Reportage | | 01/03/2020
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Les feux de détresse du centre de rétention administrative de Vincennes

Les feux de détresse du centre de rétention administrative de Vincennes © FB

Mardi 4 février dernier, en début de soirée, une épaisse fumée noire a envahi l’un des bâtiments du centre de rétention administrative (CRA) de Paris Vincennes, sur le plateau de Gravelle. L’incendie a été maîtrisé mais a causé d’importants dégâts matériels. L’expression d’un malaise pour les associations de défense des droits de l’homme comme l’Observatoire citoyen du CRA. C’est dans ce contexte que deux députées, Elsa Faucillon (PCF) et Danièle Obono (LFI), sont venues exercer leur droit de visite parlementaire ce jeudi 27 février.

De l’aveu des policiers chargés de la gestion du CRA de Vincennes, il y a régulièrement des départs de feu. «Ce n’est pas souvent intentionnel. Il arrive par exemple qu’ils ne fassent pas attention aux endroits où ils jettent leurs mégots de cigarette encore fumantes. Dans ce genre de situation, nous sommes rapidement alertés et parvenons à les éteindre», explique une fonctionnaire. Rien à voir avec l’incendie qui a pris le 4 février dernier en début de soirée dans une partie du bâtiment A2 où sont logés une cinquantaine de retenus. «Il semble que tout soit parti de trois chambres. Nos collègues ont d’abord été gênés par la fumée épaisse noire, puis des retenus ont tenté de bloquer les portes pour ralentir leur intervention. Entre temps, les pompiers sont arrivés et ont pu éteindre le feu. Aucun hydrocarbure n’a été retrouvé sur place mais les températures atteintes par l’incendie ont interpellé les enquêteurs. Nous avons dû trouver une solution pour héberger les retenus ailleurs jusqu’à ce que le bâtiment soit à nouveau en état», relate un gradé.

Une des chambres dans lesquelles a démarré l’incendie du 4 février dernier

Selon les témoignages récoltés par les associations de défense des droits de l’homme, cet incendie a été le point d’orgue de plusieurs semaines de tension au CRA. Certains retenus décrivent des conditions de vie effrayantes: manque d’hygiène, mauvaise alimentation, recours aux anti-dépresseurs et faits de violence policière. Ils auraient donc entamé des grèves de la faim pour protester. Alertées sur la situation, les députées Elsa Faucillon (PCF) et Danièle Obono (LFI) ont donc fait usage de leur droit de visite des lieux de privation de liberté ce jeudi. L’occasion pour les retenus ont voulu de partager leur sort avec les parlementaires «Cela fait plus de 40 jours que je suis là. On est traité comme des chiens ici. Les policiers nous insultent. Parmi nous, il y a des gens qui sont malades, qui sont fous. J’ai refusé de prendre mes derniers repas», décrit un homme attendant de consulter un des personnels soignants mis à disposition du CRA par l’AP-HP. Plus loin, dans une cour, un Tunisien demande carrément à rentrer au pays. «Je n’en peux plus. Je suis malade, j’ai un staphylocoque. J’ai mon ordonnance mais j’attends les médicaments depuis 20 jours. Je veux retourner au bled voir ma maman avant qu’elle ne meure», supplie-t-il.

L’incendie a été déclenché en mettant le feu à ces matelas sensés être ignifugés

De plus en plus de problèmes psychologiques

De l’avis de la jeune femme qui gère l’une des permanences de l’ASSFAM, l’association habilitée pour venir en aide aux retenus, ces dernières semaines ont vu l’arrivée plus importante de personnes souffrant de troubles psychiques, citant notamment un étranger réorienté vers le CRA après un séjour au centre hospitalier Sainte-Anne. «Un retenu à l’origine de l’incendie a été envoyé à Fleury-Mérogis. Il avait des problèmes psychologiques. Il a expliqué avoir entendu des voix. C’est assez choquant. Ces gens n’ont rien à faire dans des lieux de privation de liberté». Des situations qui ne s’arrangent pas avec l’allongement de la durée possible de rétention, passée de 45 à 90 jours. Même si la moyenne reste de 17 jours selon le CRA, le malaise généré par cette attente d’expulsion ou de relaxe génère des angoisses irrépressibles. «Nous sommes témoins d’actes dramatiques. Ils sont prêts à tout pour ne pas être renvoyés chez eux. Un d’entre eux a avalé une lame et s’est tranché la gorge de l’intérieur. Certains agressent des agents, préférant être incarcérés. Dans d’autres cas, ils simulent une pathologie», indique le responsable du site. Concernant les grèves de la faim, l’équipe médicale indique avoir constaté une dizaine de cas en une dizaine de mois.

L’observatoire citoyen, ici représenté par Odile Ghermani (béret rouge), en compagnie des députées Elsa Faucillon (PCF) et Danièle Obono (LFI), veille sur la situation au CRA de manière fidèle, visitant au maximum les retenus au parloir pour recueillir leur témoignage, leur parcours de vie souvent singulier, et les chroniquant sur leur site Internet. En novembre, l’observatoire s’est ainsi attelé à recueillir les témoignages de retenus à propos de la mort d’un jeune Tunisien de 19 ans mort le 8 novembre au CRA 2B de Vincennes.
Voir le site de l’observatoire citoyen du CRA de Vincennes

Des policiers aussi en attente de partir

Travail ingrat, la surveillance des centres de rétention administrative ne passionne pas les policiers et ils sont nombreux à demander à être mutés une fois qu’ils ont passé suffisamment de temps dans ce qui est souvent leur première affectation. «Nos recrues s’entraînent pour réaliser des missions de police secours ou des interventions sur la voie publique, alors, lorsqu’elle arrivent ici, il y a un petit temps d’adaptation», explique le commandant en charge du CRA de Vincennes. D’ici à 2020, une réforme doit permettre d’améliorer la fidélisation des policiers.

Frustrés par cette mission peu intéressante, certains fonctionnaires se comporteraient-ils mal avec les retenus ? «Dès que nous accueillons les nouveaux, je leur explique que leur meilleure arme, c’est le dialogue et en dernier recours, le rapport écrit. Ils savent que de toutes façons, s’ils se mettent à la faute, cela va nuire à leur avancement de carrière», assure le capitaine chargé des équipes de jour, en montrant l’un des centres de supervision regroupant une quarantaine de caméra de vidéosurveillance qui scrutent les parties communes du bâtiment.

Selon des témoignages de retenus, certaines parties communes ne sont toutefois pas couvertes par les caméras, comme la zone des coffres où les retenus peuvent déposer leurs affaires précieuses ou interdites comme les téléphones avec caméra.

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