L’art dans la ville ne passe pas que par le monumental et peut aussi s’exprimer dans le mobilier urbain. A Ivry-sur-Seine, l’artiste Agnès Thurnauer, qui travaille sur le langage depuis des années, a déployé son alphabet à hauteur d’assise et les habitués du quartier ne s’y sont pas trompés.
Le langage, Agnès Thurnauer en explore la portée depuis longtemps, “probablement en raison d’une expérience personnelle avec mon frère aîné qui ne parlait pas”, confie-t-elle. Née en 1962, l’artiste peintre et sculptrice visite toutes ses dimensions, intégrant souvent l’écriture dans ses tableaux, occasion d’un dialogue avec son public mais aussi avec les artistes de toutes époques. Depuis plusieurs années, ce travail s’est matérialisé par des lettres, les Matrices. “En deux dimensions, je peins la figure en me promenant entre les lettres. En trois dimensions, ce sont les spectateurs qui, en circulant, feront l’expérience de la dimension spatiale du langage”, explique l’artiste. Une matérialisation qui a déjà pris forme au musée de l’Orangerie où ses douze lettres bancs en aluminium composent le mot chromatiques pour accompagner le visiteur vers les Nymphéas de Claude Monet.
A Ivry-sur-Seine, où Agnès Thurnauer est installée de longue date et a exposé à la galerie Fernand Léger, c’est dans l’un des nouveaux quartiers de la zac Ivry Confluences, square de la Minoterie (en référence au passé productif du lieu) que ses Matrices ont trouvé à s’exprimer.
“Il nous a fallu du temps pour repérer les implantations possibles, évaluer les espaces, motive le maire, Philippe Bouyssou (PCF). Le choix du square de la Minoterie complète un parcours artistique entre l’œuvre de l’artiste Francisco Ruiz de Infaté (groupe scolaire Rosalind Franklin) et celle de l’artiste Jean Clareboult (groupe scolaire de l’Orme-au-Chat).”
Ce mercredi, 17 des 20 consonnes en bronze patiné avaient déjà pris leurs aises. “J’ai travaillé sur l’emplacement des lettres sur une maquette mais une fois sur place, la vision n’est pas la même et cela requiert quelques ajustements pour obtenir de belles courbes”, explique Agnès Thurnauer, venue superviser l’installation de ses moulages, réalisés avec la fonderie Art Fusion. “L’idée est d’introduire ces consonnes dans l’espace public afin de transformer ce lieu de cheminement en un lieu d’échange et de dialogue, comme un forum dans les cités grecques et romaines”, poursuit l’artiste.
De fait, il suffi de quelques heures à peine pour que les riverains ne s’approprient les blocs vert-de-gris. “Mardi soir, nous pouvions déjà voir des enfants jouer autour, des adultes s’y réunir pour boire un coup ensemble. Lorsqu’ils attendent leur bus un peu trop longtemps, les usagers s’assoient sur les lettres les plus proches de l’arrêt”, témoigne Fabien Delattre, le responsable du projet pour Art Fusion, la fonderie basée dans en Auvergne. Avec trois collègues, il installe ces pièces de chaudronnerie en bronze à même les pavés, soudés au sol par scellement chimique. Les matériaux ont été volontairement choisis pour leur robustesse.
Les voyelles aux habitants
Mais au fait, où sont les voyelles? Celles-ci seront offertes aux 200 foyers riverains du passage, à l’échelle main, à savoir 2 cm. “J’ai voulu jouer aussi sur la complémentarité entre espace public et espace privé”, explique la sculptrice, “pour que langage urbain et langage intime se complètent et se répondent.”
La commande de la ville a été réalisée avec le concours financier de Sadev94, aménageur de la zac, et du ministère de la Culture (via la DRAC-Île-de-France).
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