Reportage | | 07/02/2020
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Ivry-sur-Seine: les maraudes festives de De la Rue à la Scène retissent le lien social

Ivry-sur-Seine: les maraudes festives de De la Rue à la Scène retissent le lien social

Fondée par d’anciens membres de l’Emmaüs Comedy Club, l’association De la Rue à la Scène s’appuie sur le théâtre pour rompre l’isolement des personnes démunies et sans-abris. Depuis fin décembre, le groupe de comédiens bénévoles distribue aussi des repas et des vêtements chauds à Ivry-sur-Seine, dans une ambiance résolument humaine et chaleureuse. Reportage.

Ce samedi soir glacial, la musique d’une cithare méditerranéenne, le kanoun, emplit les couloirs presque déserts du centre commercial Jeanne Hachette, au-dessus du métro Mairie d’Ivry. Hend Zouari, la directrice de l’association, joue près du stand où trônent marmite de soupe portugaise concoctée par une bénévole, thé à la menthe et invendus gracieusement offerts par des commerçants du coin : fruits, baguettes de pain, pâtisseries, et parts de tartes salées. Un peu plus loi, il y a aussi de quoi s’habiller et se chausser.

Ému, un homme se met à accompagner la mélodie de sa voix rauque, en langue arabe. Voix puissante et cheveux grisonnants, Mohammed vit dans la rue depuis son arrivée d’Algérie il y a trois ans. 

« Ce bouillon, il me rend nostalgique de celui du pays », livre-t-il. Il se voit ici entre copains, dans une atmosphère de compréhension implicite. Car les membres du groupe de théâtre associatif De la Rue à la Scène, à l’initiative de ces maraudes, ont aussi connu la rue.

Hend Zouari au kanoun et Mohammed au chant, un duo improvisé.

Nés dans le sillage de l’Emmaüs Comedy Club

Le noyau fondateur s’est rencontré par le club de stand up du foyer Emmaüs qu’animait Yves Pontonnier depuis 2016. Suite à une rupture familiale, cet ancien cycliste a connu la rue pendant plusieurs années avant de rebondir. Inspiré du « Jamel Comedy Club », son « Emmaüs Comedy Club », profite un temps d’une médiatisation inespérée. Mais après plusieurs scènes, dont un spectacle au Hangar en février 2017 avec l’humoriste Chinois marrant (de son vrai nom Bun Hay Mean), l’aventure s’arrête abruptement.

« Mes anciens « élèves » Thierry [Béard] et Lincoln [Jospeh] sont alors venus me trouver pour continuer le théâtre », explique leur ancien prof. Ensemble, ils montent De la Rue à la Scène en octobre 2018, avec à sa tête Hend Zouari, la femme d’Yves. Objectif : la réinsertion sociale des plus précaires, par la participation à des cours de théâtre et des scènes ouvertes. Lauréats cette année du budget participatif de la municipalité qui leur a permis de bénéficier d’une enveloppe de 7000 euros, ils vont mettre en place des ateliers vidéo dès février avec, en vue, la réalisation d’un court-métrage, d’un reportage ou d’un documentaire.

L’idée des maraudes est venue récemment. « Le 23 décembre dernier, nous avons organisé un réveillon-spectacle solidaire avec le soutien de la Fondation de France, le « Show’lidaire », raconte Yves. Ça a eu son succès. Et puis on s’est dit qu’on allait continuer le 31. » L’habitude est prise, ils vont poursuivre les weekends suivants.

«  le plus difficile, c’est les gens qui ne te regardent même plus  »

Beaucoup des bénéficiaires de leurs maraudes sont des hommes seuls, pour qui trouver un lit en foyer en appelant le 115 relève quasiment de l’impossible. Le Secours Populaire ou La Croix Rouge, qui maraudent les autres jours, tentent de parer aux urgences alimentaires. Mais les associations ne peuvent résoudre le problème structurel du manque d’hébergements.

A Ivry, les sans-domiciles-fixes se réfugient dans les parkings et les halls vides, et sont souvent en proie aux addictions. « C’est très dur », confie Ahmed. Chaque nuit, le jeune homme doit se résoudre à dormir sur le béton froid. « Mais le plus difficile, c’est les gens qui ne te regardent même plus, explique-t-il. Ici au moins, on nous parle comme à des êtres humains. On n’est pas des clochards, tu sais. »

Yves Pontonnier et “Titi” Thierry Béard, distribuant des invendus des boulangeries.

Ressouder une communauté de quartier

Alors, pour n’oublier personne, le cofondateur de l’association, Thierry, dit « Titi », fait le tour des endroits qu’il connait. Rescapé de la drogue, il a lui-même longtemps dormi dehors et sait où les bénéficiaires se réfugient habituellement pour passer la nuit. Toujours en verve et enthousiaste, il a troqué la résignation qu’on aurait pu attendre de lui contre une bonne humeur désarmante.

« Venez goûter », propose chaleureusement l’acteur amateur à tous les commerçants et les passants qu’il croise. Le but est avant tout d’inviter aux échanges entre tous les habitants, qu’ils soient sans-domicile-fixe ou non. Certains s’arrêtent et engagent la conversation, ou déposent de quoi manger.

Frédéric, responsable de vignoble dans une maison de champagne à Ambonnay dans la Marne (Grand Est), est même venu de très loin pour donner un coup de main. « C’est sûr que c’est très différent de mon environnement habituel », sourit-il. Après avoir découvert l’association sur les réseaux sociaux, il n’a pourtant pas hésité à rouler 160 kilomètres et 2 heures jusqu’à Ivry. Ce bénévole de l’extrême a ramené avec lui quelques vêtements et la marmite géante utilisée pour faire la soupe.

Association De la Rue à la Scène
https://www.delaruealascene.com/
delaruealascene@gmail.com

A noter sur l’agenda. Le prochain spectacle de la formation De la Rue à la Scène, intitulé « Les Récidivistes », se jouera le 5 juin prochain dans la salle du Hangar à Ivry.

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