Quasi-désert pendant le confinement, le centre commercial est à nouveau plein. À l’approche des fêtes, les vendeurs comme les clients profitent de la réouverture des commerces dits “non-essentiels”. Reportage.
Dans le plus grand centre commercial de Seine-Saint-Denis, tout était prêt pour les fêtes depuis deux semaines: les enceintes débitaient leur répertoire de Noël, les guirlandes clignotaient et un majestueux sapin trônait dans le rez-de chaussée… Mais les clients manquaient à l’appel. Un vide comblé depuis la réouverture des commerces non-essentiels le 28 novembre dernier : ce lundi, Rosny 2 ne désemplissait pas.
Le succès du “snap and collect”
Accueillant à peine une vingtaine de clients quotidiens il y a encore dix jours, Hafid est désormais débordé. “Dès la réouverture, la boutique était pleine à craquer. On a presque autant de monde que pendant les soldes !” s’exclame le responsable de la franchise FootKorner de Rosny 2, spécialisée dans la vente de chaussures et d’ensembles de sport. Tout en veillant au respect de la jauge de clients, le quarantenaire avoue ne pas comprendre l’afflux de clients dans son magasin : “On n’a pas pu se permettre de faire de gros rabais pour le Black Friday, et la clientèle des fêtes n’est pas encore là”, dit-il en désignant les lycéens qui se pressent dans son magasin. Peut-être son succès s’explique-t-il par la grosse présence de la boutique sur les réseaux sociaux ? Déjà, pendant le confinement, Hafid affirme mieux s’en être sorti que beaucoup de ses collègues grâce à son propre système, qu’il surnomme “Snap and collect”. “Nos vendeurs présentent toutes les nouvelles arrivées sur Instagram et Snapchat. Ensuite, les clients nous envoient directement un message pour réserver les articles qu’ils veulent, et viennent les récupérer. On a transformé nos vendeurs en vendeurs digitaux !”, sourit-il.
“Aujourd’hui, c’est environ 80% de notre chiffre d’affaires qui se fait par les réseaux!“
Une tendance qui risque de survivre au confinement selon lui : “Pendant le confinement, les jeunes ont beaucoup apprécié qu’on reste ouvert, car ils se sentaient un peu abandonnés. On a reçu beaucoup de messages de remerciements, et maintenant on voit souvent les mêmes têtes revenir. La tendance est carrément inversée : aujourd’hui, c’est environ 80% de notre chiffre d’affaires qui se fait par les réseaux !”
Même contraste aux Galeries Lafayette de Rosny 2 : dans cet grand magasin sur deux niveaux, on était passé de 700 clients quotidiens à une maigre quinzaine de commandes par jour. Les responsables avaient beau avoir décidé d’ouvrir l’aile “gourmet” du magasin il y a deux semaines, les rayons étaient toujours aussi vides. Mehdi, un des managers de la boutique, espérait une réouverture prochaine, mais restait responsable : “Ce serait bon pour les affaires : la période de novembre à janvier, c’est environ 30% de notre chiffre d’affaires, mais il faut aussi penser à la santé des gens. Si on rouvre, ce sera avec un minimum d’organisation.” Ses voeux ont été exaucés : le magasin grouille à nouveaux de clients, systématiquement accueillis avec une dose de gel hydro-alcoolique, distribuée par un vigile à l’entrée.
Parmi les vendeurs des Galeries, la réouverture est un soulagement. “Ça fait vraiment du bien. On reprend notre rythme, et on peut enfin revoir du monde”, nous confie Sarah, 22 ans. Occupée à soigner la présentation du stand de montres Louis Pion, elle explique le “rush” de fréquentation par les fêtes, combinées à un “effet déconfinement”. Une explication partagée par sa collègue Liliane, 30 ans, au rayon textile et accessoire : “La réouverture nous fait du bien à nous, mais aussi aux gens, c’est pour ça qu’il y a tant de monde !”
“Ça faisait trois mois que je n’avais pas fait de shopping !
La trentenaire semble avoir vu juste. On croise Marie, Françoise et Chantal, trio de sexagénaires venues faire leurs cadeaux de Noël entre amies. Si Marie est un peu plus mitigée, Françoise et Chantal ne cachent pas leur bonheur : “Ça faisait trois mois que je n’avais pas fait de shopping !” s’exclame Chantal. Malgré la cohue, elles n’ont pas été dissuadées de venir : les trois complices savent exactement les cadeaux qu’elles veulent offrir… ou presque : “On va quand même aller faire un petit tour à Zara, pour voir!”, rigole Françoise. Pareil pour Donia et Sabriya, 18 et 22 ans. Envoyées par leur mère pour acheter des jouets à leurs petits frères de 6 et 3 ans, les deux sœurs en profitent pour déguster un fast-food. “Franchement, ça fait du bien de pouvoir revenir dans les boutiques. Depuis trois mois, je ne fais que des achats sur Internet !”, explique Donia. Sa grande sœur n’a d’ailleurs pas attendu d’être missionnée par sa mère pour revenir à Rosny 2 : samedi, elle a profité du Black Friday étendu pour refaire sa garde-robe.
Pourtant, le centre commercial ne tourne pas encore à plein régime : les restaurants restent fermés jusqu’à nouvel ordre – mis à part les enseignes proposant de la vente à emporter. Ces dernières profitent elles aussi du retour des clients. À Pomme de Pain, Anne-Marie, une des managers de la sandwicherie, estimait avoir perdu 75% de son chiffre d’affaires. “Parmi notre clientèle, il y avait bien sûr les visiteurs de Rosny 2, mais aussi les employés des boutiques aux alentours, qui venaient pour le petit-déjeuner et le midi…” L’enseigne avait beau proposer ses produits à la livraison avec Uber Eats et Deliveroo, l’activité reste atrophiée. Sur les 10 employés de Pomme de Pain, 7 ont été mis au chômage partiel. Les trois autres se relayaient pour assurer une présence continue de deux employés, mais aussi pour lutter contre l’ennui : lors des heures creuses, les serveurs s’affairaient… à compléter un puzzle de 1000 pièces. Depuis le 28 novembre, ce ne sont toujours que trois employés qui sont derrière le comptoir, mais ils sont autrement plus affairés : “Je n’ai plus le temps d’avancer sur mon puzzle !” s’amuse Yaruba. Déborah, sa supérieure, confirme le regain d’activité : sans donner de détails, elle évoque un effet “très positif” sur le chiffre d’affaires.
Mais le sursaut de consommation ne dissipe pas entièrement l’incertitude face au futur. Qui sait si un troisième confinement n’aura pas lieu peu après les fêtes ? Malgré ses bons chiffres du week-end derniers, une vendeuse du carré Eden Park des Galeries Lafayette nous fait part de son inquiétude : “Je vois au jour le jour, tout en essayant de me préparer mentalement. De toute façon on n’est plus à l’abri de rien.” Même Hafid ne cache pas son désarroi. “On repart fort, mais ça ne compensera jamais les pertes subies pendant les deux confinements.” Des pertes d’autant plus rudes qu’il s’est engagé à payer les 16% du salaire que le chômage partiel ne prend pas en compte à ses 12 employés, en puisant dans sa trésorerie. “S’il y a un troisième confinement, on ne pourra plus suivre.”
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