Urbanisme | Paris | 10/09/2020
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Pourquoi le projet d’agrandissement de la Gare du Nord divise

Pourquoi le projet d’agrandissement de la Gare du Nord divise © Valode et Pistre

Après avoir vu son permis de construire validé par le préfet de région le 6 juillet dernier, le projet de métamorphose de la gare du Nord a fait l’objet d’un recours contre les travaux par la mairie de Paris et des associations de riverains. Dans le quartier, tout le monde n’est pas encore au courant, et ceux qui le sont oscillent entre rejet d’un grand machin commercial et attentes d’une montée en gamme du quartier.

Porté par la SEMOP Paris gare du Nord 2024, société créée par la SNCF et Ceetrus, filiale d’Auchan, le programme vise à dé-saturer la gare, première d’Europe en termes de trafic avec 222 millions de voyageurs par an, et la transformer en “destination en soi” en lui ajoutant un paquet de commerces et équipements de loisirs. La SNCF estime que le trafic augmentera de 30% d’ici à 2030, avec une progression de 50% d’Eurostar aux heures de pointe mais aussi plus de trafic local grâce à l’extension de la ligne de RER E à l’ouest. Concrètement, le trafic passerait de 700 000 à 800 000 visiteurs par jour en 2024 puis 900 000 en 2030. Baptisé StatioNord, le projet, dessiné par l’agence Valode et Pistre, doit voir le jour pour 2024. Son budget : 600 millions d’euros.

Séparation des flux arrivées et départs

En bref, le projet prévoit de construire un nouveau bâtiment en façade vitrée sur le flanc est de la gare, en place de l’actuelle halle. Légèrement en retrait par rapport à la gare historique, il comprendra 5 niveaux de commerces, services et terrasses végétalisés. Le double enjeu de ce nouveau bâtiment sera de séparer les flux des départs et arrivées grande ligne et d’ajouter un centre commercial dans les espaces supérieurs.

© Valode et Pistre
Le nouveau bâtiment, à droite de l’entrée principale

Ce niveau bâtiment accueillera au rez-de-chaussée un hall d’échange qui distribuera les espaces vers toutes les directions (Transilien, départs et arrivées grandes lignes…) tandis que le niveau supérieur sera dédié aux départs des grandes lignes.

© Valode et Pistre
Hall d’échange

La grande halle actuelle, halle Hittorff, sera quant à elle exclusivement dédiée aux arrivées et retrouvera sa configuration initiale, en supprimant la mezzanine ajoutée pour l’accueil de l’Eurostar.

© Valode et Pistre
Halle Hittorff

20 000 M2 de commerces

Les étages supérieurs accueilleront commerces, salons voyageurs, restaurants, salle de spectacle de plus de 2000 places, équipements de sport, espaces de coworking, et terrasses végétalisées avec un arboretum pédagogique et des terrains de basket et de padel. Au total, les 60 000 m2 de surface du nouveau bâtiment comprendront environ 40 000 m2 d’équipements commerciaux et récréatifs dont 110 magasins. De quoi faire passer la surface commerciale totale à 20 000 m2.

En dehors de la gare, le projet prévoit aussi le réaménagement de la gare routière, qui sera directement connectée au terminal des départs, une vélostation de 1000 places vélos ainsi que 200 places pour les autres objets roulants (trottinettes, poussettes…)

Pour en savoir plus sur le projet, voir le site dédié

Deux avis défavorables

Le projet, toutefois, reste dans le collimateur de la ville de Paris, en raison de sa volumétrie et de sa densité commerciale. Fin 2019, deux rapports d’expertise commandités par la ville ont convergé pour remettre en question la séparation des départs et arrivés grandes lignes, la faisabilité et la nécessité de boucler le projet avant 2024, la volumétrie, et insister pour une concertation plus aboutie avec la ville et les riverains, notant que les demandes de ces derniers portaient sur plus de respiration et pas plus de densification. Malgré des réunions de négociation jusque début juillet, le consensus n’a pas été trouvé avant que le feu vert du préfet pour le permis de construire. C’est dans ce contexte que la ville de Paris a déposé un recours gracieux contre le projet début septembre, ne suspendant pas le début destravaux. En parallèle, l’association de riverains Retrouvons le Nord de la gare du Nord a attaqué fin août la déclaration de projet au Tribunal administratif.

Voir les rapports commandités par la ville

“Le projet conçu par la SNCF et son partenaire privé Ceetrus, filiale immobilière du groupe Auchan, a pour principal objectif de transformer la gare du Nord en une immense galerie marchande, ne traitant les flux des voyageurs que pour mieux les orienter vers de nouveaux commerces pour beaucoup sans rapport avec les besoins de la grande majorité des usagers de la gare. De plus l’impact environnemental négatif de ce centre commercial dans une zone déjà saturée par le trafic routier et très fréquentée ne fait désormais aucun doute. C’est pourquoi nous agissons aussi en concertation avec le Comité des habitants La Chapelle-Gare du Nord”, motive l’association de riverains.

Dans le quartier, les avis sont partagés. Agent de maintenance à la SNCF, Valentin se range derrière la mairie. “C’est dela poudre aux yeux pour les J.O. Ces commerces risquent de devenir des coquilles vides une fois la compétition passée comme à Pékin (2008) ou à Rio (2016)”, s’inquiète le jeune homme de 28 ans. Affairé à réparer les tableaux d’affichage du hall Eurostar, son collègue Antoine, 20 ans, abonde. “Je ne ressens la saturation ni en tant qu’employé, ni en tant que voyageur, et pourtant je prends le RER B tous les jours depuis un an pour venir travailler.”

“La gare est saturée en trains, pas en voyageurs !” explique une agente, qui accueille les derniers passagers du TGV pour Lille, indiquant que deux voies ont déjà été fermées en prévision des travaux. Conséquence : les TER, dans lesquels on peut monter sans contrôle, côtoient parfois les TGV pour lesquels les billets sont vérifiés avant le départ. Un casse-tête qui nécessite plus d’effectifs, et plus de vigilance, pointe l’agente.

Xavier Bregail, délégué Sud-Rail à la Gare du Nord, fustige pour sa part “l’alliance malsaine” passée par son employeur avec Ceetrus, y voyant le début de la privatisation de la gare, avec l’accélération de la suppression des zones d’accueil voyageurs que les travaux impliquent. “Il y a encore 7-8 ans, on en avait une cinquantaine dans la gare. Maintenant, on en a à peine 10. Cet été, j’ai vu des queues longues de 1h30 devant les guichets. Le projet n’est pas là pour faciliter le voyage, c’est sûr.”

Dans le quartier, on attend surtout des abords plus avenants

Pour Valentin, il y a tout de même un point positif : l’installation de nouvelles caméras de vidéo-surveillance. “Un jour, un toxicomane a voulu m’emprunter mon tournevis pour nettoyer sa pipe à crack… Alors je comprends que le gars en costard-cravate aie peur quand il descend du train…” Hélène, qui transite tous les jours par la gare, accueille l’idée de nouveaux commerces avec enthousiasme, espérant aussi que cela améliorera la tranquillité. “J’hésite souvent à attendre sur le parvis de peur de faire une mauvaise rencontre”, confie l’employée de banque de 49 ans. “Peut-être qu’avec davantage de commerces, viendra davantage de sécurité”, estime encore Benjamin, 25 ans, originaire de Lille.

Dans l’ensemble toutefois, beaucoup d’usagers ne semblent pas être au courant de ce qui se profile. Certains ont bien remarqué la fermeture de plusieurs commerces dans la gare, sans se douter de l’ampleur de la transformation à venir. Il faut dire que les travaux ne font pas l’objet d’une communication intensive pour l’instant. On ne trouve aucun panneau explicatif, ni dans la gare ni à ses alentours. Et la “maison du projet StatioNord”, cube turquoise placé devant les lignes, n’est quant à elle ouverte que 3 heures par jour.

La maison du projet StatioNord.

Le projet semble en revanche être arrivé jusqu’aux oreilles des cafetiers du quartier. L’arrivée de nouvelles enseignes de restauration ne leur fait pas peur. Le problème majeur pour l’instant, c’est encore une fois la mauvaise fréquentation de la gare, qui empire à vue d’œil selon M. Klifa, derrière le comptoir du Cadran du Nord. depuis 20 ans. Il espère que les travaux pourront “nettoyer” la gare, se lâche-t-il. Depuis son bar, situé en face de l’entrée principale de la gare, il pointe du doigt les urinoirs installés par la SNCF à une quinzaine de mètres. “Ils sont sur le trottoir d’en face, et pourtant l’odeur vient jusqu’à nous ! Prenez les bien en photo !”

Les urinoirs à l’extérieur de la Gare du Nord.

Au Terminus Nord, la brasserie chic du quartier, le discours est le même. “On arrive pas à recruter de femmes. Qui voudrait finir son service à 2 heures du matin ici ? Et vous connaissez beaucoup de bistrots qui doivent employer des vigiles ?”, insiste le tenancier en désignant le colosse qui veille devant l’entrée. Attaché au standing de son établissement, la perspective de voir une nouvelle population faire les boutiques à Gare du Nord le réjouit. “Ça ne peut qu’être bon pour nous. J’ai même entendu qu’il y aurait une boutique Chanel dans la gare, vous imaginez ?”

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