Une bourse de 488 euros pour un loyer de 600 euros… l’équation est déjà impossible sans même y ajouter les courses alimentaires. En cette période de crise sanitaire et sociale où les petits boulots se font rares, la précarité étudiante redouble. C’est dans ce contexte que se déroulait ce lundi 9 novembre la première distribution de colis alimentaires destinée aux étudiants de Paris XIII – Villetaneuse organisée par le Secours Populaire et l’association étudiante Bob’Uni. Reportage.
“Au début, je pensais que c’était une arnaque !” sourit Alexandra en sortant du local du Secours Populaire de Villetaneuse. Les mains pleines de deux cabas remplis de provisions, l’étudiante de 18 ans est soulagée : elle attendait ce ravitaillement depuis deux semaines. Entretemps, elle vivotait, comptant sur l’aide de son petit ami ou sur celle de sa voisine de résidence étudiante d’Aubervilliers. Arrivée de Guyane il y a quatre mois, Alexandra se trouve dans une impasse : elle touche une bourse de 488€, qui ne suffit pas à couvrir son loyer de 600€. Elle a bien évidemment tenté de chercher du travail – sans succès. “Ça fait 4 mois que je dépose des CV. J’en ai encore envoyé aujourd’hui !”, explique-t-elle, résignée.
Le cas d’Alexandra est loin d’être isolé. En tout, ce-sont 80 étudiants qui sont inscrits ce lundi pour bénéficier des colis alimentaires. Du jamais vu pour Philippe Portmann, secrétaire général de la Fédération du Secours Populaire de Seine-Saint-Denis. “Sur l’ensemble du département, on enregistre une hausse de la demande de 70% depuis la crise sanitaire, contre 40% à l’échelle nationale. Parmi ces nouveaux publics, il y a un nombre impressionnant d’étudiants”, pointe le bénévole.
Explosion de la demande depuis le début de la crise sanitaire
“Avant le coronavirus, nous n’organisions qu’une seule distribution par mois. A Paris VIII, on donnait 50 colis maximum. Depuis la première vague, la demande a explosé. On distribue 450 colis toutes les deux semaines aux étudiants de Paris XIII, et 1450 à ceux de Paris VIII”, chiffre Kab Niang, chargé de l’assistance aux étudiants de l’Université Paris VIII (Vincennes – Saint-Denis) et Paris XIII (Bobigny-Villetaneuse).
Que ce soit dans la restauration, les magasins de mode, la garde d’enfants ou autre, beaucoup de petits boulots étudiants se sont envolés du jour au lendemain. Certains n’ont pas trouvé d’emploi, d’autres ont été licenciés. C’est le cas de Manel, récemment remerciée de son poste d’assistante dans un cabinet d’avocats. Employée à temps partiel, la jeune femme touchait 1400€ par mois. Une situation plutôt confortable qui a brusquement pris fin suite aux difficultés économiques rencontrées par ses patrons. Suite à un changement de cursus en début d’année, l’étudiante ne touche de surcroît plus de bourse depuis septembre. Elle démarre donc l’année sans aucune ressource.
Il y a aussi les étudiants étrangers, dont certains sont en situation irrégulière. Pour eux, la difficulté de trouver un emploi s’ajoute à l’absence d’aides de l’État (CAF, APL…). “J’ai déposé ma demande de titre de séjour en préfecture il y a deux mois mais je n’ai toujours pas de réponse. En attendant, presque tout mon argent part dans mon loyer. Quand je fais mes calculs, je me vois obligé de sauter des repas”, confie l’un d’eux.
Difficile d’étudier le ventre vide
Quelle que soit leur situation, les étudiants s’accordent sur un point : difficile d’étudier le ventre vide. Pour eux, cette distribution alimentaire n’est pas seulement une rallonge sur leur budget mai une condition de survie dans la poursuite de leurs études. C’est d’ailleurs le but assumé de la distribution d’aujourd’hui. Les organisateurs ne se limitent pas à une aide alimentaire : ils prennent également les demandes des étudiants ayant besoin d’ordinateurs pour pouvoir suivre les cours, diffusés en visioconférence depuis le 2 novembre dernier. Depuis septembre, 85 ordinateurs ont été distribués par le Secours Populaire qui en a commandé une centaine supplémentaire. 16 étudiants présents à la distribution en bénéficieront prochainement – dont Manel, qui devait se contenter des ordinateurs de la bibliothèque jusqu’alors. Pour la jeune Master 1 en droit du travail, la situation commençait à devenir urgente : elle passe ses partiels dans moins de deux mois…
Le Secours Populaire n’est pas seul à répondre à la demande des étudiants en détresse. La distribution de lundi se fait avec le concours de Bob’Uni, association étudiante fondée par Alexia et Ilyes, tous les deux en troisième année de médecine à Paris XIII. Créée le 15 juin dernier, elle regroupe déjà pas moins de 70 volontaires sur les campus de Bobigny et de Villetaneuse. “À l’origine, on ne voulait faire des maraudes qu’à Bobigny, mais on s’est rendu compte qu’il y avait plus de demande à Villetaneuse”, explique Alexia, occupée à enregistrer les étudiants venus récupérer leurs colis. Une première distribution commune a déjà été réalisée sur le campus de Bobigny en septembre dernier. “Ce jour là, on a été dépassé par la demande, on a fait péter les compteurs !”, se souvient Philippe Portmann.
Pour valider les bénéficiaires, l’association a mis en plance un questionnaire en ligne puis un entretien téléphonique. Elle s’est également mise en relation avec l’administration universitaire afin d’avoir le contact de l’assistante sociale de la fac et relayer ses annonces. “L’université a relayé l’annonce de la distribution sur ses réseaux sociaux, ce qui nous a ramené beaucoup de monde. Elle allait envoyer un mail à tous les étudiants, mais on lui a dit de ne pas le faire, on était déjà submergés par la demande !”, témoigne Alexia Guidicelli, présidente de Bob’Uni.
Pour l’instant, le Secours Populaire, qui fournit les locaux et les denrées, semble en mesure de répondre aux besoins des jeunes précaires. Mais jusqu’à quand ? La question des stocks commence à se poser. Depuis septembre, le Secours Populaire de Seine-Saint-Denis attend 275 tonnes de produits secs (huiles, pâtes, riz, conserves, farine, café…), promis par le Fonds Européen d’Aide aux Démunis (FEAD), organisme chargé d’aider de nombreuses associations solidaires (Secours Populaire, Croix-Rouge, Restos du Coeur…). En attendant, l’association se fournit en puisant sur ses propres économies, rappelle Philippe Portmann. “On peut tenir sans problème jusqu’à 2021. Après, ça risque de devenir beaucoup plus compliqué…”
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