Pour la communauté musulmane c’est la fin d’une “injustice” : la mosquée de Pantin pourra ouvrir dès ce vendredi 9 avril, soit trois jours avant le début du ramadan. La préfecture de Seine-Saint-Denis en a annoncé l’autorisation, prenant acte de la démission de l’ancien recteur M’hammed Henniche.
Entouré de quelques amis devant la boulangerie de la rue Racine, à quelques mètres de la mosquée de Pantin, Karim affiche sa méfiance : « Vous savez, on a pris cher avec la fermeture de la mosquée. La presse est déjà venue et mes propos ont tous été déformés. » Le jeune homme de 36 ans à la forte carrure confie cependant sa satisfaction : « Enfin, il y a une justice. C’est toute une communauté qui a été pénalisée et je pense surtout aux personnes âgées pour qui c’est plus difficile d’aller prier dans une autre mosquée. »
Après six mois de fermeture administrative, le préfet de la Seine-Saint-Denis, Georges-François Leclerc, a annoncé mercredi 7 avril l’autorisation de réouverture de la mosquée de Pantin. Derrière les grilles, l’état de désolation du site annonce un travail intense pour rendre les lieux accueillants d’ici vendredi.
La décision de la préfecture intervient après le retrait à la mi-mars de M’hammed Henniche en tant que recteur de la mosquée, dont le ministre de l’intérieur, Gérard Darmanin, avait fait une condition.
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Son successeur, Abdourahmane Dramé, qui en a été l’un des imams, était le seul candidat pour lui succéder. Il prend aussi la présidence de la Fédération musulmane de Pantin, l’association qui assure la gestion du lieu cultuel.
A l’origine de la sanction prononcée le 21 octobre : le partage sur la page Facebook de la mosquée d’une vidéo le 9 octobre. On y voit un parent d’élève d’un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) dénoncer un professeur d’histoire-géographie ayant utilisé des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Sept jours après, ce dernier, Samuel Paty, était décapité à la sortie du collège par un réfugié d’origine russe tchétchène âgé de 18 ans.
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Sonia, une habitante du quartier côté Bobigny, qui accueille avec enthousiasme la réouverture de la mosquée, condamne fermement cette prise de position. Pour Karim, l’erreur est surtout que cette vidéo ait été relayée sur le compte de la mosquée.
M’hammed Henniche, joint au téléphone, rappelle de son côté que ce n’est pas lui, personnellement, qui a partagée la vidéo incriminée, mais un bénévole qui était impliqué au sein du comité de gestion de la page Facebook de la mosquée. Avec le recul, il qualifie le partage de la vidéo de « maladresse sans aucune intention de nuire. » Une maladresse qu’il regrette mais qui, pour lui, a été sanctionnée de manière disproportionnée « surtout au regard de l’histoire de notre mosquée qui s’inscrit dans le sillage de l’émergence d’un islam de France. »
Au-delà de la promotion de cette vidéo sur la page de la mosquée qu’il dirigeait, M’hammed Henniche était aussi sur la sellette pour avoir accepté comme imam, lorsqu’il était recteur, Ibrahim Doucouré « impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France » et formé pendant deux ans dans un « institut fondamentaliste » au Yémen, selon l’ordre de fermeture de la préfecture.
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« Je l’avais mis en garde contre cet imam salafiste, se souvient Hassen Chalgoumi, imam à la mosquée de Drancy, interviewé à la sortie de celle-ci, où se rendent de nombreux fidèles de Pantin depuis la fermeture. Nous nous devons d’être responsables et intransigeants à l’égard de l’extrémisme. » Ibrahim Doucouré a quitté ses fonctions au sein de la mosquée de Pantin le 26 octobre.
M’hammed Henniche reste à la tête de la fédération 93
M’hammed Henniche, qui reste le secrétaire général de l’Union des associations musulmanes du 93 (UAM93), se dit désormais « heureux que les fidèles puissent reprendre le chemin de leur mosquée et tourner la page. » Il affirme rester « membre du bureau de la fédération [musulmane de Pantin] pour lui éviter un passage à vide. »
C’est, en effet, sous son impulsion que les différentes communautés musulmanes de Pantin se sont réunies en 2013 sous une bannière commune. « Ici, il y a des gens d’origine comorienne, turque, bangladaise, maghrébine et d’Afrique subsaharienne, explique-t-il. L’idée était que chaque communauté soit représentée sur un pied d’égalité au sein du conseil d’administration. Et jusqu’en 2021, on a connu une réelle sérénité et on a réussi à faire avancer notre projet de grande mosquée. »
Une nouvelle mosquée à Pantin
Le départ du recteur devrait aussi permettre de sauver le bail emphytéotique de la future mosquée accordé par la mairie de Pantin en 2013 et dont le retrait avait été mis à l’ordre du jour du conseil municipal du 18 mars. « Tout est prêt pour pouvoir démarrer les travaux, les appels d’offres ont été faits. On va laisser passer le ramadan et on va lancer le projet. » Pour le financement du gros œuvre, la fédération dispose d’une enveloppe d’un million d’euros constituée grâce à des donations. La nouvelle mosquée devrait être édifiée à côté de l’actuel gymnase qui fait office de lieu de recueillement. D’une superficie de 700 m2, le bâtiment comprendra quatre étages. De quoi donner de l’aisance aux 1 000 à 1 300 fidèles qui venaient pour la prière du vendredi avant la fermeture administrative. Pour Sonia, « c’est une excellente nouvelle parce qu’au-delà d’être un lieu de prière, cette mosquée est un lieu de vie sociale, de rencontre et de solidarité. »
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