Justice | | 09/01/2021
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A 98 ans, enfin jugé pour l’affaire de corruption de la chaufferie de La Défense

A 98 ans, enfin jugé pour l’affaire de corruption de la chaufferie de La Défense © Nicolas Debray

Le temps de la justice est parfois long. En témoigne le sinueux parcours de l’affaire de corruption de la chaufferie de La Défense, audiencé ce lundi au Tribunal correctionnel de Nanterre. Après 20 ans de procédure, l’un des principaux protagonistes, Charles Ceccaldi-Raynaud, maire de Puteaux durant 34 ans, est mort. Quant aux autres prévenus, ils ne sont plus guère dans la force de l’âge, à l’instar de Jean Bonnefont, ancien dirigeant de Charbonnages de France, 98 ans au compteur.

Le montant des sommes en jeu, plusieurs centaines de millions d’euros, maintient néanmoins l’intérêt du jugement.

L’affaire débute en 1998, lorsque le Syndicat mixte de chauffage urbain de La Défense (Sicudef) lance le renouvellement du marché que détenait depuis trente ans la société Climadef, filiale de Charbonnages de France.

Trois ans plus tard, il l’attribue à un groupement d’entreprises baptisé Enertherm.

Mais les services de répression des fraudes repèrent des anomalies dans le processus. Dès juin 2002, une enquête est ouverte pour “corruption” et “trafic d’influence”, une autre l’est en janvier suivant pour “abus de biens sociaux”.

L’enquête met en cause, Jean Bonnefont, ancien dirigeant de Charbonnages de France, Bernard Forterre, l’ex-numéro 3 de la Compagnie générale des Eaux-Vivendi , 82 ans aujourd’hui, et l’homme d’affaires Antoine Benetti, le le plus jeune de la bande, âgé de seulement 68 ans.

Le trio est accusé d’avoir faussé le marché pour assurer son attribution à Enertherm, dont les actionnaires étaient en réalité les mêmes que ceux de Climadef, l’ancien concessionnaire.

Au centre de l’entente présumée, figure Charles Ceccaldi-Raynaud, le président “omnipotent” du Sicudef selon des témoignages de l’époque, mis en examen pour avoir perçu une commission de 5 millions de francs (760 000 euros).

Un protagoniste du montage financier, Laurent Gimel, a affirmé durant l’instruction avoir remis des sacoches de billets à un proche de M. Ceccaldi-Raynaud. Des pots-de-vin destinés, selon lui, à arroser les membres du Sicudef.

M. Ceccaldi-Raynaud sera toutefois le grand absent du procès. L’ex-sénateur-maire de Puteaux est décédé en juillet 2019 à 94 ans, quelques jours avant que le parquet ne prenne ses réquisitions.

Pour l’association anticorruption Anticor, partie civile, c’est la démonstration d’une “justice complice” qui aurait, selon elle, attendu la disparition du sénateur-maire pour prononcer son ordonnance de renvoi. Cette affaire “fait partie de ces dossiers mis dans un placard pour protéger des personnalités de premier plan politique”, regrette Jérôme Karsenti, avocat d’Anticor.

L’avocat regrette les conditions du procès car du fait de leur âge, les prévenus “pourraient être susceptibles de faire pitié, alors qu’ils se sont enrichis largement”, estime-t-il.

Du côté de la défense, on s’indigne aussi de ce jugement tardif, pour des motifs différents. “Juger un homme de 99 ans, c’est ahurissant !”, s’indigne ainsi Me Olivier Baratelli, avocat de Jean Bonnefont. “Etes-vous capable de vous souvenir de ce que vous avez fait, il y a vingt ans, avec une précision suffisante pour que cela fasse l’objet d’un procès ?”, interroge l’avocat. “La défense est annihilée par le temps”.

“La durée de cette procédure n’est satisfaisante pour personne”, réagit pour sa part la procureure de Nanterre, Catherine Denis. Le parquet “ne s’est jamais départi de l’indépendance qu’il doit à tout justiciable (…) quelles que soient les personnalités en cause”, assure-t-elle à l’AFP.

Insuffisance de moyens accordés à la justice économique et financière”

La durée de la procédure pour ce dossier “particulièrement complexe” illustre plutôt “l’insuffisance de moyens accordés à la justice économique et financière”, juge la magistrate. La procédure a pâti “de multiples demandes d’entraide internationale en direction de pays peu coopérants”, de “changements de juges d’instruction” et de “nombreux et tardifs recours de la défense”.

Renvoyés notamment pour “corruption”, “complicité de corruption” ou “abus de biens sociaux”, les principaux prévenus contestent les faits.

Ils risquent jusqu’à dix ans de prison et un million d’euros d’amende.

Lundi, leurs conseils entendent plaider en préambule le non-respect du droit à être jugé dans un délai raisonnable.

La défense du trio dénonce aussi une insuffisance de charges. “S’il y avait eu des preuves irréfutables, il aurait fallu quelques mois pour sortir le dossier” au lieu de vingt ans, considère Me Baratelli.

L’instruction tentaculaire, sur laquelle se sont penchés successivement huit juges, a permis de découvrir d’importantes sommes sur des comptes ouverts au Luxembourg par la famille Ceccaldi-Raynaud.

Charles Ceccaldi-Raynaud avait alors accusé sa propre fille Joëlle, qui lui a succédé à la mairie de Puteaux, d’avoir reçu ces pots-de-vin, en se défendant personnellement de toute infraction.

L’élue LR, tout comme l’opticien Alain Afflelou qui apparaît aussi dans le dossier, ont été entendus comme témoins assistés et finalement mis hors de cause.

Le procès, ajourné en septembre pour cause de crise sanitaire, doit durer jusqu’à vendredi.

par Céline AGNIEL / Clara WRIGHT

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