En septembre 2020, un baromètre Ipsos/Secours Populaire estimait qu’un Français sur trois avait subi une perte de revenus depuis le confinement. Alors que les conséquences sociales de la crise sanitaire s’ajoutent aux températures hivernales, les associations d’entraide ne chôment pas. Enquête.
“On fait face à des besoins jamais atteints qui traduisent un appauvrissement sans précédent d’une fraction importante de la population”. Après 9 mois de pandémie, Jean-Louis Durand-Drouhin, le président du Secours Populaire Ile-de-France, dresse un bilan plus qu’inquiétant de la situation actuelle. Même après la fin du premier confinement, l’afflux du public vers les associations d’aide a perduré : sur la campagne d’été, les Restos du Cœur recensent +16% de fréquentation par rapport à 2019.
Pour le Secours Populaire francilien, entre 200 000 et 250 000 personnes ont été accueillies cette année, contre 151 000 l’année dernière – soit une augmentation d’environ 50%. Mais la demande n’est pas la même dans toute l’Île-de-France. Les associations s’accordent à dire que les principaux foyers de précarité se situent à Paris et en Seine-Saint-Denis. Alors qu’à l’échelle nationale, les Restos du Cœur enregistrent une hausse de la demande d’environ 20%, la section de Paris connaît un accroissement de 30% dans ses centres, et de plus de 60% pour ses camions itinérants. Le 93, qui compte près d’une trentaine de centres, a vu son nombre de bénéficiaires augmenter de plus de 40%. Dans les autres départements, la tension n’est pas aussi importante mais l’augmentation reste palpable. La Seine-et-Marne est habituellement le deuxième département accueillant le plus de bénéficiaires aux Restos du Cœur, derrière la Seine-Saint-Denis. “Étonnamment, la population accueillie dans nos centres est restée stable. Mais, du fait de la politique gouvernementale, de plus en plus de camps de migrants sont apparus dans le département. Donc on a eu une augmentation significative de nos distributions pour ces personnes “, précise Serge Malet, président des Restos du Cœur Ile-de-France.
Un nouveau public, de nouveaux enjeux
Dans cette hausse sans précédent, on assiste à l’arrivée de nouveaux demandeurs, jamais vus dans les associations d’aide alimentaire jusqu’ici. Intermittents de la culture, travailleurs précaires, intérimaires, retraités, étudiants et même commerçants et artisans se sont ajoutés aux autres bénéficiaires. “On a affaire à des personnes qui étaient en situation de précarité et qui tombent dans la pauvreté. D’autres en situation de pauvreté qui basculent dans la misère”, constate le Secours Populaire d’Ile-de-France. Par exemple, à l’antenne de Bonneuil-sur-Marne, un retraité du bâtiment de 70 ans, et un mécanicien en chômage partiel viennent pour la seconde fois. Pour Nicole Farlotti, présidente de la Banque Alimentaire de Paris et d’Ile-de-France (BAPIF), “la hausse de la demande à Paris s’explique notamment à cause de la forte population étudiante, qui dépendait grandement des petits boulots, mais aussi à cause du tissu associatif plus dense. En Seine-Saint-Denis, les nouveaux publics sont globalement des gens précaires qui étaient déjà sur le fil, et qui ont basculé dans la pauvreté à la suite de la pandémie.”
Le Secours Populaire de Seine-Saint-Denis a par exemple mis en place des distributions spécifiques pour les étudiants. D’une distribution mensuelle d’une cinquantaine de colis à l’université de Saint-Denis, l’association est passée à deux distributions toutes les deux semaines, à Saint-Denis, Bobigny et Villetaneuse – pour un total d’environ 1900 colis par mois. À l’Université de Nanterre, l’association étudiante Asega distribue des paniers alimentaires hebdomadaires pour remplacer l’épicerie solidaire fermée à cause du confinement. Au mois de novembre, elle aidait 75 étudiants contre une trentaine en moyenne les années précédentes. Du côté des universités, l’accès au restaurant CROUS est toujours ouvert. Pour autant, le menu à 1 euro est seulement accessible aux boursiers et les étudiants n’habitent pas tous près de leur université.
Pour répondre à cet afflux de population, les associations qui distribuent des paniers alimentaires s’adaptent. “On essaye d’augmenter l’ouverture de nos centres, être ouvert 5 matinées, voire 5 journées par semaine selon les structures, pour accueillir le plus de personnes et respecter les gestes barrières”, explique Serge Malet. Une adaptation qui prend également en compte les nouveaux publics. Dans les Hauts-de-Seine par exemple, certains centres des Restos du Cœur ouvrent spécifiquement en soirée pour permettre aux étudiants de venir récupérer leur panier après leur journée de cours. Le Secours Populaire a également mis en place des “solidaribus” pour faire le tour des facultés et des hôtels sociaux.
Année exceptionnelle, moyens exceptionnels
Pour cette année 2020, les associations peuvent compter sur l’aide du gouvernement, des collectivités et des acteurs privés. Dans le plan de relance dévoilé par Jean Castex le 2 septembre dernier, 100 millions d’euros sont consacrés à un plan de soutien aux associations de prévention et de lutte contre la pauvreté. À cela s’ajoute le Fond européen pour les plus démunis (FEAD). Pourtant censé baisser de près de moitié à partir de 2021, le FEAD a finalement largement augmenté au vu des circonstances. “C’est environ 40% de moyens supplémentaires sur l’année 2021 et au moins 10% en plus les années suivantes” détaille le président du Secours populaire Ile-de-France. Un soulagement pour les associations, car le FEAD représente 40% du stock alimentaire du Secours Populaire IDF et 1/3 des repas des Restos du Cœur. “On est également soutenu par la population et les entreprises. Avec les plateformes de distribution, on réalise de nombreuses collectes”, ajoute Serge Malet.
Autre disposition exceptionnelle, 5 000 places d’hébergement d’urgence ouvertes dans le cadre du plan hiver 2019 ont été maintenues en 2020. De plus,1 400 places ont été créées en anticipation de ce même plan, comme l’a annoncé Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, le 19 novembre. Elles s’ajoutent aux 120 000 places dédiées à l’hébergement tout le long de l’année, selon la préfecture de la région. Emmaüs solidarité est une des associations qui orientent et assurent l’accueil des personnes sans abri, notamment à travers 25 centres d’hébergement d’urgence et une quinzaine de centres d’hébergement et de réinsertion dans la région. “Avec la convention de prolongation de 4 ans d’un centre d’hébergement à Bonneuil-sur-Marne on va pouvoir maintenir une capacité de 100 places jusqu’en 2024. En partenariat avec la ville de Paris et de l’État, on a ouvert un pavillon public dans le Bois de Vincennes avec une capacité de 17 places, et une halte de nuit de 4 places. Depuis le 6 novembre, on dispose de 84 places dans un hôtel de tourisme à Paris et dernièrement on a ouvert 124 places dans une auberge de jeunesse dans le 20e arrondissement” détaille Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs solidarité. Pour faire face à un public toujours plus nombreux, une dizaine de projets d’ouverture sont également en cours de réalisation.
Même s’il reconnaît une mobilisation certaine de l’État, Bruno Morel alerte encore sur la situation de 500 personnes “sans solution”, recensées par la quinzaine de centres d’accueil de jour, et les 3 maraudes de l’association actives sur le territoire. Pour lui, le fond du problème réside dans l’accès à un logement stable. On a encore du mal à ouvrir des pensions de famille, ou sur les logements de types très sociaux à coût abordable” prévient-il. Par ailleurs, au sortir de l’hiver, et de la crise, une partie des structures d’hébergement d’urgence fermeront et “le sujet de la pérennisation des places se posera.”
Une aide sociale qui va devoir s’inscrire dans la durée
Débordées par le nombre de personnes en détresse, les associations ont du mal à poursuivre les activités d’accompagnement social (cours de français, cours d’informatique, soutien scolaire, aide aux démarches administratives ou encore conseil budgétaire). Aux Restos du Cœur, le président estime par exemple que 40% des bénévoles sont absents, pour des raisons de séniorité ou de fragilité. “Nos activités d’aide à la personne se sont pour beaucoup arrêtées, ce qui génère de la frustration aussi bien pour les bénévoles que les bénéficiaires”, se désole Serge Malet. Quelques cours de français et d’informatique ont pu s’organiser en visioconférence, mais seulement avec les personnes disposant d’un ordinateur. “On ne peut pas dire qu’on connaît une pénurie de bénévoles, car on arrive à ouvrir nos centres. Mais on reste très limite. Aujourd’hui, les bénévoles actifs sont très fatigués. Ce sont les mêmes qui étaient présents pendant le premier confinement et la campagne d’été.”
Pourtant, l’ampleur de la crise actuelle nécessite un accompagnement poussé, comme l’explique Jean-Louis Durand-Drouhin : “on a bien conscience de la diversification des besoins, de la précarisation et de l’appauvrissement de la population. On doit donc agir sur le long terme.” Il est particulièrement concerné par la question de l’accès au matériel et à une formation informatique, essentielle pour réduire la fracture numérique. “Les jeunes ne sont pas tous égaux devant l’enseignement. Les personnes âgées aussi sont touchées par la fracture numérique. C’est un sujet nouveau qui a pris une ampleur inédite pendant le confinement. La question de l’accès à leurs droits par l’ordinateur est primordiale.”
Pour les 200 structures franciliennes du Secours Populaire, le vivier de bénévoles s’est renouvelé avec l’arrivée de nombreux jeunes et les stocks de denrées alimentaires sont suffisamment importants. Mais d’autres problèmes se posent : “on a besoin de moyens pour adapter nos locaux aux normes sanitaires et pouvoir accueillir les nombreux nouveaux bénéficiaires. On a également besoin de 50% de surface de stockage alimentaire en plus. On craque aujourd’hui. On comptabilise entre 10 et 15 locaux dont il faut revoir l’aménagement.” anticipe Jean-Louis Durand-Drouhin, qui évoque également le besoin de s’étendre dans les zones blanches comme dans l’est de la Seine-et-Marne, ou dans le Val-d’Oise dans le plateau du Vexin. La crise sanitaire implique également de revisiter les méthodes. Pour respecter les gestes barrières, les Restos du Cœur distribuent les paniers alimentaires “en drive” depuis l’été. De son côté, le Secours Populaire, a mis de côté la convivialité lors de ses distributions comme au centre de Bonneuil-sur-Marne.
Malgré l’ampleur des moyens mobilisés, les associations restent conscientes des difficultés à venir : “la situation est préoccupante, si on se réfère à la crise économique 2008. On imagine que l’année 2021 et probablement 2022, vont être encore plus compliquées que cette année”, se résigne le président des Restos du Cœur.
Propos recueillis par Lina Tran, Raphaël Bernard, Pablo Girard
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