Interrogée sur la privatisation du groupe Aéroports de Paris ce mercredi 11 mars à l’issue du conseil des ministres, alors que la pétition pour étudier l’interdiction de cette privatisation s’achève ce 12 mars, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a évoqué un report mais pas de suspension.
La porte-parole a ainsi indiqué que la situation actuelle des marchés n’était pas favorable à un telle opération et que le ministre de l’Economie et des Finances était par ailleurs déjà bien occupé par les conséquences économiques de l’épidémie de Coronavirus Covid 19.
C’est en effet ce jeudi à minuit que se termine la pétition nationale lancée le 13 juin par le ministère de l’Intérieur pour sonder les Français sur leur souhait ou non de voir étudier un projet de loi sanctuarisant le caractère de service public de l’exploitation des aéroports d’Orly, de Roissy et du Bourget.
La mort annoncée du RIP
Cette pétition très officielle, impliquant pour chaque signataire de se munir de sa carte d’identité ou de son passeport, aura été la première illustration du RIP (Référendum d’initiative partagée) et sans doute aussi la dernière dans cette forme, au vu de l’échec annoncé de ce dispositif. Pour rappel du contexte, le RIP permet à des parlementaires, à condition qu’ils soient au moins un cinquième à le demander, de déposer un projet de loi référendaire. Pour que ce projet de loi soit étudié, il faut préalablement que 10% des électeurs du pays signent une pétition en ce sens. Si tel est le cas et si le gouvernement n’étudie pas le projet de loi, alors il doit obligatoirement soumettre cette loi à référendum. Dans le cas présent, les parlementaires d’opposition avaient déposé un projet de loi référendaire pour maintenir l’exploitation des aéroports franciliens comme service public, en réaction à un autre vote parlementaire, de la majorité cette fois, lequel autorisait la privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP) qui exploite les aéroports franciliens, alors que le groupe est actuellement détenu à 50,6% par l’Etat.
Le 13 juin donc, le ministère de l’Intérieur a mis en ligne un site Internet permettant aux électeurs d’aller signer la pétition. Bien que chaque scrutin fasse l’objet d’une campagne ministérielle de communication, il a toutefois été décidé de n’en faire aucune publicité officielle pour rester neutre. Alors que l’électorat est déjà difficile à mobiliser lors des élections, cette pétition sur un site peu avenant, sans communication, avait dès lors assez peu de probabilités d’aller au bout. Neuf mois plus tard, plus d’un million de signatures ont été atteintes, ce qui constitue déjà une barre symbolique, mais le score est resté très en deçà des 4,7 millions de signatures nécessaires pour représenter 10% de l’électorat. Quelques départements comme Paris, le Val-de-Marne, l’Essonne, se sont particulièrement mobilisés mais beaucoup d’autres départements n’ont enregistré quasiment aucune signature. Et même dans le Val-de-Marne, très mobilisé, seules trois villes ont passé les 10% : Ablon-sur-Seine (plus de 18%), Villeneuve-le-Roi (autour de 11%) et Cachan (près de 10%).
A l’automne, lorsque la barre du million a été franchie, les parlementaires qui avaient initié la pétition ont fêté cette étape symbolique, et demandé au président de la République de prendre en compte ce million de signatures, ce dernier s’y étant montré ouvert lors d’une allocution télévisée en avril 2019. Ce mercredi, la porte-parole de l’Elysée a toutefois été assez claire en rappelant que la cadre légal de la consultation était 4,7 millions et non 1 million, puisque le projet de réforme constitutionnelle proposant d’abaisser le seuil du RIP à 1 million n’a toujours pas été mis à l’ordre du jour du parlement.
Les élus locaux se félicitent de ce premier report
Pour les élus locaux opposés à la privatisation, ce report provisoire constitue malgré tout un encouragement. “Lorsque nous avons déposé ce projet de loi référendaire, notre objectif était de gagner du temps pour obliger le gouvernement à réfléchir davantage car le débat de fond n’avait pas pu avoir lieu à l’Assemblée nationale tant la majorité votait au canon”, pose Gilles Carrez, député LR à l’initiative du RIP avec la députée PS Valérie Rabaud. Je ne crie pas victoire mais je suis satisfait que le gouvernement revoie sa copie. La crise actuelle liée au Coronavirus lui offre une excellente porte de sortie pour cela. Prenons le temps de revoir le dossier. Si l’Etat souhaite se désengager, il y a des acteurs publics à solliciter comme la Caisse des dépôts et consignations”, enjoint l’ancien président de la Commission des finances.
«Ce projet a fait naître dans tout le pays beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations quant à ses conséquences environnementales, sociales et économiques. (…) Ce report provisoire doit être un encouragement à poursuivre la mobilisation pour obtenir la tenue d’un référendum ou au mieux, le renoncement définitif à ce projet de privatisation», a ainsi réagi Sylvie Altman, maire PCF de Villeneuve-Saint-Georges dont 4% des électeurs ont signé la pétition.
«Alors que la votation ADP prend fin aujourd’hui, le gouvernement annonce le report de la privatisation en raison de la “mauvaise santé” des marchés. Cela montre bien l’absurdité et le danger de la financiarisation. Quoi qu’en dise le gouvernement, leur projet est mis en échec”, abonde Christian Favier, président du Conseil départemental du Val-de-Marne.
“La belle mobilisation des riverains force le gouvernement à ne pas lancer la privatisation d’ADP, se réjouit aussi Didier Gonzales, maire LR de Villeneuve-le-Roi. Le gouvernement vient d’annoncer que le processus de privatisation était gelé. Le coronavirus et la crise boursière arrangent bien les choses. Le gouvernement peut se cacher derrière ces prétextes pour justifier son abandon de la privatisation. Il n’en reste pas moins que le dépassement du million de signataires est un signal fort envoyé aux promoteurs de la privatisation. Ce seuil avait d’ailleurs été indiqué par le président Macron lui-même comme étant significatif”, insiste l’élu.
Pour Gérard Bouthier, président du DRAPO, la fédération regroupant les associations et les collectivités locales impactées par le fonctionnement de la plateforme aéroportuaire d’Orly, le report est simplement anecdotique, et la mobilisation autour du référendum s’est révélée insuffisante. « Aujourd’hui près de 15 % de la population française est gênée par des nuisances aériennes. Nous sommes donc loin du compte. Certes nous avons obtenu l’inscription dans la loi Pacte du plafonnement des mouvement et du couvre-feu mais pour la première fois en 2019, la part des vols gros-porteurs a dépassé la barre des 10 % tous les mois de l’année. Même si le trafic diminue en volume, l’impact est toujours plus grand. Nous considérons que le rôle de l’État est très en-deçà de ce que nous souhaitons. Et une fois que le groupe ADP sera privatisé, ce sera plus compliqué encore pour lui d’exercer son pouvoir régalien. Nous allons continuer à nous battre.»
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