Courbevoie, 18 heures. Sept coursiers patientent déjà dans le froid avant le coup de feu, face à une des Deliveroo Editions, ces cuisines que l’entreprise met à disposition de restaurateurs partenaires et dont sort une production exclusivement destinée à la livraison. Dans une demi-heure, ils seront une vingtaine. “On ne peut plus vivre avec ce job”, lâche Wissem, qui avale 700 kilomètres par semaine pour livrer la banlieue à scooter.
Si le confinement a accru la demande, les rémunérations stagnent et les revendications des coursiers restent lettre morte, raconte-t-il à l’AFP. 32 ans, trapu, barbe naissante sur un visage rond. Ce livreur “multi-plateformes”, volontiers caustique au téléphone avec le client, travaille pour Deliveroo depuis 2017, mais aussi d’autres sociétés comme Uber Eats et Stuart.
Le jeune Algérien, qui habite à Colombes (Hauts-de-Seine), a mis son activité de designer graphique entre parenthèses face au déclin de la demande en raison de la crise sanitaire. Il livre six à dix commandes chaque soir, entre 18h et 23h.
500 euros par mois
“En ce moment, avec le confinement, je sors 500 euros net par mois”, explique-t-il en montrant l’écran de son smartphone, sur lequel s’affiche son bilan des derniers mois: 883,35 euros en octobre, 506,93 euros en novembre… “Evidemment, tu retires 22% de taxes, et ça ne prend pas en compte mes charges comme l’équipement et le plein!”, s’empresse-t-il de préciser.
Wissem reconnaît avoir du mal à “voir le bon côté” de son emploi depuis quelques mois, critiquant le fonctionnement “flou” de l’algorithme de Deliveroo. “J’aimerais que les livreurs soient rémunérés à leur juste valeur. Aujourd’hui, une course peut valoir 6 euros le midi et la même 3 euros le soir. On ne peut plus vivre avec ce job, à moins de devenir des esclaves”, lâche-t-il.
Lui-même a rejoint le Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap), dédié à la défense d’auto-entrepreneurs comme lui, en 2018, “dès qu’ils ont commencé à toucher à nos poches”, justifie-t-il. Fin de la rémunération pour le temps d’attente, de la “prime de pluie” ou du plancher de rémunération des courses… Wissem égrène les motifs de mécontentement avant de pointer un “climat de peur” et un manque d’écoute de l’entreprise.
Exemple: les livreurs réclamaient à Deliveroo de réduire le nombre de clics nécessaires sur leur smartphone avant de contacter le client pour prévenir de l’arrivée de la commande. “On a besoin de six clics pour appeler le client actuellement. On voudrait juste un bouton plus direct, ça ne paraît pas grand chose, mais on est sur la route quand on appelle et ça peut être dangereux. On n’a pas été écouté”, regrette-t-il.
Pour sa première commande de la soirée, Wissem parcourt plus de 10 kilomètres entre Courbevoie et Houilles, “une grosse course” pour laquelle il empochera 3,50 euros net.
Si Wissem “aime rouler”, son gant droit déchiré sur le dos de la main illustre les risques du métier. En 2018, le coursier a été victime d’une rupture des ligaments croisés après un accident lors d’une livraison. “Six mois de galère”, se souvient-il.
“On doit être capables de se défendre pour nos intérêts”
En chemin, Wissem slalome habilement entre les voitures et les débris sur la chaussée. “On se croirait dans Mario Kart parfois”, grince-t-il, le doigt sur le klaxon, toujours “concentré et dans l’anticipation”. À la sortie d’un tunnel de l’autoroute A86, un utilitaire blanc déboîte sans clignotant sur la file de gauche, manquant de désarçonner le livreur, invisible dans l’angle mort.
Malgré le danger, Wissem n’entend pas renoncer à travailler pour des plateformes, notamment Deliveroo. “L’application en elle-même est bien”, souligne-t-il.
“Mais on doit être capables de se défendre pour nos intérêts”, fait-il valoir, décidé à continuer de mobiliser “les collègues” autour de lui.
par Thomas GROPALLO
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