Une centaine de personnes ont manifesté ce mardi 1er décembre contre le nouveau Code de Justice Pénale des Mineurs (CJPM) examiné en dernière lecture à l’Assemblée Nationale. Reportage.
La symbolique est forte. C’est à Bobigny, devant le plus grand tribunal pour enfants de France, que magistrats, avocats, travailleurs sociaux et autres acteurs de de la protection de l’enfance se sont rassemblés dans le froid pour condamner une loi jugée nocive pour l’accompagnement des délinquants juvéniles.
Censée entrer en application le 31 mars 2020, la réforme est présentée par le gouvernement comme une manière d’accélérer le fonctionnement de la justice. Le système actuel ne prévoit pas de délai précis : les jeunes sont d’abord mis en examen, puis bénéficient d’un suivi socioéducatif en parallèle à l’enquête sur les faits. Le jugement se tient une fois l’instruction terminée, mais également lorsque les services judiciaires ont pu dresser un portrait du jeune (personnalité, contexte social…).
Le nouveau texte prévoit qu’une première audience déterminant la culpabilité du mineur ait lieu dans les 3 mois suivant les faits. S’il est reconnu coupable, le jeune traversera ensuite une période de “mise à l’épreuve éducative” pouvant aller de 6 à 9 mois, durant laquelle il sera supervisé par un éducateur, avant d’être définitivement jugé. Le comportement du mineur durant cette période influera sur sa sentence. Si le mineur est récidiviste, sa culpabilité et sa peine pourront être fixées lors d’une seule et même audience (voir le projet de loi). Un changement important alors que les décisions de justice concernant les mineurs prennent en moyenne 18 mois.
Pour les manifestants, cette accélération des délais de jugement est problématique. “La justice des mineurs répond à un double impératif : il faut être capable de signifier rapidement à l’enfant la gravité de ses actes, tout en lui laissant le temps de réfléchir à sa responsabilité”, explique Marion Dodier, avocate membre de la commission des mineurs du barreau de Bobigny. Sa collègue Christelle Heurteaux, responsable de la commission, la complète : “Le délai de 3 mois pour déterminer la culpabilité des mineurs est bien trop court. La plupart des gamins avec qui nous travaillons n’ont pas la capacité mentale de reconnaître leurs fautes, ils ont besoin de temps. Quant au travail éducatif pour les changer, cela peut prendre jusqu’à 1 ou 2 ans…”
Un constat partagé par les personnels chargés du suivi de ces mineurs. “Éduquer, c’est prendre le temps ! J’ai parfois mis plus d’un an à faire reconnaître leur responsabilité à certains. C’est un travail de fourmi !” raconte Vito Fortunato, co-secrétaire national du Syndicat National des Personnels de l’Éducation et du Social – Protection Judiciaire de la Jeunesse (SNPESPJJ – FSU). “D’autant plus que la période de “mise à l’épreuve” est comptée en mois… administratifs ! En d’autres termes, la transmission de l’ordonnance du juge aux services de la PJJ peut parfois prendre jusqu’à 2 mois. Ces deux mois sont décomptés sur la période de mise à l’épreuve, et on ne peut pas toujours les rattraper !”
Au-delà du peu de place laissé à la prévention, les opposants à la réforme craignent que celle-ci ne transforme la justice des mineurs en un arsenal répressif, allant à l’encontre de l’ordonnance du 2 février 1945. Fondatrice du droit pénal des mineurs, celle-ci place le principe de protection des mineurs délinquants au centre de l’action de la justice. S’adressant à la foule, Sophie Legrand, juge des enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature, estime que cette réforme conduit à traiter les mineurs délinquants de plus en plus comme des majeurs. Elle pointe plus précisément le terme de “mise à l’épreuve éducative” : “Progressivement, les mineurs vont faire face aux mêmes interdictions et obligations que dans un contrôle judiciaire classique. Les frontières sont en train d’être brouillées !”
Même critique du côté de Pierre Lecorcher, secrétaire général du syndicat CGT des agents de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). “Cette réforme, c’est un changement total du paradigme professionnel. Le gros de notre travail se situera après la détermination de la culpabilité des mineurs. Ce qui nous rapproche de plus en plus du travail des Services Pénitentiaires de Probation et d’Insertion (SPIP), qui sont eux chargés d’accompagner les individus dans l’exécution de leurs peines et leur réinsertion. La réforme nous incite également à informer le juge dès le moindre écart de comportement, sans nous donner le temps d’analyser. On verse dans un système “Action-Réaction”, comme dans le pensionnat des Choristes !”
Plus globalement, les services de la protection de la jeunesse déplorent un manque de moyens, qui mène à toujours plus de durcissement. Le Ministère de la Justice a beau avoir annoncé en septembre 2019 le recrutement de 94 éducateurs pour la protection de la jeunesse ainsi que 70 juges et 100 greffiers pour enfants, cet effort est jugé insuffisant – surtout en comparaison aux 20 Centres Éducatifs Fermés (CEF) qui seront construits prochainement. Pour Vito Fortunato, le serpent se mord la queue : “Avec plus de personnels, on aurait une justice plus efficace !”
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