Explosion des tarifs, report des travaux de modernisation de l’accueil, augmentations d’effectifs et des salaires, taux d’insatisfaction client, imputation des écarts de caisse aux caissiers… Dans un rapport publié ce 27 juillet, la Chambre régionale de la Cour des comptes (CRC Ile-de-France) épingle sérieusement l’exploitation de la Tour Eiffel. Explications et réactions de la société exploitante.
Troisième monument le plus visité de France derrière le musée du Louvre et le château de Versailles, la Tour Eiffel accueille entre 6 millions et 7 millions de visiteurs chaque année. Connue dans le monde entier, la Dame de fer semble toutefois avoir négligé la qualité de son service d’accueil par rapport aux standards actuels des grandes attractions touristiques, malgré une forte augmentation de ses tarifs (passés il y a quelques années de 17 à 26 euros pour monter au sommet). Un retard qui se fait sentir dans la fréquentation. Organisme en charge d’étudier la gestion des entités qui fonctionnent avec de l’argent public, la Chambre régionale de la Cour des comptes vient de publier un rapport critique sur la gestion de ce monument emblématique de la capitale française.
Contexte. Construite pour l’exposition universelle de 1889, la Tour Eiffel est devenue propriété de la ville de Paris dès la fin de cet événement tandis que sa jouissance commerciale était accordée à une société privée créée par Gustave Eiffel, jusqu’en 1980. La dame de fer a ensuite été exploitée par une société d’économie mixte associant la ville de Paris et des investisseurs privés, la Sete (Société d’Exploitation de la tour Eiffel), laquelle s’est transformée en SPL (Société publique locale) en 2016, actuellement détenue à 99% par la ville de Paris et 1% par la Métropole du Grand Paris. L’exploitation de la Tour Eiffel par cette SPL fait l’objet d’une délégation de service public (DSP) jusqu’en 2030. Pour entretenir et faire fonctionner cette attraction, la Sete emploie 340 collaborateurs. Son chiffre d’affaires tourne autour de 100 millions d’euros.
Une qualité de service qui n’est pas au niveau des grandes attractions touristiques
Dans son rapport d’observations, la Chambre régionale de la Cour des comptes alerte sur une baisse de la fréquentation, laquelle a culminé à plus de 7 millions de visiteurs en 2014 avant de diminuer autour de 6 millions en 2016. Une chute que la CRC impute à la fois à des temps d’attente trop longs occasionnant une insatisfaction client, des journées de fermeture pour aléas trop nombreuses (12,5% du nombre total de journées entre 2015 et 2018) et une augmentation tarifaire. La CRC regrette du reste qu’il n’existe pas de “données objectives” sur le temps d’attente jusqu’au sommet et invite à faire de ce temps une expérience usager utile. Pour illustrer son propos, la Chambre cite un commentaire cruel du site Trip Advisor : “3 h de queues … 40 mn pour la sécurité, ensuite 1 h 30 jusqu’aux caisses, puis 40 mn d’attente pour le premier ascenseur, encore de l’attente pour le deuxième ascenseur qui rejoint le sommet…Tout cela sous 36° Ne pourrait-on pas mettre des panneaux pour que les gens attendent ou non en connaissance de cause ? Une honte pour tous les touristes. En haut pas d’explications sur les différents quartiers, monuments”.
“29 % des visiteurs ne vont pas au sommet pour une raison de coût”
“Une enquête de satisfaction réalisée en 2018 a montré que 37 % des visiteurs jugent le prix trop élevé au regard de la qualité de la visite ; 29 % des visiteurs ne vont pas au sommet pour une raison de coût. En effet, une nouvelle convention de délégation de service public (DSP) entre la Ville de Paris et la SETE, entrée en vigueur au 1er novembre 2017, a permis une hausse de 47,1 % du prix du billet. Aussi, en dépit des bons résultats de la fréquentation touristique constatés sur l’ensemble de l’Île-de-France, les années 2018 et 2019 ont connu une forte baisse du nombre de visites de la Tour Eiffel”, pointe la CRC. Dans sa réponse au rapport d’observations de la Chambre régionale de la Cour des comptes, le directeur de la Sete, Patrick Branco Ruivo se veut encourageant, indiquant q’entre 2018 et 2019, la part d’insatisfaction des visiteurs concernant l’attente sur le parvis a diminué de 8 points. Concernant les jours de fermeture, le directeur rappelle que l’exploitant ne maîtrise pas les fermetures pour raisons météorologiques ou pour travaux sur le sommet.
Le projet d’espace d’accueil retardé suite aux attentats de 2015
La CRC dénonce en particulier le report des travaux qui devaient être financés par la hausse des tarifs. Une zone souterraine d’accueil comprenant des salles de spectacle et un musée et devrait ainsi permettre d’améliorer les capacités pour passer de 7 millions à 10 millions de visiteurs par an. “La plupart des tours ouvertes au public développent d’ailleurs de vastes espaces de loisirs et de commerces en pied de tour, comme la plus haute et la plus récente, la SkyTree, à proximité de Tokyo”, souligne la CRC.
Mais, comme en convient le gendarme des dépenses publiques, la vague d’attentats à Paris en 2015 a modifié les priorités au profit de la sécurisation du périmètre. De son côté, Patrick Branco Ruivo pointe l’extrême complexité des travaux sur un site classé comme la Tour Eiffel. “Un centre d’accueil enterré sous le parvis de la tour Eiffel a certes été étudié en 201 comme le souligne la CRC, mais l’idée de ce projet a été abandonnée en raison de son coût trop élevé et du refus de l’architecte des bâtiments de France de revoir le nivellement du parvis rendu nécessaire par ce projet”, rappelle le directeur de la Sete.
Place au projet Grand site Tour eiffel
Dans ce contexte, la ville de Paris a repris la main en tant que maître d’ouvrage pour faire réaliser ce nouvel espace d’accueil dans le cadre d’un projet urbain plus large qui s’étend sur 54 hectares du Trocadéro au Champs de Mars et de Bir-Hakeim au musée du quai Branly. Le projet, remporté par l’agence Gustafson Porter + Bowman doit être réalisé entre le Trocadéro et la place Jacques-Rueff avant les Jeux olympiques de 2024, et entre la place Jacques-Rueff et l’Ecole militaire après les JO.
(Voir la description du projet sur le site de la mairie de Paris)
“Contrairement aux affirmations de la CRC, il n’était pas envisageable de réaliser ce projet en même temps que celui de sécurisation du parvis, sauf à fermer la Tour pendant plusieurs années, ce qui n’était évidemment pas possible d’un point de vue financier car ce sont les recettes des visites qui financent les travaux. Pour rappel, une fermeture du site impacterait lourdement les 800 travailleurs de la tour Eiffel mais aussi l’environnement touristique parisien. Alors que la sécurisation du parvis a dû être réalisée dans des conditions d’urgence impérieuse compte tenu du risque terroriste diagnostiqué par la Préfecture de Police, il n’était pas envisageable, contrairement à ce que suggère la CRC, de mener concomitamment ces deux projets sans faire courir un risque sécuritaire aux visiteurs“, détaille le directeur de la Sete.
Billetterie en ligne
En attendant, la CRC presse la Sete d’accélérer sur la billetterie en ligne avec attribution de créneaux horaires précis. Sur ce point, le directe de la Sete indique que 50% des billets sont désormais vendus enligne et que cette tendance “va s’affirmer davantage encore dans les mois à venir”.
L’augmentation des salaires dans le viseur
La CRC questionne par ailleurs l’augmentation des effectifs (passés de 317 à 345 équivalent temps plein de 2015 à 2018) et des salaires. “En moyenne, les salaires annuels bruts évoluent entre 55 000 € pour les non cadres et 120 000 € pour les cadres de direction”, relève la Chambre qui corrèle ces chiffres à la compensation d’un dialogue social difficile en raison des changements liés au développement de la vente sur Internet. Un motif que réfute le directeur de la Sete qui motive l’augmentation des effectifs “pour lancer un véritable programme de transformation”. Concernant les caisses, la CRC va jusqu’à émettre un rappel au droit pour exiger qu’il soit mis fin “à la sanction pécuniaire illégale que constitue l’imputation aux caissiers des écarts de caisse”. Sur ce point, le directeur de la Sete rappelle “que les caissiers bénéficient d’une prime de caisse permettant précisément de couvrir leurs éventuels déficits” mais indique “qu’il est envisagé de recourir à un système d’assurance individuelle, beaucoup plus simple et équitable, d’ici la fin de l’année.”
La gouvernance par SPL sur la sellette
Sur le principe, la Cour des comptes invite la ville de Paris à remettre en question le mode de gouvernance par Société publique locale, statut hybride entre la gestion directe et la gestion externe. “La forme juridique de la société publique locale (SPL) a permis à la Ville de Paris de déléguer la gestion du monument sans mise en concurrence, la collectivité étant supposée exercer sur la SETE un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. Dans les faits, toutefois, ce contrôle n’a pas permis à la Ville d’empêcher de fortes augmentations des dépenses de personnel. En outre, le statut de société anonyme a contraint la Ville à rechercher des co-actionnaires et n’a pas permis à la SETE de bénéficier du mécénat, source de financement pourtant prévue par le contrat de délégation de 2017.”
Sur ce sujet, c’est la secrétaire générale de la ville de Paris (la commune est actionnaire de la Sete à 99%), Aurélie Robineau-Israël, qui répond en indiquant que la commune réalise un “contrôle important” des activités de la Sete à la fois “par un dialogue stratégique” et par “les dispositifs de pilotage mis en place par la direction des finances et des achats”. La Métropole du Grand Paris, actionnaire de la Sete à 1%, n’a formulé aucune observation.
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