les films pointus», relève Fanchon Grasser, responsable événementiel du cinéma Le Royal Palace.
Le paradoxe, pour ces salles qui concilient les deux, est qu’elles se trouvent en concurrence frontale avec les multiplex pour les films grands publics. Pour composer avec cette concurrence, les cinémas situés à une certaine proximité des complexes UGC peuvent accepter la carte illimité de l’opérateur qui rémunère alors le petit cinéma, soustrait d’une commission. Une recette moins avantageuse pour le cinéma mais qui évite la fuite vers le multiplex. Certains cinémas l’acceptent, comme celui de Nogent, en parallèle de sa propre carte, d’autres ont pris le parti de faire sans, comme celui de Vincennes. Au-delà des prix et de la programmation, la fidélisation passe aussi par le confort des salles, et la relation au spectateur.
Des attentions pour toutes les générations
Les établissements tentent notamment de s’adapter à chaque génération, à chaque type de public. Les Trois Robespierre accueillent des séances Ciné-ma différence à raison d’un samedi après-midi par mois (hors vacances scolaires) pour permettre aux personnes en situation de handicap, notamment des autistes, d’accéder au cinéma. A Ivry-sur-Seine, le Luxy organise des soirées rencontres tout au long de l’année, des séances ciné p’tit déj’ les dimanches matin pour le jeune public moins de 6 ans, des ciné goûter l’après-midi pour les plus grands, des ciné thé les vendredis après-midi… À L’Haÿ-les-Roses, La Tournelle a été classé art et essai spécifiquement dans la catégorie jeune public, avec ces ciné-tétines pour les 18 mois-3 ans, ses ciné-goûters et son accueil du festival Ciné-junior. «On a pour vocation d’éduquer les enfants aux images. Notre mission est de préparer le spectateur du futur», indique le directeur Xavier Ganachaud. «La transmission est dans l’ADN du Kosmos», insiste également le directeur du cinéma fontenaysien, Nicolas Reyboubet, qui mène un travail pédagogique auprès du jeune public au travers des ateliers, cinés goûter et autres événements. A Créteil, les matinées Mon premier ciné veulent initier les futurs cinéphiles à partir de 18 mois. Des séances pour tout petits que le Royal Palace s’apprête aussi à mettre en place dès septembre le matin en semaine, en proposant des projections très courtes avec le son baissé. Le cinéma propose déjà des ciné-juniors le dimanche matin et des séances pour les parents avec leur bébé un lundi après-midi par mois, qui s’achève juste avant l’heure de sortie de l’école pour pouvoir aller chercher les plus grands. Des plus petits aux plus âgés, chaque génération fait l’objet d’une attention particulière de la part des établissements, la plus complexe à approcher étant celle des adolescents. «La génération des 15-25 ans est plus volage et davantage happée par les vidéos sur Youtube ou les séries sur Netflix. Notre objectif est de mieux comprendre cette génération pour qu’ils s’approprient leur cinéma et nous sommes en contact avec le Pôle jeunesse pour essayer de travailler la programmation avec eux», témoigne Fanchon Grasser qui entend aussi s’adresser aux parents en réfléchissant à des soirées vintage Hotdog ciné pour retrouver en famille les films que l’on avait adoré quand on était ado.
Quand le public devient partie prenante
Au-delà de ces attentions, les cinémas art et essai ont aussi compris les attentes des habitants en matière d’échange vivant et de participation. Avant-premières, rencontres avec des équipes de films, critiques et spécialistes, débats citoyens, ciné goûter, saison opéra, festivals… Chaque établissement se met en quatre pour ne pas être une simple salle obscure et impersonnelle. Les Cinémas du Palais, à Créteil, proposent par exemple des saisons Opéras au Palais (le prochain opéra sera la Traviata de Verdi le 2 juin), les Classiques du Palais pour (re)découvrir sur grand écran les grands films de tous les temps, ou encore les Cup of movie qui invite à discuter du film après la séance autour d’une tasse de thé ou de café. «Cela permet aux spectateurs de parler entre eux. Quand il y a le réalisateur, parfois ils n’osent pas parler», remarque Clotilde Trichet (photo), chargée des relations publiques des Cinémas du Palais. «Notre objectif est d’avoir une sorte de club de spectateurs», motive le directeur Guillaume Bachy. A Ivry-sur-Seine, les séances d’échange sont conçues dans la lignée de la programmation du cinéma, privilégiant les auteurs méconnus. «Pour nous, la rencontre est faite pour attirer l’attention sur un film. Si m’on propose de faire venir Tim Burton, je dis : “non merci, je n’en ai pas envie”. Le film n’en a pas besoin», assure ainsi Jean-Jacques Ruttner.
Beaucoup de cinémas travaillent également avec les associations. A Fontenay-sous-Bois par exemple, le Kosmos projette chaque semaine un long métrage sur un sujet de société, suivi de rencontres avec des intervenants d’associations locales. A Vitry-sur-Seine, les Trois Robespierre proposent chaque mois une ciné-rencontre Cinéville, en partenariat avec des associations de la ville. Beaucoup d’associations sont en effet demandeuses de ces échanges, pour susciter le débat sur des questions de société, à travers les films ou les documentaires. Les producteurs ayant peu de chance de bénéficier d’une grande diffusion en salle proposent également d’eux-mêmes ces échanges. Beaucoup de documentaires ont ainsi tourné de cinéma en cinéma, toujours suivis d’échanges avec des réalisateurs ou des associations partenaires, de En quête de sens à Merci patron, faisant parfois salle comble. «Nous avons beaucoup travaillé sur le fond, autour de débats de société, ces dernières années, indique Fanchon Grasser. Nous allons aussi retravailler la forme, le langage cinématographique pour permettre aux spectateurs d’apprendre», reprend la responsable événementiel du cinéma nogentais qui souhaite créer une association des Amis du Royal Palace pour mieux impliquer le public dans ces choix.
D’autres cinémas disposent aussi de leur propre festival, à l’instar du Lido, le cinéma municipal Saint-Maur-des-Fossés, qui accueille le festival de courts métrages Sur les pas de mon oncle, qui participe directement de la création artistique en encourageant les nouveaux talents.
En chiffres
Sur 1168 cinémas d’art et d’essai en France, l’Ile-de-France en compte 150 et le Val-de-Marne 16, majoritairement municipaux ou associatifs, à l’exception de ceux de Vincennes et de Nogent-sur-Marne. Dans le département, cela représente 36 écrans sur une centaine. Les salles d’art et d’essai sont celles qui exposent une proportion conséquente de films recommandés art et essai (voir les critères de recommandation des oeuvres). Ce classement est décidé par le président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) après avis de la Commission nationale et des commissions régionales Art et Essai, pour deux années d’exercice (renouvelable ou non). Trois labels peuvent être attribués aux établissements selon leurs spécificités : «Recherche et Découverte», «Jeune public» et «Patrimoine et Répertoire».
Les cinémas d’art et d’essai en Val-de-Marne
Communes | Cinéma | Site Internet | Nombre Ecrans | Recherche découverte | Jeune Public | Patrimoine Répertoire |
ARCUEIL | Jean Vilar | https://www.arcueil.fr/category/culture | 2 | X | X | X |
CACHAN | La Pleiade | http://www.cinema-lapleiade.fr/ | 3 | X | ||
CHAMPIGNY SUR MARNE | Studio 66 | http://studio66.megarama.fr/ | 5 | X | ||
CHEVILLY LARUE | Salle Andre Malraux | https://www.theatrechevillylarue.fr/cinema | 1 | |||
CHOISY LE ROI | Salle Paul Eluard | http://theatrecinemachoisy.fr/a-laffiche/ | 1 | X | ||
CRETEIL | La Lucarne Mjc | https://www.ville-creteil.fr/cinema-la-lucarne | 1 | X | ||
CRETEIL | Cinema Du Palais | https://www.lepalais.com/ | 3 | X | X | X |
FONTENAY SOUS BOIS | Le Kosmos | https://cinemakosmos.com/ | 1 | X | X | X |
IVRY SUR SEINE | Le Luxy | http://luxy.ivry94.fr/ | 2 | X | X | X |
LE PERREUX SUR MARNE | Centre Des Bords De Marne | http://www.cdbm.org/cinema/ | 1 | |||
L’HAY LES ROSES | La Tournelle | https://www.lhaylesroses.fr/cinema | 1 | X | ||
NOGENT SUR MARNE | Royal Palace | https://royalpalacenogent.fr/ | 6 | |||
SAINT MAUR DES FOSSES | Le Lido | https://www.saint-maur.com/ma-ville/culture/les-cinemas-de-saint-maur-125.html | 1 | X | X | X |
VILLIERS SUR MARNE | Le Casino | https://www.villiers94.fr/programme-cinema/ | 1 | |||
VINCENNES | Le Vincennes | http://www.cinemalevincennes.com/ | 4 | X | X | |
VITRY SUR SEINE | 3 Cinés Robespierre | http://3cines.vitry94.fr/ | 3 | X | X | X |
Le critère adapté aux handicaps complexes pourrait être ajouté dans le tableau car 3 cinémas y répondent avec un dispositif Ciné-ma différence : Cachan, Fontenay, Vitry (et bientôt l’Hay les roses peut-être) !
Ivry, Vitry, Choisy, Créteil … trop bien les programmes.
Les autres aussi, mais je connais moins bien.
On les aime, ceux et celles qui passent des jours et des nuits à regarder des films pour nous proposer un super choix.
Et quand ils invitent les réalisateurs, on se croirait presque à Cannes à se balader dans les palmiers et à renifler la mer.
Egoine, la scie d’Ivry
La municipalité de Saint-Maur a racheté les deux cinémas de la ville, et ‘Le Lido’ est une véritable salle d’art et d’essais, avec une programmation de qualité (plusieurs films chaque semaine) bien que ne disposant que d’une seule salle.
Sa programmation est parfois associées à l’autre cinéma, ‘Les quatre Deltas’, plus grand public, mais qui dispose de quatre salles de volumes différents.
Bonne décision de la municipalité.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.