“Le samedi matin, j’étais au MIN de Rungis. Le soir j’ai appris que je devais fermer boutique”, témoigne Arnaud Beuzit, fleuriste à Saint-Maur-des-Fossés. Dans le Val-de-Marne comme ailleurs, beaucoup d’entreprises se sont retrouvées brutalement à l’arrêt suite aux mesures de confinement préventives à l’épidémie de coronavirus Covid 19, d’autres sont restées en partie sur le pont. Toutes se projettent dans l’après. Enquête.
“Je me suis retrouvé avec un stock de fleurs fraîches sur les bras, poursuit Arnaud Beuzit. En principe, cela devrait entrer dans le champ catastrophe naturelle mais je n’ai eu aucun retour de l’assureur pour l’instant.” Pour ce fleuriste, qui a donné sa vie depuis quatre ans pour se mettre à son compte, ne se versant toujours pas de salaire – ce qui ne lui donne même pas droit au chômage partiel, cet arrêt brutal est l’occasion d’une remise en question décisive. “Cela m’a remis les idées en place. Je pense que je vais réfléchir à vendre le magasin. Je garderai mon entité mais vais plutôt travailler en sous-traitance pour des événements, des décors. Cela me permettra de gérer mon temps et de ne plus travailler 10 à 12 heures, 7 jours sur 7 “, confie-t-il. Le magasin avait pourtant trouvé sa place dans le paysage, en progression constante, grâce à ce sacerdoce. Mais lorsque l’on est tout seul à tout porter, le coup comme le coût sont trop rudes à encaisser.
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A Villecresnes, Solange Beuzart et Gilles Guillou n’ont pas quitté les fourneaux de leur restaurant tout de suite. Leur première urgence a été de cuisiner tous les produits frais. “On a passé trois jour à préparer les plats et les mettre sous vide”, témoigne la cheffe de Chez Solange. Ensuite, une partie a été donnée au CHU Mondor et au CHI de Créteil pour soutenir les soignants, et une autre livrée, moyennant 1 à 5 euros le plat, à des personnes ne pouvant pas sortir. “Nous avons par exemple été contactés par une dame en attente d’une greffe. Deux fois par semaine, nous lui apportons des plats et des masques”, indique la restauratrice. Pour tenir le choc économique, la petite entreprise qui venait d’embaucher un jeune “perle rare” à peine quelques jours avant, a profité des dispositions permettant de suspendre temporairement le remboursement de crédits tandis que l’apprenti était mis en chômage partiel. Les chefs, eux, ne sont pas salariés, donc pas de chômage. “Ces mesures nous ont vraiment permis d’éviter d’angoisser, apprécie la cheffe d’entreprise. J’aimerais que ce type de dispositif existe de manière permanente, lorsqu’une entreprise rencontre des embûches. Ce serait très utile.” La reprise, Solange Beuzart, ne la voit pas forcément le jour J de la fin du confinement. “Le plus compliqué pour un restaurateur est de fermer son restaurant. Tout doit être nickel. Maintenant que c’est fait et alors que nous avons des mines de papier mâché après plusieurs semaines de confinement, nous allons peut-être prendre l’air trois jours avant de ré-attaquer!”
Pour Lucile Marty, fondatrice de HP Concept, qui propose des prestations de lavage haute pression et réalise aussi de la production et du négoce, la reprise sur des chapeaux de roue constitue en revanche un défi majeur. “J’avais plusieurs gros chantiers prévus sur mars avril, et d’autres planifiés ensuite. Il va falloir complètement réorganiser le planning pour satisfaire tout le monde. Je compte sur la compréhension de mes clients mais mon but sera aussi de facturer pour rattraper le temps perdu. Je pourrais prendre des intérimaires mais dans ce cas, je vais perdre de la marge”, livre la dirigeante. Pour l’heure, la société, basée à Bry-sur-marne, a fermés ses deux ateliers de fabrication et mis 90% de son personnel en chômage partiel, ne maintenant qu’une petite activité d’e-commerce tout en se demandant jusqu’à quand elle pourra livrer. Pour sécuriser la trésorerie, la cheffe d’entreprise a aussi suspendu le paiement des taxes comme prévu par les dispositions d’urgence.
Même préoccupation de planning pour Sallly Bennacer, qui a créé son entreprise de commercialisation et installation de stores, volets, cloisons et placards, Art and blind, au Kremlin-Bicêtre voilà bientôt vingt ans. Pour se projeter dans la reprise, l’entrepreneure, élue à la CCI 94, continue sa relation commerciale. Pas question en revanche d’aller installer. “Poser un store ne vaut pas une vie! Mais on prépare l’après. Je poursuis la préparation des devis et j’ai décroché des commandes.” De quoi ne pas regarder l’avenir de manière trop sombre, ce qui n’empêche pas les préoccupations immédiates, pratiques. Sauver la trésorerie, l’urgence est la même pour tout le monde, avec les mêmes recours : report du paiement des crédits et des taxes, chômage partiel…
En fonction des secteurs d’activité, l’impact de la crise est partiel ou total. Dans le bâtiment par exemple, elle est quasi-totale. “Nous sommes à l’arrêt à 90-95%, témoigne Bernard Benoist, dirigeant de l’Union des compagnons paveurs et à l’initiative du XV du Val-de-marne, un club de PME locales qui ont joué en équipe pour prendre leur part du marché Grand Paris Express. Notre seule activité est le nettoyage des terrains que l’on nous a demandé de libérer dans le cadre du prolongement de la N 406. Il s’effectue avec le personnel volontaire. La reprise dépendra de trois facteurs : la volonté des maîtres d’oeuvre, les fournisseurs, et la sécurité des effectifs. Pour l’heure, les collectivités publiques ont demandé de stopper les chantiers et la plupart des fournisseurs sont fermés.” Concernant la sécurité des personnels, l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics) a mis en place un guide pour maintenir une activité tout en prenant des précautions.
Dans l’industrie, certains établissements ont fermé à 100%. C’est le cas par exemple de Renault Choisy-le-Roi, qui emploie environ 260 personnes pour reconditionner des pièces détachées.
Chez Microplast- Ecom, PMI de Périgny-sur-Yerres, c’est tout le contraire! Le personnel est à fond, à la fois mobilisé pour produire des pièces indispensables à d’autres groupes, notamment dans le domaine de la santé, et pour réaliser, de sa propre initiative des masques de protection à une échelle industrielle.
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“Sur la trentaine de personnes en production, il n’y en a que 7 qui ont dû rester chez elles pour garder leurs enfants. Les personnels sont équipés de masques à cartouche, de gants, il y a du gel hydroalcoolique à disposition partout et on ne se prête pas les machines, détaille le dirigeant, David Anger. Le temps de convivialité de la pause déjeuner a aussi été repensé. Nous avons transformé momentanément les bureaux dont les salariés sont en télétravail en espaces de restauration pour garder les distances de sécurité.” Pas question toutefois de prendre des risques sur la trésorerie. Comme la majorité des entreprises, la société a reporté le paiement de l’Urssaf et gelé les crédits. L’enjeu est de se donner tous les moyens de répondre à la demande lorsque tous les marchés redémarreront. “Car quand cela va reprendre, ce sera de la folie”, pressent David Anger.
A Bry-sur-Marne encore, Festo, filiale d’une entreprise familiale allemande à déploiement international, a pu anticiper la crise avec quinze jours d’avance, forte de l’expérience de la filiale italienne. “Nous avions commencé à prévoir le télétravail, sécuriser les connexions, et une bonne partie du personnel était rentrée avec son matériel avant mêmes les annonces de confinement”, témoigne Jean-Michel Tasse, directeur général de la filiale française et vice-président de la CCI 94. Ici, 95% des équipes sont en télétravail. Seuls quelques salariés sont restés en poste, à la production concernant des matériels agro-alimentaires, et à la logistique, notamment pour réceptionner, au début, les colis retournés en raison des entreprises fermées. Une petite partie des effectifs a aussi été mise en activité partielle. “Nous avons entièrement réorganisé notre agenda pour accélérer sur les formations et travaillé sur un rétro-planning pour pouvoir repartir de façon efficace sur des chapeaux de roue.”
Le bilan ne pourra se faire qu’à l’issue de la crise
Pour l’heure, difficile toutefois de faire un bilan réel de l’impact de la crise sur les entreprises, car les mesures prises par le gouvernement pour éviter la catastrophe compète permettent de tempérer pendant la période de confinement. La note s’affichera à l’issue de la crise. “Le report des échéances gèle les situations”, note François Bursaux, président du Tribunal de commerce du Val-de-Marne, qui indique ne pas avoir observé de hausse des demandes d’entreprises en difficulté. A noter que le Tribunal a repris son activité de manière dématérialisée pour les demandes urgentes. Il est joignable au mail suivant : audience@greffe-tc-creteil.fr
Les chambres consulaires au chevet des entreprises
Pour éviter que la fin de la crise ne s’achève par un dépôt de bilan, Chambre de commerce et d’industrie et Chambre des métiers et de l’artisanat sont aussi aux petits soins. “Nous avons réactivé la cellule de crise que nous avions mise en place au moment des gilets jaunes et nous appelons directement les entreprises pour nous enquérir de la situation. Chaque CCI d’Ile-de-France appelle environ 500 entreprises par semaine et dans le Val-de-Marne par exemple, 16 personnes sont mobilisées”, détaille Géraldine Frobert, directrice de la CCI du Val-de-Marne. De son côté, la Chambre des métiers et de l’artisanat indique avoir déjà traité 650 demandes avec ses conseillers, tous mobilisés en télétravail. Sur ces 650 entreprises, 82% ont indiqué avoir perdu plus de 75% de leur chiffre d’affaires!
“Aujourd’hui, les attentes des entreprises concernent l’indemnisation pour baisse du chiffre d’affaires, le financement de la trésorerie, le chômage partiel et le report des charges et cotisations sociales”, résume Gérard Delmas, président de la CCI du Val-de-Marne, qui constate également un impact plus violent pour les petites TPE. “La grande entreprise est structurée, la toute petite entreprise se retrouve très vite avec des problèmes de trésorerie.” Pour s’adapter au confinement, la CCI a passé en revue son offre de services pour les adapter au seul canal qui ne déroge ^pas aux gestes barrière, le numérique. Une série de webinars sont ainsi déjà programmés à partir d’avril.
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