Pas ou peu de connexion Internet, un simple téléphone en guise d’ordinateur… Avec les périodes de confinement et les fermetures d’universités, la précarité numérique frappe certains étudiants, menacés de décrochage.
Inass Farah attendait un ordinateur depuis un an et le départ de sa soeur, qui lui prêtait le sien. Cette étudiante en BTS administration à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), âgée de 18 ans, vient d’en récupérer un grâce à Repairs!94, association du Val-de-Marne qui aide les jeunes bénéficiaires de la protection de l’enfance et pupilles de l’Etat.
“Ca va changer beaucoup de choses”, explique-t-elle à l’AFP. Elle va pouvoir agrémenter sa solitude du confinement. “Je n’ai pas de télé, donc je vais pouvoir regarder des films, vidéos, mais surtout suivre ses études dans de bonnes conditions.” “C’est très important. Avant je m’organisais avec mon téléphone portable, mais ce n’était pas très pratique. La fac m’a simplement proposé une tablette, mais c’était encore pire, archi lent. Je ne pouvais pas travailler avec. Du coup, j’ai pris un peu de retard” développe-t-elle.
L’un des étudiants, “brillant”, de Karine Marot, professeur de géographie et vice-présidente vie étudiante à l’université Gustave-Eiffel (Marne-la-Vallée), a lui été tout proche de “lâcher” son cursus pour un problème d’ordinateur. “Le sien n’était pas équipé de webcam et de caméra, donc il utilisait celui sa soeur. Mais il s’est ‘engueulé’ avec elle pour l’ordinateur” raconte-t-elle.
Il n’a pas voulu de ceux prêtés par l’université. “Il m’a répondu qu’il n’en avait pas besoin. Les étudiants ont tellement l’habitude d’être dans la ‘merde’ que cela ne leur vient pas à l’esprit d’être aidés”, poursuit Karine Marot, “très surprise lors du premier confinement de découvrir que (ses) étudiants trouvent normal de rédiger leur dissertation sur leur téléphone”.
Ou, faute d’abonnement Internet, d’utiliser leur téléphone en partage de connexion. Si toutefois ils n’ont pas épuisé leur forfait 4G.
Selon une enquête menée par l’Observatoire de la vie étudiante auprès de 6.130 étudiants du 26 juin au 8 juillet, 39% ont eu des problèmes de connexion à Internet, et 17% des difficultés à “utiliser l’outil numérique à leur disposition” lors du confinement du printemps.
Le syndicat étudiant Unef estime de son côté que 10 à 25% des étudiants, selon les universités, ne disposent pas de connexion stable ou d’ordinateur personnel.
Entre prêts et aides, d’ordinateurs ou de clés 4G, les établissements ont essayé de réduire cette fracture numérique. Surtout à l’occasion du confinement de l’automne, “bien mieux préparé que le premier”, selon Feres Belghith, président de l’Observatoire de la vie étudiante.
Mais ces solutions sont loin de couvrir toutes les difficultés rencontrées, qui viennent aussi des universités, dont les serveurs ne peuvent souvent pas supporter trop de connexions simultanées.
“Il a été constaté, lors des examens du printemps, des bugs généralisés sur certaines plateformes dus au fait qu’il faut des moyens” pour informatiser les universités, déclare Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef.
Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a conseillé aux universités (décisionnaires après accord du rectorat) d’organiser en présenciel la session d’examens qui vient de débuter, afin de ne pas créer d’inégalités entre étudiants.
Celles-ci ont été “montrées au grand jour” par le confinement, selon Enora Lorcy, vice-présidente étudiante de l’université Gustave-Eiffel et étudiante en chimie. Mais “cela fait des années que se pose le problème de la précarité numérique étudiante, puisqu’on a de plus en plus recours à l’informatique, pour la prise de notes ou les cours dans certaines formations”. “Les inégalités se sont crées avec le temps”, poursuit-elle, et ont été amplifiées par la crise sanitaire. “Même si on arrive à résoudre ces problèmes, ou qu’ils sont temporaires, ils restent une charge mentale tous les jours: est-ce que mon PC va tenir tout le long du confinement ? Vais-je avoir un problème de disque dur ? Avoir suffisamment de forfait 4G ? La batterie va-t-elle lâcher ? C’est sûr que ça pèse sur le moral et peut être un facteur de décrochage énorme.”
Pour preuve, selon elle, le fait que l’université Gustave-Eiffel ait perdu en cours de route, cette année, “des étudiants autant en première, qu’en troisième année ou en master.” Peu importe le niveau d’études, la fracture numérique touche indistinctement.
par Nicolas KIENAST
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