Directeur d’Ehpad durant 30 ans, à l’initiative de la création du Groupement des Ehpad publics du Val-de-Marne, Richard Tourisseau, désormais retraité, réagit à la tribune du fils de Georges et Lilane Marchais, publiée le 15 avril dans le journal L’Humanité et dénonçant un abandon des Ehpad par l’Etat, avant même la crise du coronavirus auquel Liliane Marchais a succombé. L’ancien directeur d’Ehpad dénonce lui un désengagement des Conseils départementaux et prône un rattachement de la compétence grand âge aux ARS (Agences régionales de Santé). Le Conseil départemental dément et inscrit les propos de l’ex-directeur dans un débat politique et de lobbyistes plus large.
Dans une tribune publiée le 15 avril dans le journal L’Humanité, le fils de Liliane et Georges Marchais, Olivier Marchais, témoigne de la peine qu’il a ressentie à ne pouvoir visiter sa mère, décédée du coronavirus Covid 19 à la fondation Favier de Bry-sur-Marne, durant les cinq semaines qui ont précédé son décès, confinement oblige. Le fils de l’ancien secrétaire général du PCF déplore ensuite la situation dramatique structurelle des Ehpad (Etablissements hospitaliers pour personnes dépendantes), avant même la crise sanitaire.
“Le plan Grand Âge 2008-2012, conçu il y a quatorze ans, préconisait 10 agents pour 10 résidents (taux = 1), tous métiers confondus. En 2020, nous sommes toujours à 6 agents pour 10 résidents. En Allemagne et en Belgique, ils sont 8 pour 10 résidents, en Suède et au Danemark, 12 pour 10 résidents, sans pour autant avoir des tarifs supérieurs aux nôtres. La prise en charge de la dépendance aux Pays-Bas représente 3,7 % du PIB ; 2,5 % au Danemark. En France, nous sommes à 1,7 % du PIB”, chiffre ainsi Olivier Marchais, notant que dans le même temps, les personnes qui entrent en Ehpad sont de plus en plus âgées et dépendantes, majoritairement en GIR 1 et 2 (groupes iso-ressources les plus dépendants). Pour rappel, les GIR s’échelonnent de 1 à 6, des personnes les plus dépendantes aux personnes les plus autonomes
Lire la tribune d’Olivier Marchais : “Te regarder dans les yeux ” (Sur le site de l’Humanité)
Ancien directeur, jusqu’en septembre 2018, du Groupement des Ehpad publics du Val-de-Marne qui compte 13 sites et environ un sixième des places en Ehpad du département, Richard Tourisseau, également délégué CFDT, a réagi à cette tribune par une lettre à Olivier Marchais (publiée intégralement ci-dessous).
Dans cette lettre, l’ancien directeur d’Ehpad reconnaît le déficit de moyens lié aux dotations de l’Etat, et dénonce par ailleurs les diminutions de dotations des Conseils départementaux, également compétents en matière de financement de ces établissements, prenant pour prétexte la loi du 29 décembre 2015 dite loi Delaunay instaurant une convergence tarifaire des forfaits de soin en Ehpad. Dans le Val-de-Marne, l’ancien directeur note ainsi que la dotation départementale de la Fondation Favier est passée de 1,44 million d’euro en 2018 à 1,28 million d’euro en 2019. “Cela représente une bonne dizaine de postes d’aides soignants. Et ce dans l’indifférence quasi-générale. Nous verrons si cette politique se poursuit en 2020”, calcule le patron d’Ehpad retraité.
Ce dernier critique également une présence effective insuffisante des élus dans les instances de gouvernance des maisons de retraite. “Si les conseillers départementaux siègent dans les conseils d’administration des Ehpad publics, force est de constater que dans un grand nombre d’établissements, une forte minorité y brille par son absence”, balance Richard Tourisseau.
L’ex-directeur conclut sa missive en proposant carrément de transférer la compétence d’assistance aux personnes âgées aux ARS (Agences régionales de santé) qui sont sous la tutelle du ministère de la Santé, s’appuyant sur le rapport Libault de mars 2019. Ce rapport, rendu par par le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, Dominique Libault, préconisait 175 propositions dont une gouvernance partagée entre départements et ARS.
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De son côté, le Conseil départemental dénonce une “affirmation mensongère”. Rappelant que le président du département, Christian Favier (PCF), qui était sénateur lors du vote de la loi Delaunay, s’y est opposé, et que le département “a décidé d’appliquer un moratoire uniquement pour les établissements perdants mais permettant aux autres Ehpad de bénéficier des effets d’une convergence positive.” Et d’estimer le surcoût généré par ce moratoire de 520 000 € en 2017 et de 773 295 € en 2018, chiffrant que ce maintien a conduit à une augmentation mécanique du point GIR. “En 2018, la valeur nette du point GIR départemental (7,94€) est la plus haute constatée en Ile-de-France (7,85€ pour Paris) avec maintien de cette valeur en 2019”, détaille le département. “Les mécanismes de financement des Ehpad sont complexes mais on peut retenir qu’il n’y a depuis 2016 (année d’application de la loi Delaunay), aucun Ehpad dont le budget dépendance a diminué du fait du moratoire départemental. Le Conseil départemental du Val-de-Marne poursuit la revalorisation volontaire des budgets de Ehpad les moins bien dotés”, poursuit le département.
Concernant la proposition de rattacher la gouvernance du grand âge aux ARS, le département rappelle “qu’il s’agit d’une expression personnelle qui ne peut engager les Ehpad publics du Val-de-Marne.”
Voir ci-dessous, la réaction intégrale du département aux propos visant l’action départementale.
La lettre ouverte de Richard Tourisseau, dans son intégralité
Cher monsieur Marchais,
J’ai pris connaissance de votre lettre-témoignage écrite à l’occasion du décès de votre maman. Je ne peux que vous renouveler mes sincères condoléances, à la fois comme individu et comme ancien directeur de la Fondation Favier-Val de Marne que j’ai été pendant une trentaine d’années même si j’en suis aujourd’hui à près de 700 kilomètres.
Je comprends votre chagrin d’avoir été privé des derniers instants que vous auriez pu passer avec votre maman. Mais vous reconnaissez qu’il n’était pas facile de conjuguer présence des familles et d’entraver l’entrée du virus. Là-encore « le jour d’après » viendra dire si nous avons eu tort d’être trop draconiens, trop inhumains à l’égard des résidents et de leur famille. Au cours de ces trois années passées ensemble, vous avez pu constater que cela n’a jamais été l’attitude de la maison et que seule la volonté de bien faire a pu conduire à de telles décisions.
Vous soulignez le dévouement des agents qui, au quotidien, oeuvrent auprès de ces personnes particulièrement fragilisées. Encore une fois leur courage est mis en avant et l’on découvre toutes celles, car très majoritairement, ce sont des femmes, qui subissent des heures de transport en commun, parce que les conditions du logement proche de leur travail sont inaccessibles du fait de la faiblesse de leurs ressources. Et, bien souvent, aussi l’absence de reconnaissance, car il ne leur est guère pardonné, dès lors que leur professionnalisme requis doit s’accompagner du zéro défaut, cher à notre Société parfaite. Et la mythologie macronienne du héros dût-elle en souffrir, lorsqu’est glorifiée la vision selon laquelle « une nation n’est libre et forte que d’avoir des héros dont elle doit se montrer digne, en s’élevant à leur hauteur et en restant soudée »*. Car confrontée à tous ces héros du quotidien, ces « sans grade » dont le rôle, l’abnégation, le courage font que, dans un contexte hors du commun, ils sont là à effectuer leurs gestes basiques mais essentiels pour le plus grand bien de tous. C’est bien de les saluer, mais c’est encore mieux de les reconnaître et autrement qu’à coups de primes trop souvent symboliques. Et cela permettrait à leurs enfants de les regarder avec des étoiles dans les yeux, avec la fierté de savoir que sans eux les choses iraient moins bien, en les voyant partir très tôt le matin et souvent rentrer tard le soir.
Vous constatez leur nombre insuffisant, le manque de moyens qui entoure leur action en vous appuyant sur les nombreux rapports et/ou articles (dont celui que j’ai cosigné). Surtout en cette période, où le moindre absentéisme ne peut être pallié. Et pourtant ce ne sont pas elles, qui, « la guerre » annoncée, ont fui. La débâcle, elles n’en sont pas responsables, mais il leur a fallu garder les enfants, ayant malheureusement trouvé des portes d’écoles fermées ou des solutions de garde s’esquiver par peur d’attraper le virus. Sans compter celles qui ont été atteintes par la maladie.
Alors que se passe-t-il dans notre beau pays de France ? Pourquoi, comme un marronnier, la situation des maisons de retraite (je préfère cette dénomination à EHPAD, même si certains éminents linguistes voyaient dans le terme de retraite un retrait du monde) est régulièrement évoquée. Les milliards sont dénombrés, les solutions esquissées et, au moment du passage à l’acte, d’autres priorités sont mises en avant.
Vous évoquez l’Etat. Dans cet établissement, mieux doté certainement que d’autres, car ayant opté pour un tarif global de soins, il faut rappeler que la valeur unitaire reste inchangée depuis 2011. Pas besoin d’être un grand économiste pour mesurer la régression des moyens en près de 10 ans…
Et puis, trop souvent, on oublie l’autre partenaire : le département. Certes, les élus nous rappellent qu’ils sont les victimes des nombreux plans d’assainissement des finances publiques de ces dernières années. Mais tous ont pris prétexte des décrets de la loi du 29 décembre 2015, dite loi Delaunay, pour mener une politique d’appauvrissement des établissements publics. Dans le Val de Marne, notre conseil départemental a su, comme les autres, baisser les dotations dépendance. Paradoxalement on a retiré aux établissements publics pour donner… aux établissements privés commerciaux pour les ramener à un niveau moyen. Cette longue descente est prévue pour durer 7 ans. Le Val de Marne s’est accroché pendant deux ans à maintenir tarifs et enveloppes… puis il a fléchi au prétexte que l’agence régionale de santé (ARS), sur décision de l’Etat, compenserait les économies ainsi générées pour les départements. C’est ainsi que, par exemple, la dotation globale de l’établissement a baissé de près de 12 % entre 2018 et 2019 ! Cela représente une bonne dizaine de postes d’aides soignants. Et ce dans l’indifférence quasi-générale. Nous verrons si cette politique se poursuit en 2020.
Enfin, si les conseillers départementaux siègent dans les conseils d’administration des EHPAD publics, force est de constater que dans un grand nombre d’établissements, une forte minorité y brille par son absence. Comment voulez-vous que d’ici à mars 2021, ils soient promoteurs de programmes ambitieux ! Dans ces conditions, dans le prolongement du rapport Libault, ne vaudrait-il pas mieux tourner le dos à ce qui a toujours relevé de la compétence, partagée puis exclusive, du département depuis le XIXème siècle, à savoir l’assistance aux personnes âgées et confier le tout aux ARS ?
Désolé, monsieur Marchais, d’avoir utilisé votre cri du cœur pour pousser le mien. Paraphrasant le propos du chirurgien Jacques Tenon dans ses « Mémoires sur les hôpitaux de Paris », en 1791, je dirai que les maisons de retraite « sont en quelque sorte la mesure de la civilisation d’un peuple ».
Réaction du Conseil départemental du Val-de-Marne à propos de l’action départementale
Les propos prêtés à Monsieur Tourisseau s’inscrivent dans un débat politique et de lobbyistes plus large sur la future loi Grand Age, reportée à plusieurs reprises par le Gouvernement.
Le Conseil départemental considère donc ses propos comme une opinion personnelle et politique. Il ne souhaite pas alimenter une polémique qui apparaitrait indécente au regard de la crise sanitaire que connaissent les EHPAD actuellement.
Les propos de Monsieur Tourisseau présentent une vision partielle de la situation et ne permettent pas de saisir la complexité du financement des EHPAD en France.
Monsieur Tourisseau affirme notamment que le Conseil départemental aurait « comme les autres » baissé les « dotations dépendance » en prenant « pour prétexte des décrets de la loi du 29 décembre 2015 dite loi Delaunay ».
Or, cette affirmation est mensongère à plusieurs titres.
Tout d’abord, la loi Delaunay a imposé aux Conseils départementaux de faire converger le tarif payé pour la dépendance (l’APA en établissement) à un même niveau. C’est une volonté nationale, pas un choix des collectivités locales. Les EHPAD en dessous de la moyenne voient leurs budgets augmenter et ceux au-dessus, diminuer. C’était le principe de la réforme.
Si cette réforme avait été appliquée en Val-de-Marne, de nombreux établissements, pour l’essentiel des EHPAD publics, auraient dû voir leurs forfaits dépendance diminuer sensiblement avec la réforme.
Mais le Département a décidé d’appliquer un moratoire uniquement pour les établissements perdants mais permettant aux autres EHPAD de bénéficier des effets d’une convergence positive. Malgré des contraintes budgétaires inédites, le Conseil départemental n’a pas fait le choix d’imposer aux EHPAD les baisses imposées par ailleurs par l’Etat.
Le moratoire départemental a eu pour conséquence :
– Un surcoût pour le Département de 520 000 € en 2017 et de 773 295 € en 2018,
– Une augmentation mécanique du point GIR : en 2018, la valeur nette du point GIR départemental (7,94€) est la plus haute constatée en Ile-de-France (7,85€ pour Paris) avec maintien de cette valeur en 2019.
La loi Delaunay a été dénoncée par de nombreuses collectivités dont le Conseil départemental. Christian FAVIER, Sénateur lors de ce vote, avait exprimé à plusieurs reprises son opposition à ces mécanismes de convergences.
Depuis 2018, l’Etat, au travers des ARS, octroie une compensation aux EHPAD perdants, via son seul instrument de financement : le forfait soins. Et ce, en attendant les positions de la future Loi Grand âge (dont le calendrier a été repoussé, depuis plus d’un an).
Le Conseil départemental du Val de Marne est un des Conseils départementaux de France qui rémunère le mieux le tarif moyen de l’APA en établissement (7, 94€), cela n’est pas du tout rappelé.
Les mécanismes de financement des EHPAD sont complexes mais on peut retenir qu’il n’y a depuis 2016 (année d’application de la loi Delaunay), aucun EHPAD dont le budget dépendance a diminué du fait du moratoire départemental. Le Conseil départemental du Val-de-Marne poursuit la revalorisation volontaire des budgets de EHPAD les moins bien dotés.
Monsieur Tourisseau s’exprime également sur la gouvernance des EHPAD en France. Il s’agit d’une expression personnelle qui ne peut engager les EHPAD publics du Val-de-Marne.
Pour le Conseil départemental du Val-de-Marne, avant la gouvernance, le financement des EHPAD demeure la question première, celle dont dépend le niveau de personnel, la qualité des services et le tarif aux résidents.
Je suis surpris que mes propos puissent être qualifiés de politique, de nombreux élus connaissent mes opinions et options politiques, que je continue dans le Gers en ayant été élu au premier tour avec les mêmes convictions que celles qui m’animaient dans le Val de Marne… Quant à lobbyiste, je ne sais pas ce que cela veut dire.
Loin de tout souci polémique, qui ne m’intéresse pas, je voudrais revenir sur une seule affirmation dans la réaction départementale : “aucun EHPAD dont le budget dépendance [n’] a diminué du fait du moratoire départemental”. Les chiffres que je donnais étaient la comparaison entre 2018 et 2019. Il y a 10 établissements publics dans notre département.
2 font exception à une baisse des dotations, Soleil d’automne à Fresnes (+2,41 % en dotation dépendance mais -5,79 % en dotation 94) et la résidence Pierre Tabanou à L’Haÿ-les-Roses (+7,70 % en dotation 94 et stable en dotation globale -0,01 %). De plus, la situation de la résidence Les lilas à Vitry-sur-Seine est particulière en ce qui concerne sa dotation globale. Comme on peut le constater dans le fichier joint, les 10 établissements publics voient leur dotation globale dépendance baisser de 3,03 % et la dotation globale 94 de 12,97 %. Tous ces montants sont consultables dans le recueil des actes administratifs du Val de Marne.
Enfin j’ai toujours exprimé mon point de vue et je ne vois pas pourquoi j’aurais engagé le Groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) Les EHPAD publics du Val de Marne dont je ne suis plus membre depuis 20 mois et qui n’a jamais exprimé son point de vue sur une telle question. Je n’ai jamais dit non plus que c’était mon souhait. J’ai simplement dit que de nombreux conseillers départementaux ne remplissent pas le mandat qui leur a été confié et que si cela perdure, ils ne pourront pas faire valoir leur action. J’ai soutenu la campagne de défense du département, car je crois à son utilité, et surtout à son action dans les secteurs qui sont son coeur de métier (personnes âgées, personnes handicapées), ce qui n’exclut rien. Mais je voudrais aussi que les élus partagent ce point de vue. Et ils se rendraient compte que derrière la complexité alléguée, il revient au politique de prendre les décisions.
Et là, je peux partager la conclusion de la réponse départementale “Pour le Conseil départemental du Val-de-Marne, avant la gouvernance, le financement des EHPAD demeure la question première, celle dont dépend le niveau de personnel, la qualité des services et le tarif aux résidents”. Cela a d’ailleurs été l’orientation que j’ai proposée, en tant que directeur, aux instances chargés d’arrêter les moyens des établissements…
Il y a les dotations (aux EHPAd) du Conseil départemental et de l’État. Mais il faudrait publier les tarifs à la charge des pensionnaires et de leur famille, un montant effarant.
En précisant qu’au décès, le département est prioritaire sur la succession, si le/la pensionnaire et ses enfants avaient des revenus trop faibles. Combien le département récupère-t-il ainsi chaque année ?
Les comptes des EHPAd publics sont-ils publics ?
C’est pourtant vrai ,un véritable abandon des EHPAD à la fois par les conseils départementaux …et l’ETAT qui devront rendre des comptes
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