Justice | | 03/12/2021
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Associations et protection judiciaire de la jeunesse en Seine-Saint-Denis: une seconde chance

Associations et protection judiciaire de la jeunesse en Seine-Saint-Denis: une seconde chance © Charles Henry

Comment les associations culturelle, sportives, citoyennes, œuvrent à la réinsertion des jeunes qui ont eu prise avec la justice aux côtés de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Exemple en Seine-Saint-Denis où plus de 3000 jeunes sont suivis, avec des nouvelles problématiques comme la recrudescence des rixes, la prostitution, les mineurs isolés…

J’ai fait une grosse bêtise“, confie Mansour*, 15 ans, qui ne veut pas en dire davantage. Avant d’arriver au centre éducatif fermé (CEF) d’Epinay-sur-Seine il y a trois mois, il a fait deux jours de garde à vue, suivis de huit jours de détention dans “une vraie prison“. Le visage encore poupon, il raconte: “C’était chaud, tout est arrivé d’un coup.”

A ses côtés, Yasmine Boutkhili, qui dirige le centre, précise avec son consentement: “Sa détention a été difficile. Et c’est au CEF qu’il a rencontré pour la première fois la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Tout cela a été un vrai choc pour lui.” Le bouleversement était d’autant plus grand que Mansour vient de province. Il a fallu qu’il s’approprie cet environnement inconnu et ses codes.

3 440 mineurs suivis dont 3,7% en milieu fermé

Mansour devrait quitter le CEF en début d’année 2022. En attendant, il continuera à recevoir les visite de sa famille un week-end sur deux et à suivre des cours à l’Unité éducative et d’apprentissage de jour (UEAJ) d’Epinay-sur-Seine.

Les parcours comme le sien restent rares: sur 3 440 jeunes suivis en 2020-2021 par la PJJ de la Seine-Saint-Denis, seulement 3,7% sont placés, que ce soit en CEF, dans un foyer, dans un centre éducatif renforcé (CER), dans des familles d’accueil ou encore des foyers de jeunes travailleurs.

Pour assurer leur accompagnement, la PJJ de la Seine-Saint-Denis compte 285 agents, dont plus de la moitié sont des éducateurs. C’est “une des plus grosses directions territoriales de France“, signale Jean-Christophe Brihat qui la dirige depuis un peu moins de six ans.

© Charles Henry
Adama Camara, Charlotte Caubel, Séverine et Jean-Christophe Brihat.

Les associations en première ligne

La PJJ s’appuie aussi largement sur les associations et c’est dans ce contexte qu’elle les a réunies ce 29 novembre à l’Académie Fratellini à Saint-Denis. Cette école de cirque a elle-même mis en place des ateliers hebdomadaires depuis 2016, dans le prolongement du travail d’insertion mené en Unité éducative et d’apprentissage de jour (UEAJ).

L’enjeu de ce premier forum c’est de montrer le travail de la PJJ pour monter des projets au bénéfice des mineurs avec des associations extrêmement dynamiques, indique Charlotte Caubel, directrice de la PJJ au ministère de la justice. Mais aussi de montrer que sans eux on n’est pas grand-chose.”

La PJJ 93 s’appuyait déjà sur une quinzaine d’associations. Avec le projet d’amélioration de la justice de proximité portée par le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, elle a bénéficié au titre de l’année 2021 d’une enveloppe de 170 000 euros qui lui a permis de conclure des protocoles avec 15 nouvelles associations. A l’échelle nationale, ce sont 20 millions d’euros qui ont été consacrés au soutien du monde associatif dans le budget de la justice 2021. “Il faut maintenant que les associations sachent qu’elles peuvent venir vers nous pour des financements“, souligne Charlotte Caubel.

Concrètement, on ne délègue pas nos missions, précise Jean-Christophe Brihat. Les équipes de la PJJ sont à la manœuvre, par exemple pour créer un stage de citoyenneté ou de réparation pénale. Mais on y intègre parfois certaines associations en fonction de leur expertise. Voilà l’intérêt d’avoir recours à un secteur associatif qui est donc de plus en plus étoffé.

SOS Jeunesse gère, par exemple, le CER 93 situé aux Quatre chemins à Aubervilliers, “l’un des rares en milieu urbain“, décrit Dabo Diarra qui en est le chef de service. La structure offre une alternative à l’incarcération avec une spécialité: les arts et métiers du cirque. “On accueille huit jeunes multirécidivistes. On les accompagne sur une période de quatre mois et demi qui débute avec un séjour de rupture dans le sud de la France où ils font des sports extrêmes.” Le but est de favoriser la mise en place “d’une relation de confiance essentielle pour mener à bien le travail éducatif à proprement dit“, décrit Badr Houabrim, le directeur-adjoint du CER 93.

© Charles Henry
Le P’tit truck en plus, food truck de l’UEAJ de Villemomble.

Pas plus de délinquance mais plus de rixes

Quand on parle de justice de proximité, il s’agit de la diversité de possibilités qui s’offrent en fonction des problématiques des jeunes, explique Jean-Christophe Brihat. En recourant aux associations, l’objectif est de donner des outils et des relais aux éducateurs qui suivent les mineurs les plus compliqués.

Si le patron de la PJJ 93 ne distingue pas d’explosion de la délinquance, dont la croissance de 8% chaque année depuis six ans correspond à la croissance démographique, Jean-Christophe Brihat pointe la montée en puissance de certaines problématiques comme les rixes “avec des décès d’un voire deux jeunes par an“, comme celle, encore récemment, du Bagnoletais Ibrahima, en septembre dernier.

Sensibilisation avec le rappeur Adama Camara

Pour tenter de sensibiliser les mineurs pris en charge aux danger des rixes, la PJJ s’appuie notamment sur le collectif de mamans (créé dans le 19ème arrondissement de Paris) Action ré-Elles et sur l’expérience d’Adama Camara, alias Sansan. Le rappeur, qui a lui-même été condamné après avoir vengé son petit frère à Garges-Sarcelles (Val d’Oise), a fait de cette cause un engagement. Il anime des ateliers d’écriture “pour mettre des mots sur des maux” avant d’enregistrer les textes en studio. “Les rixes c’est malheureusement des héritages, analyse-t-il. Il y a des villes qui s’affrontent depuis vingt ou trente ans. Aujourd’hui, l’enjeu c’est de casser ça. Parfois les jeunes que je vois ne savent même pas pourquoi ils s’embrouillent.”

Quand vous prenez les jeunes en début de semaine et en fin de semaine ce ne sont pas les mêmes. Ils deviennent plus ouverts, ils prennent conscience de la futilité de ces rivalités. Quand je leur montre le documentaire Rixes, ils comprennent la gravité de la réalité“, motive Adama Camara.

Santé mentale, prostitution, mineurs isolés

D’autres phénomènes tendent aussi à prendre de l’ampleur, telle que la prostitution et l’accroissement des mineurs non accompagnés. “Des missions plus spécifiques nous reviennent aussi comme la prise en charge de ces jeunes qui reviennent de la zone irako-syrienne, détaille. La PJJ 93 doit s’occuper quasiment de trois quarts de ces jeunes qui arrivent à l’aéroport Charles de Gaulle. Ce sont public supplémentaires qui se greffent à un territoire qui est déjà complexe, sous tension.”

Nombre d’acteurs soulignent aussi les difficultés liées à la dégradation de la santé mentale. “Il y a de plus en plus de jeunes qui ont une nécessité de soins, qui ont des problèmes psychologiques, voire psychiatriques, témoigne Dabo Diarra. Nous on n’est pas prêt à ça, même si on un psychologue mais qui n’est là qu’à 30% du temps, ce qui n’est pas suffisant. Nous sommes dans l’accompagnement de la délinquance de la jeunesse. Il est vrai qu’on a une psychologue qui est présente, mais elle est là à 30% (2,5 jours), ce qui n’est pas suffisant.

Ce que l’on sait moins, c’est les ressources de ce territoire, sa richesse associative, son militantisme fabuleux. Il se passe énormément de chose. On n’a aucun problème à faire des projets sur le sport, la culture ou l’insertion professionnelle“, insiste Jean-Christophe Brihat.

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