Dans une salle de l’école Jean-Macé à Arcueil, en Val-de-Marne, onze violonistes et altistes en herbe s’entraînent. Le geste encore timide, le son chevrotant, ils n’ont jamais assisté à un concert de leur vie mais rêvent déjà de jouer à la Philharmonie de Paris.
Agés de 7 à 12 ans, ils font partie des nouveaux élèves de Démos, ce dispositif qui permet d’apprendre la musique gratuitement en jouant dans un orchestre, et qui a fêté ses dix ans cette année, en pleine pandémie.
Parti de cités et de quartiers défavorisés de Paris, le projet a essaimé aux quatre coins de la France: 4 500 jeunes actuellement en formation à travers 45 orchestres (60 sont prévus en 2022), de Saint-Quentin Gauchy dans l’Aisne au quartier de Malpassé à Marseille, en passant par la Seine-Saint-Denis.
Une “success story” qui fait qu’en moyenne 50% des élèves Démos poursuivent la pratique musicale après un cycle de trois ans, selon la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris qui pilote le dispositif.
Mission première: abattre les barrières socio-culturelles qui entourent la pratique de la musique classique. Son parrain, Lilian Thuram, avait confié dans des interviews avoir eu honte de dire qu’il aimait écouter du Mozart quand il était enfant de cité.
“L’avantage de Démos, c’est d'(amener) la musique dans des familles qui n’auraient jamais franchi cette porte d’elles-mêmes”, explique à l’AFP Anne Larue, professeure d’alto.
Il s’agit “d’effacer les vieux fantômes de l’impossibilité d’accès à la musique”, renchérit sa collègue Olivia Steindler, référente violon.
Avec les enfants masqués et en groupes distanciés, elles entament exercices d’échauffement des cordes vocales et de respiration. Ici, ni solfège ni travail individuel, c’est le collectif qui prime.
Mme Steindler accorde les violons des enfants –mis à leur disposition gratuitement-, avant d’entamer une répétition d’une bribe de “La Grande Porte de Kiev” de Moussorgski mais aussi de “Vive le vent”.
Fataine, 11 ans, se souvient de son premier cours de violon en septembre 2019. “J’étais épatée (…) je voudrais tellement aller à une salle de concert.. c’est un pays de rêve”. Elle regrette le temps perdu pendant les confinements, où des cours en visioconférence ont été mis en place. “J’espère qu’ils vont donner une année de plus!”.
Quatre heures d’ateliers par semaine, une répétition en orchestre toutes les six semaines, un concert public en fin d’année et, au bout des trois ans, un concert à la Philharmonie, une fierté pour les parents.
Rival des conservatoires, Démos? “Si au départ, les choses ont été vues plutôt en opposition, les équipes Démos ont compris que le rôle central du conservatoire ne devrait pas être remis en cause et qu’il fallait au contraire chercher à s’en rapprocher”, assure Laurent Bayle, président de la Philharmonie.
Des passerelles ont ainsi été créées et les élèves qui le souhaitent sont accompagnés vers les conservatoires, perçus encore comme des forteresses malgré leurs efforts de démocratisation et où la diversité est moins visible que chez Démos.
Jugé au départ comme de la “musique classique au rabais”, le projet a fait taire les critiques avec son succès. “Il ne s’agit en aucun cas de faire un enseignement à deux vitesses”, selon Mme Steindler.
Le projet, qui a aussi pour marraine la pianiste très populaire Khatia Buniatishvili, a mûri si bien que 2020 a vu naître une nouvelle formation, “Orchestre Démos – Orchestre de Paris”, où des enfants au niveau avancé jouent aux côtés de jeunes de conservatoires.
S’inscrivant dans le sillage de modèles comme le célèbre El Sistema vénézuélien, Démos n’est pas la seule initiative de cette nature en France (Dix mois d’Ecole et d’Opéra, L’Orchestre à l’école, L’Académie musicale Philippe Jaroussky), mais elle a su séduire mécènes, collectivités régionales et l’Etat (un seul orchestre coûte 265 000 euros par an).
La plus grande difficulté? Garder les enfants sur les trois ans et inculquer la discipline. “Certains sont super motivés, d’autres ont envie de jouer au foot”, rit Mme Larue.
par Rana MOUSSAOUI
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