“Mon ami m’a d’abord obligée à faire la servante pour lui et sa maîtresse. Puis il m’a mise dehors.” Depuis une semaine, Françoise, 58 ans, dort dans un gymnase de Montreuil qui accueille des femmes seules et sans-abri, pour lesquelles les structures manquent cruellement.
Entre deux biscottes, cette employée dans la restauration collective explique avoir d’abord trouvé refuge dans la cage d’escalier de son immeuble. Avant que le Samu Social ne lui propose de poser son sac dans un gymnase mis à disposition par la ville pendant six semaines.
L’année dernière déjà, la ville avait mis le lieu à disposition, pour accueillir 35 personnes. Cette année, contexte sanitaire oblige, 20 places ont été proposées. La commune a par ailleurs ouvert un autre refuge pour femmes seules ou avec enfants, en partenariat avec une entreprise de l’économie sociale et solidaire et la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL).
Ce soir dans le gymnase que nous avons ouvert cette semaine pour mettre à l'abri les personnes à la rue.
— Patrice Bessac (@PatriceBessac) December 16, 2020
Hébergement mais aussi accompagnement : l’an passé, aucune personne n’était retournée à la rue à la fermeture du gymnase.
Très belle solidarité à @montreuil ! pic.twitter.com/xgxUnwjrI4
Sous les paniers de baskets, entre 18h00 et 10h00, une quinzaine de femmes trouvent un lit de camp, de quoi manger et des travailleurs sociaux qui les écoutent et les guident dans leurs démarches.
Le regard las et la voix basse, chacune raconte une histoire singulière : celle d’un mari ou d’un père violent qu’il a fallu fuir, du piège d’un mariage forcé ou d’un réseau de proxénétisme, de l’exil d’un pays en guerre.
“Ces femmes ont entre 20 et 70 ans, et présentent des profils très différents, cela casse le préjugé selon lequel ce phénomène serait surtout lié aux migrations”, constate Florian Vigneron, adjoint du maire chargé des solidarités.
L’élu déplore que Montreuil, qui met en place depuis deux ans une structure éphémère pour les femmes, soit “la seule ville du département” à proposer ce type de solution temporaire pendant la période hivernale.
Alors que les femmes représentaient 2% des sans-abri de l’agglomération parisienne en 2012 selon l’Insee, Paris en a recensé 12% début 2020 parmi les 3 000 SDF rencontrés lors d’un “comptage citoyen”.
Ce recensement avait aussi mis en lumière leur plus grande vulnérabilité : seule une sur dix était suivie par un travailleur social, contre trois sur dix pour les hommes sans-abri. Elles étaient aussi moins nombreuses à avoir une couverture maladie.
En 2016, le Samu Social parisien estimait que le nombre de femmes seules appelant le 115 avait bondi de 66% en dix ans.
Une hausse qui s’est poursuivie en 2018, où 1 230 femmes étaient hébergées chaque nuit contre 830 l’année précédente.
“Avec le confinement, la situation s’est encore complexifiée pour beaucoup de ces femmes que l’on ne voit pas, qui dormaient dans des églises, des halls d’hôpitaux et se réfugiaient la journée dans les McDonald’s ou les centres commerciaux”, explique Caroline Pitner, directrice de l’association Ladomifa, qui assure l’animation du lieu.
Même si, depuis deux ans, Paris et sa région ont commencé à ouvrir des refuges entièrement féminins, Caroline Pitner regrette le manque de structures dédiées aux femmes seules “pour prendre le relais” après ce type d’initiative.
“Comme on n’a pas d’enfants, on ne nous donne pas de chambre d’hôtel, c’est inadmissible”, souffle Djenah, 24 ans. Partie du foyer parental après “un gros problème familial”, cette jeune femme s’était débrouillée jusqu’ici en dormant “chez des amis” ou “à son travail”.
Salariée à temps partiel dans un fast-food, elle explique en enfilant son sac à dos et sa doudoune avoir entamé, sans grand espoir, des démarches pour avoir une place dans un foyer de jeunes travailleurs.
A 10H00, heure de fermeture du gymnase, une nouvelle journée d’errance commence pour Nagacher, 40 ans. “Je n’ai pas d’habits, pas de chaussures, nulle part où aller”, dit-elle en regardant ses pieds chaussés de tongs.
Arrivée il y a deux mois, cette veuve a laissé en Côte d’Ivoire ses deux enfants de 11 et 15 ans, seuls. “Je suis venue par le Mali, la Mauritanie et puis sur l’eau… C’était pas facile, mais je n’avais pas le choix, je n’avais plus rien à leur donner à manger”, souffle-t-elle en pleurant de grosses larmes.
L’année dernière, des solutions de relogement avaient été trouvées pour toutes les occupantes du gymnase. “Cette année, avec le Covid, le 115 n’a pas libéré de places, ça ne va pas être simple”, prédit Céline Grandmottet, du centre d’action sociale de la ville.
En attendant, les femmes pourront au moins rester au chaud le jour de Noël et le 1er janvier, où le gymnase restera exceptionnellement ouvert.
par Sarah BRETHES
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