Santé | Ile-de-France | 23/09/2020
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AP-HP – Ile-de-France : la démission du chef des urgences Bicêtre éclaire le scandale des “patients brancard”

AP-HP – Ile-de-France : la démission du chef des urgences Bicêtre éclaire le scandale des “patients brancard”

La démission du chef des urgences Bicêtre, Maurice Raphaël, redonne un coup de projecteur sur le problème endémique des patients brancards. C’est en effet devenu une routine dans de nombreux hôpitaux. Faute de lits disponibles dans le service approprié, des patients pris en charge aux urgences s’y retrouvent stockés sur un brancard pour la nuit, voire plus.

Parfois, ce dysfonctionnement chronique occupe le devant de la scène quelques jours. Ce fut le cas en août 2019 lorsqu’un homme de 72 ans pris en charge aux urgences du CHU de Saint-Etienne dût y patienter 120 heures, soit 5 jours complets. “On commence à voir des gens qui repartent avec des débuts d’escarres, parce qu’ils restent trop longtemps sur des brancards“, commentait alors une aide-soignante du CHU au micro de France Bleu.

Au sein de l’AP-HP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) qui compte une quarantaine d’hôpitaux dans la région parisienne, le service des urgences de Bicêtre est reconnu en interne comme le plus concerné, avec en moyenne une quinzaine de patients brancards tous les matins, voire parfois plus de 30. En cause, un nombre de lits en aval insuffisant compte-tenu de la progression des consultations aux urgences (+18% entre 2014 et 2018). En novembre 2019, l’AP-HP a tenté de remédier au problème avec un slogan prometteur : “zéro brancard”. Et c’est à l’hôpital Bicêtre qu’a été signé en grande pompe le premier contrat en présence du directeur de l’AP-HP Emmanuel Hirsch, du directeur de l’ARS (Agence régionale de santé) Aurélien Rousseau et de Christophe Kassel, directeur du groupe hospitalo-universitaire Paris Saclay dont dépend l’hôpital Bicêtre.

Le plan “zéro brancard” n’a pas eu les effets escomptés

Concrètement, le plan prévoyait différents leviers pour libérer plus de lits en aval, comme “optimiser” l’hospitalisation de courte durée (UHCD) en accélérant la rotation de l’utilisation de ses 21 lits, fluidifier les échanges avec les autres services de médecine, anticiper les sorties à domicile et transferts complexes de patients, augmenter les capacités d’accueil du service de gériatrie aigüe (22 lits supplémentaires pour 2020 dont 12 lits dès le 20 novembre 2019 et 10 lits début 2020) et encore augmenter la prise en charge des urgences psychiatriques et de leur aval.

Lire : Grand Paris: l’AP-HP s’engage sur le zéro brancard aux urgences

Fin décembre pourtant, le chef des urgences Bicêtre, premier service à bénéficier de ce plan, sonnait déjà l’alarme dans les colonnes de Libération. En pleine trêve des confiseurs, la suppression de lits durant les fêtes faisait à nouveau exploser le compteur. «Le 23 décembre, quand je suis arrivé le matin, nous devions nous occuper de 35 patients sur des brancards, les voir un par un, leur trouver une place, ce qui prend du temps. Et pendant ce temps-là, le flux continue d’arriver et vous êtes toujours en retard», signalait-il. (Voir l’article) Et le contrat zéro brancard signé un mois plus tôt ?  “Les 10 lits ouverts ont été fermés ailleurs“, pointait le médecin. Neuf mois plus tard, ce lundi 21 septembre, c’est à nouveau dans Libération que Maurice Raphaël a annoncé qu’il s’arrêtait là. «Cela suffit, rien ne change, la direction s’en fout, et je ne vais pas mourir à la tâche et dans l’indifférence de l’administration. (…) Tous les matins, se retrouver avec au moins seize patients sans lit pour les accueillir, c’est trop, j’arrête», confie le médecin. (Voir l’article)

L’augmentation de la patientèle âgée et polypathologique insuffisamment prise en compte

“Je ne suis pas surpris. Les urgences Bicêtre sont celles qui souffrent le plus de patients brancards au sein de l’AP-HP”, réagit Mehdi Khellaf, le chef des urgences Mondor de Créteil, joint au téléphone. Derrière Bicêtre, il y a Mondor et Tenon, ajoute le médecin. “En moyenne, nous avons 8 patients brancards qui ont passé la nuit sous les néons lorsque nous arrivons le matin. Ce matin, il y en avait 12”, pointe le chef de service du CHU cristolien pour qui l’organisation du CHU doit être mieux adaptée à l’afflux de patients. “Je plaide pour plus de polyvalence car les patients ne rentrent pas forcément dans les cases d’une seule spécialité”, expliquait le médecin, rencontré fin août. Alors que la progression des patients de plus de 75 ans aux urgences de Créteil est de l’ordre de 6% par an, avec un taux d’hospitalisation de 60% contre 25% en moyenne, le poids de cette population souvent polypathologique et durablement en croissance au vu de l’évolution de la pyramide des âges, reste insuffisamment prise en compte dans l’organisation hospitalière estime le médecin. Une autre patientèle en progression, spécifiquement à Mondor, concerne la drépanocytose pour laquelle le CHU dispose d’un service de pointe. Des patients qui ont souvent besoin d’être hospitalisés et ont aussi besoin de lits. “Cette patientèle est en progression de 10% par an et représente 3 à 4 personnes par jour. Nous avons été formateurs dans d’autres hôpitaux mais les malades viennent malgré tout chez nous.”

La deuxième vague du coronavirus ajoute de la pression

A cette situation de tension endémique, s’est ajoutée cette année la première vague de coronavirus qui a épuisé les équipes, physiquement et psychologiquement. Des équipes qui n’ont pas encore récupéré et se prennent désormais une deuxième vague. “Il y a deux semaines, nous avions 3 patients Covid hospitalisés par semaine, le weekend dernier nous étions à 3 par jour et désormais nous sommes à 6 par jour”, témoigne Mehdi Khellaf. Difficile pour autant de savoir quelle forme prendra cette deuxième vague. A ce stade, le profil des patients est plus jeune et leur état moins grave. “Les trois-quarts ont moins de 75 ans”. Mais il s’agit malgré tout d’une nouvelle charge pour l’hôpital. En outre, les services ne peuvent plus se permettre de déprogrammer les interventions comme durant la crise sanitaire. Dans ce contexte, la question des patients brancard ne semble pas prête d’être réglée.

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