Vélo | Ile-de-France | 13/05/2020
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Ile-de-France: le “monde d’après” commence à bicyclette

Ile-de-France: le “monde d’après” commence à bicyclette

En blackboulant nos modes de vie habituels, la crise sanitaire du coronavirus, inédite et planétaire, a donné lieu à un bouillonnement d’idées pour penser un “monde d’après” en rupture, notamment sur le plan écologique. Dans ce contexte, une révolution encore impensable à cette échelle il y a quelques mois se prépare dans nos rues, celle du vélo. Le point en Ile-de-France.

RER V: une utopie presque concrétisée

En mars 2019, quand le collectif Vélo Ile-de-France, qui regroupe 35 associations cyclistes de la région, a commencé à plancher sur la première esquisse de son RER V, il n’imaginait sans doute pas la vitesse à laquelle le projet se concrétiserait. Pour les associations, l’enjeu était de réussir à relier les nombreux bouts de pistes existantes pour en faire un réseau praticable et sécurisé de bout en bout. Présenté officiellement en janvier 2020, le plan de 9 lignes longeant les RER A, B, C, D, E, les deux voies le long de la Seine et de la Marne (S et M) et deux circulaires (PC et GC) a été d’emblée accueilli avec intérêt par les collectivités locales, cofinanceurs stratégiques de ce projet à 500 millions d’euros. Alors que l’un des grands enjeux de la métropole parisienne est de réduire l’automobile pour diminuer la pollution, ce réseau favorisant les échanges au-delà de la capitale, pensé par les usagers, arrivait déjà dans un contexte mûr.

La carte du RER V

Quelques mois plus tard, après que le coronavirus ait chamboulé toutes les perspectives, le projet s’est carrément invité comme l’une des solutions incontournables pour éviter la pagaille lors du déconfinement. Objectif: limiter la fréquentation des transports franciliens à 20% de la jauge habituelle, c’est à dire à 1 million au lieu de 5 millions de personnes, le tout sans engluer tous les axes routiers ni lâcher les objectifs de dépollution de l’agglomération. Au niveau national, un plan de 20 millions d’euros a été annoncé pour encourager la pratique du vélo, allant du forfait de 50 euros pour la remise en état d’un vélo aux dispenses d’un certain nombre d’autorisations administratives préalables pour mettre en oeuvre des pistes cyclables provisoires.

En Ile-de-France, le Conseil régional, qui avait déjà pris l’engagement de financer 50% du projet de RER V, a monté sa participation à 60% , y compris pour des aménagements temporaires. “Nous sommes convaincus que le vélo a un vrai potentiel de croissance. Avant les grèves, 400 000 franciliens prenaient leur vélo chaque jour. Notre objectif est qu’ils soient 800 000 lors du déconfinement pour éviter les embouteillages et la foule dans les transports en commun”, motive Grégoire de Lasteyrie, conseiller régional délégué aux nouvelles mobilités et maire de Palaiseau.

Les départements accélèrent

De leur côté, les départements ont passé leurs routes au crible pour déployer leur part du RERV, promettant tour à tour des nouveaux km de pistes provisoires en complément de leur plan vélo de long terme. Le Val-de-Marne a annoncé 40 km de pistes en bidirectionnel en priorisant la RD7, la RD120 et la RD86 pour doubler les lignes 1, 7 et le RER A. Et ce lundi 11 mai, les 3 lignes étaient prêtes à l’exception du carrefour Pompadour, en attente d’autorisation. La Seine-Saint-Denis s’est engagée sur 45 km en priorisant les ex RN2 et RN3. Les Hauts-de-Seine ont planifié 40 km en commençant par les RD920 et RD911 pour doubler le RER B et la ligne 13 du métro, mais aussi le boulevard circulaire de La Défense. Au-delà de la petite couronne, l’Essonne vient aussi d’annoncer ses 40 km de pistes cyclables temporaires le long de la ligne du RER B, autour du pôle multimodal de Massy ou encore le long de l’axe RN20. Un balisage sur la N7 (au niveau du carrefour des Portes de l’Essonne à Athis Mons) et de la D445 (à l’entrée de Fleury Merogis) est aussi prévu ainsi qu’un itinéraire le long de l’Orge entre Arpajon et Juvisy-sur-Orge.

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Paris offre Rivoli aux vélos

A Paris, où l’équivalent du RER V pour le métro, baptisé Vélopolitain, s’est largement invité dans la campagne des municipales, la crise du coronavirus a aussi accéléré la concrétisation avec une cinquantaine de km de pistes cyclables temporaires dont la plus emblématique est sans conteste la rue de Rivoli, avec un couloir dédié depuis l’hôtel de ville jusqu’à la Concorde. Au-delà, la ville travaille au doublement vélo des lignes de métro 1, 4, et 13.

La carte des pistes sanitaires provisoires établie par le collectif Vélo Ile-de-France.
Voir leur site pour l’actualisation de la carte.

Les villes aussi changent de braquet

Cette dynamique des grands axes départementaux et de la capitale, qui représentent plus de 200 km de pistes provisoires, a aussi infusé dans les communes, en partenariat avec les intercommunalités.

Dans le Val-de-Marne, Créteil, ville préfecture emblématique pour son urbanisme entièrement pensé pour l’automobile dans les années 1950, vient ainsi d’annoncer 6 km de pistes cyclables supplémentaires d’un seul tenant depuis la voie Pompadour au Sud (zone d’activités Europarc, stade Duvauchelle) jusqu’à l’hôpital Henri Mondor et le centre administratif de l’Echat. Une révolution sur l’avenue du Général de Gaulle, très attendue des cyclistes.

De son côté, Vincennes a décidé d’accompagner les pistes temporaires départementales de l’avenue de Paris de trois axes vélos communaux rue Diderot, rue de Strasbourg et rue de Fontenay. Dans le même temps, Saint-Mandé, également riveraine de l’avenue de Paris, a passé l’ensemble de la commune en zone 30 et autorisé les contresens cyclables réclamés de longue date par les usagers du vélo. Fontenay-sous-Bois n’est pas en reste, avec un lot de nouvelles voies cyclables.

Fontenay-sous-Bois

En Seine-Saint-Denis, Montreuil a aménagé 8 km de pistes temporaires sur les avenues Résistance, Gabriel-Péri, Pasteur, Fernand-Lamaze, Didier-Daurat, Marceau, République, et les boulevards Chanzy, Henri-Barbusse, Paul-Vaillant-Couturier, Aristide-Brillant.

Dans les Hauts-de-Seine encore, Neuilly-sur-Seine a déployé des pistes provisoires sur la stratégique avenue Charles de Gaulle qui relie Paris à La Défense. Il restera toutefois à travailler les deux liaisons vers ces villes pour permettre des itinéraires de bout en bout.

Les cyclistes au rendez-vous

Au troisième jour du déconfinement, impossible de prédire si les cyclistes déferleront sur les nouvelles pistes mais les premiers signes sont plutôt encourageants. Plutôt boudées ce lundi en raison de la pluie et du vent, les nouveaux itinéraires ont trouvé preneurs ce mardi. A Châtillon par exemple, la part modale du vélo était de 16% sur la RD906 entre 8h30 et 9h30, selon les comptages réalisés par une association adhérente du Collectif Vélo Ile-de-France. “C’est exceptionnel” commente Louis Belenfant, directeur du collectif.

“Sur la D86, la fréquentation a été modeste au début avec environ 40 vélos/heure lundi matin sous la pluie, mais elle a augmenté ce mardi, témoigne Philippe Ungerer, co-président de l’association Partage ta rue 94. C’est un vrai soulagement pour les cyclistes par rapport à l’accoutumée, sur cette artère dont certains tronçons comptaient jusqu’à 11 voies accessibles aux véhicules motorisés. Le fait d’avoir barré une voie dans chaque sens ne semble pas congestionner le trafic voiture”, estime le cycliste.

De Ivry-sur-Seine à Paris, Frédéric a aussi croisé du monde en trottinette. “J’ai acheté cette trottinette électrique deux mois avant le confinement, peu après les grèves contre la réforme des retraites. J’en avais marre d’être bloqué par cet obstacle des transports en commun. Alors, même si j’ai eu des difficultés au début, que je suis tombé deux fois au point de me faire une entorse, je ne regrette pas mon achat. Je gagne même du temps, pour me rendre dans le 15ème arrondissement, sur mon lieu de travail. Je fais environ 8 bornes par jour. Officiellement, je roule à 25km/h. J’ai repris le travail ce mardi et je constate qu’il y a pas mal de monde sur les pistes, d’avantage que d’habitude. Au début, on se dit que c’est pénible, que la distanciation n’est pas vraiment respectée, et puis on fait preuve de civisme.”

Même constat pour Antoine Gougeon, président de l’association Mieux se déplacer à bicyclette (MDB) Nogent – Le Perreux. “Lundi, ce n’était pas terrible à cause du mauvais temps mais mardi, les cyclistes étaient présents et ce mercredi matin, entre 7h et 8h, j’ai croisé une cinquantaine de vélos entre Nogent et La Bastille, ce qui est plus que d’habitude.”

A Paris, Christophe a vu du monde dès le lundi soir. “Aux alentours de 19h30 vers République et Magenta, on faisait un peu la queue à vélo. On pouvait en compter une douzaine devant soi! La dernière fois qu’il y avait autant de monde à vélo, c’était pendant les grèves contre la réforme des retraites” , confie le réalisateur de clips de 27 ans, habitant du 18ème arrondissement.

Il faut aussi laisser le temps de découvrir ces nouvelles pistes. “A Vincennes, les cyclistes ont l’habitude de contourner l’avenue de Paris et ils vont devoir s’approprier ces itinéraires”, commente Mathieu Chiara, représentant Marne et Bois de Paris en selle.

“Ces coronapistes ont contribué à la démocratisation du vélo comme moyen de transport alternatif à la voiture, se réjouit Stein van Oosteren, le porte-parole du collectif Vélo Île-de-France. Ce que nous avons vécu ces dernières semaines rompt avec le processus habituel de réalisation d’une piste cyclable. Jusqu’à présent, il fallait partir d’un constat de terrain et faire remonter l’information aux différentes collectivités gestionnaires de voiries, puis mener des études, cela pouvait prendre des années. Grâce à l’urbanisme tactique, nous pouvons aujourd’hui faire l’inverse. La piste est installée en quelques jours puis ajustée en fonction des retours des usagers”, encourage l’associatif.

Rouler, tester, ajuster… pérenniser

Comme pour le coronavirus, il s’agit désormais de tester massivement ce dispositif, pour faire remonter ce qui va, ce qui ne va pas, ce qui manque, et puis il faudra voir aussi comment évolue la cohabitation avec les voitures qui sont encore majoritairement à l’arrêt.

“Notre souhait, c’est que durant cette période, les usagers se rendent compte que le vélo est une liberté : pas de contrainte horaire, pas d’embouteillage, distanciation sociale respectée et confort si l’on est bien équipé. C’est la raison pour laquelle il faut créer un véritable système autour des ces coronapistes, avec le renforcement des places de stationnement pour les vélos, des aides à l’acquisition et aux réparations…”, demande Agnès Laszczyk présidente de l’association Le nez au vent de Marollesen-Brie et administratrice du collectif Vélo Île-de-France.

D’ores et déjà, les usagers du vélo ne sont pas en pénurie de propositions. “Il y a encore des problèmes d’interconnexion, comme à la Porte de Vincennes où l’on passe subitement du trottoir à la route”, indique Mathieu Chiara. “A certains endroits, peut-être pourrait-on remplacer les stationnements par des voies cyclables en parallèle de proposer un stationnement gratuit dans les parkings voisins”, suggère Antoine Gougeon.

“Nous avons remonté aux services techniques un certain nombre d’aménagements : balise et séparateur de voie, marquage au sol, limitation de vitesse à20 km/h, panneau pédagogique vélorue pour les automobilistes, parcours à optimiser, ajout d’axes rapides, contrôle du respect de la circulation, stationnement sécurisé vélobox et Véligo, station de réparation avec gonflage”, énumère Patrick Conan, président de Fontenay vélo.

Philippe Ungerer, lui, envisage aussi de nouvelles pistes, indiquant que trois associations (MDB Alfortville – Maisons Aflort, MBD Ivry Vitry Choisy et Partage Ta Rue 94) ont envoyé des courriers ce lundi au Conseil départemental et aux villes et territoires concernés pour demander une piste cyclable sur l’une des trois voies du pont du Port à l’Anglais, qui franchit la Seine. “Ce pont est dangereux pour les cyclistes et très fréquenté : jusqu’à 120 cyclistes/heure l’hiver dernier, sans doute plus actuellement.”

Agnès Laszczyk invite pour sa part à travailler le maillage fin, une fois les grands axes achevés. Mais surtout, elle voudrait que cela dure… “Maintenant, notre objectif est de voir la transformation de ces lignes jaunes en lignes blanches !”

Propos recueillis par Virginie Idéal, Florent Bascoul et Cécile Dubois.

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