“Il m’a bien dit hier qu’il viendrait…” Les yeux rivés sur son téléphone portable, l’éducatrice Marie-Colombe Hansen s’inquiète. Ce jour-là, elle a rendez-vous avec un jeune délinquant dont elle suit le fragile parcours de réinsertion pour le compte de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Maintenir ce lien est vital au succès de sa mission, au cœur du système de la justice des mineurs, dont le Garde des sceaux Eric Dupond-Moretti porte une réforme qui suscite des inquiétudes.
La sonnette finit par briser le silence de l’Unité éducative de milieu ouvert, un discret bâtiment situé dans un quartier pavillonnaire d’Arcueil (Val-de-Marne), à quelques encablures d’une station de RER.
Doudoune noire et écouteurs dans les oreilles, Paul (prénom modifié) rejoint le petit bureau où, tous les quinze jours, il s’entretient avec Mme Hansen.
“Je parle de ce que je fais en ce moment, du jugement”, glisse timidement ce lycéen de 17 ans, visé par une mesure de liberté surveillée en attendant de passer devant le tribunal. “Tout ce que j’ai fait, j’assume”, s’empresse-t-il d’ajouter, “c’est clair depuis le début”.
Poursuivi dans une affaire de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, Paul, qui vit dans un quartier sensible d’une ville voisine d’Arcueil, est suivi depuis juin par la PJJ, du ressort du ministère de la Justice.
En 2018, 143.327 mineurs comme lui l’ont été, en majorité en milieu ouvert, sans être coupés de leur environnement habituel. L’unité d’Arcueil accompagne 160 personnes, presque tous des garçons.
“Ce sont des jeunes marqués par des ruptures”, fait remarquer Marie-Colombe Hansen. Avec chacun d’eux, elle cherche à créer un “projet individuel” scolaire ou professionnel visant à les insérer et à éviter la récidive. Un travail de pédagogie et de patience: son rendez-vous d’hier l’a “oublié”, un autre fut peu loquace. Tous font l’objet d’un rapport destiné aux magistrats.
“La justice est anonyme, mais nous sommes les yeux et les oreilles du juge. Avec nous, ils ont un lien”, ce qui est “fondamental”, résume Jean-François Gautheur. Educateur chevronné en poste dans l’unité d’Arcueil, il observe que “beaucoup de jeunes n’ont jamais quitté leur ville, leur quartier. Ils sont dans des problèmes de guerres de gangs, de rivalités”, sans compter le fléau du trafic de drogue. Autant de logiques qu’il faut “déconstruire”, explique-t-il.
Ces deux professionnels ne voient pas d’un mauvais œil la réforme de la justice des mineurs, qui révise en profondeur l’ordonnance fondatrice de 1945 sur “l’enfance délinquante”.
Le texte a été largement adopté en première lecture vendredi par l’Assemblée nationale, malgré de vives critiques dans les rangs de l’opposition.
Une centaine d’avocats, magistrats, greffiers et éducateurs ont manifesté le 1er décembre devant le palais de justice de Bobigny, premier tribunal pour enfants de France. Tous ont dénoncé la portée selon eux “répressive” du texte, dont l’entrée en vigueur est prévue au 31 mars 2021.
Lire notre reportage : Bobigny: mobilisation contre la réforme de la justice des mineurs
Eric Dupond-Moretti, qui s’en est saisi, l’a pourtant répété sur tous les tons: “le répressif, avec les gamins, ça marche pas”, il faut “d’abord l’éducatif” et surtout “une réponse rapide” de la justice.
Sa réforme prévoit notamment d’accélérer les jugements via une procédure en deux temps. Une première audience statuera sur la culpabilité du mineur dans un délai de trois mois maximum, contre dix-huit mois actuellement en moyenne, et une seconde s’attachera à déterminer une sanction ou des mesures éducatives.
“Pour le moment, on les (les mineurs) a surtout avant qu’ils soient jugés”, note Anne Meignan, la directrice territoriale de la PJJ du Val-de-Marne. “Là (après la réforme), on va être amené à travailler avec des jeunes pour lesquels la question de la culpabilité sera déjà tranchée”.
Ces délais raccourcis seront bénéfiques, juge Mme Meignan, car “avoir une date d’audience permet de donner une perspective et à leur âge, c’est important pour leur construction”.
Ce qui préoccupe Paul, c’est précisément la date de son jugement. “Je préfèrerais savoir et être quitte. Là, je ne sais pas, ça peut arriver à tout moment.”
par Fanny LATTACH
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