Justice | | 24/03/2019
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Violences à l’Ehpad d’Arcueil: un procès édifiant

Violences à l’Ehpad d’Arcueil: un procès édifiant

Le tribunal correctionnel de Créteil a condamné ce vendredi à 5 ans de prison ferme l’aide-soignant filmé en train de violenter et d’insulter la résidente d’un Ehpad d’Arcueil en février dernier. Mutique lors de l’audience et incapable d’expliquer son comportement, Albert C. a écopé de la peine maximale et d’une interdiction d’exercer un métier avec des séniors.

Qu’il en aura fallu du temps pour que les appels au secours de la nonagénaire soient entendus et pris au sérieux ! Cette dame âgée que ses proches et le personnel de la maison de retraite trouvaient adorable était effrayée à l’idée de regagner sa chambre. Elle a parfois le visage tuméfié et explique a ses deux filles être tabassée par un homme. «Nous avons demandé au personnel soignant des explications parce qu’il nous semblait qu’il n’y avait que des femmes qui travaillaient ici. On nous a finalement confirmé qu’il y avait bien un homme qui faisait les nuits. Ils nous ont dit qu’elle se blessait certainement toute seule en se cognant contre les barres de son lit médicalisé», explique l’une de ses enfants. Mais de nouveaux hématomes apparaissent et les proches commencent à suspecter le personnel de ne pas tout lui dire. «Puisque nous n’arrivions pas à avoir de réponse, il ne nous restait plus qu’à trouver une solution. Mon mari a trouvé sur internet une caméra discrète et nous l’avons installée dans sa chambre», poursuit l’une de ses filles.

Peu de temps après, la famille vient récupérer les enregistrements, découvre les sévices infligés à la nonagénaire et les remettent au commissariat de police du Kremlin-Bicêtre. Pour éclairer les débats lors de l’audience, trois séquences ont été diffusées après avoir fait sortir le public de la salle dans le cadre d’un huis clos partiel par égard à la dignité de la victime. Pendant trois jours, Albert C. est vu en train de pénétrer dans la chambre de la résidente. Un soir, il la gifle à plusieurs reprise pour lui faire prendre un somnifère, les gifles et insultes se répètent le lendemain. Le troisième jour, l’homme la découvre par terre, il l’empoigne par les cheveux pour la redresser et la jette sur son lit avant de donner un coup de pied puis de quitter la chambre. Elle sera découverte plus tard, le fémur brisé.

Incarcéré depuis le report de son jugement il y a moins d’un mois, Albert C. s’est astreint à une nouvelle expertise psychiatrique qui a confirmé la pleine possession de ses moyens lorsqu’il a violenté la nonagénaire dont il avait la responsabilité. Pourtant, lors de l’audience, il a de nouveau indiqué avoir «pété les plombs» et ne pas «se reconnaître» dans ses actes arguant de ses longues années d’expérience dans le domaine de la gériatrie et de ses excellents états de service. «J’ai toujours été respectueux avec les aînés mais j’ai peut être été surmené. Les nuits, nous sommes deux aides soignants pour près de 80 patients dont certains requièrent une attention et des soins lourds», tente-t-il, renouvelant ses excuses auprès des membres de la famille assis au premier rang.

«Je suis consternée par l’attitude du prévenu qui fait preuve sur les vidéos d’une absence totale d’empathie et de mauvaise foi lors de ses déclarations en garde à vue, expliquant que les gifles ou le tirage de cheveux étaient en fait des gestes techniques. Ce n’est qu’après avoir été mis devant le fait accompli qu’il a avoué. J’ose espérer qu’il ne sévit pas depuis 30 ans. Il est intelligent, très bien vu de ses collègues et de sa hiérarchie. C’est le portrait du psychopathe. Cette victime et sa famille se sont retrouvés face un ventre mou d’indifférence. Il faut condamner cet homme à une peine exemplaire et qu’il ne travaille plus jamais auprès des anciens», a plaidé l’avocate de la partie civile.

«Quel genre d’homme peut commettre de tels gestes ? Les filles de la victime ont pleuré une nouvelle fois en voyant ses images dont le premier réflexe est de détourner le regard devant une telle violence. Au crépuscule de votre vie, vous aurez aussi besoin d’un aide soignant et à ce moment là, vous vous souviendrez. Il n’est pas habituel de requérir le quantum maximum d’une peine mais les faits sont tels qu’il faut aller au maximum légal de 5 ans avec un an de sursis pour qu’il y ait une épée de Damoclès au dessus de la tête», s’est exprimée le procureur.

L’avocate de l’aide soignant a alors tenté d’obtenir une peine plus clémente pour son client, reconnaissant la gravité des actes mais contestant l’expertise médicale. «Sur les images, il n’est pas possible de voir s’il donne un coup de pied à la victime. Du reste, les gifles et insultes, malgré leurs violences, n’équivalent pas à plus de 80 jours d’incapacité. Je rappelle également que mon client a un casier judiciaire vierge et doit subvenir aux besoins de sa famille. Il est à quatre ans de la retraite et l’interdiction d’exercer le mettrait en difficulté. Vous ne pouvez pas faire de lui un bouc émissaire, un exemple alors qu’il n’est que le dernier maillon d’un système qui fonctionne mal et qui est symbolique de la crise profonde de nos Ehpad.» Après avoir lu le témoignage d’une aide soignante pour souligner la dure réalité du travail dans les services de gériatrie, l’avocate a plaidé pour une peine plus clémente.

Au terme d’un délibéré d’une trentaine de minute, les juges de la douzième chambre du tribunal correctionnel de Créteil ont reconnu Albert C. coupable des violences et l’ont condamné à la peine maximale de 5 ans de prison ferme. Il a également été interdit d’exercer une profession auprès des personnes âgées et de se rendre à Arcueil pendant trois ans. Une audience pour le dédommagement de la partie civile aura lieu en octobre mais l’ex aide-soignant doit déjà verser 10 000 euros à la victime.

Un jugement pas complètement satisfaisant pour la famille

Malgré la lourde condamnation de l’aide soignant de 57 ans, l’issue de cette audience laisse comme un goût d’inachevé pour la famille. D’abord parce que les poursuites se limitaient aux faits filmées du 5 au 7 février et que le doute demeure sur le reste du temps, faute d’images. De même, la vidéo montrerait également une aide soignante giflant également la victime. A cela s’ajouterait l’état actuel de la victime, clouée dans un lit d’hôpital jusqu’à la fin de sa vie, et constitutif selon l’avocate de la famille d’une qualification pénale relevant non plus du tribunal correctionnel mais d’une cour d’assise. Au point que le conseil de la partie civile s’est interrogé sur la rapidité avec laquelle les poursuites ont été déclenchées par le ministère public via la procédure de comparution immédiate. «Devant la gravité des faits, il était déterminant d’agir avec rapidité pour mettre le prévenu hors d’état de nuire. Plus le châtiment est prompt, plus il sera juste et utile,» justifie le procureur en citant le criminaliste Beccaria. Toujours selon l’avocate de la famille de la victime, les proches d’une autre personne âgée de La Maison du Grand Cèdre auraient porté plainte ce jeudi pour des faits de violence similaire.

Le préjudice d’image pour l’Ehpad jugé irrecevable

L’avocat d’Adef Résidence, l’association gestionnaire de La Maison du Grand Cèdre a tenté en vain de se porter partie civile pour faire reconnaître le préjudice d’image subi. «A la suite de l’emballement médiatique autour de ces faits, nous avons du faire appel à une société de gardiennage par protéger notre personnel et l’accès à la résidence. Nous avons également dû transférer notre standard téléphonique parce que nous recevions tous les jours plusieurs dizaines d’appels de personnes nous insultant ou proférant des menaces», a-t-il expliqué. Si les magistrats n’ont pas nié le préjudice subi, ils ont en revanche estimé que le lien de causalité entre les faits qu’ils avaient à connaître et le préjudice n’était pas constitué.

 

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