| | 01/02/2021
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Clichy – Beaujon: une chambre mortuaire à l’épreuve du Covid

Clichy – Beaujon: une chambre mortuaire à l’épreuve du Covid

“Notre boulot, c’est de bichonner les défunts et d’accompagner le deuil des familles, mais avec le Covid, c’est beaucoup de logistique”: privés d’une partie de leur mission à cause de l’épidémie, le quotidien des agents de la chambre mortuaire de l’hôpital Beaujon à Clichy a été bouleversé.

Jeudi matin, deux agents sortent de la chambre à basse température le corps d’une dame pour le présenter une dernière fois à ses proches. Élégamment habillée, elle est maquillée “juste” avec son rouge à lèvre, “je la trouvais belle ainsi”, décrit pudiquement Nada Benkhemassa, agent de la chambre mortuaire, en installant le corps dans le “salon de départ”, une salle épurée à la lumière tamisée.

“Nous faisons le maximum pour que les patients soient présentables et apaiser ainsi la souffrance des familles”, explique l’aide-soignante, arrivée “par hasard” dans le métier.

Sa journée se poursuit avec l’habillage et le toilettage d’une vieille dame. En fond sonore Cherie FM, elle lave délicatement son visage avec un gant, puis la revêt d’une jupe, d’un pull en laine et de ses chaussons. Elle unifie son teint, coupe ses ongles et ligature sa bouche pour éviter qu’elle ne s’ouvre devant la famille. “On essaie de donner au défunt l’allure de son vivant”, résume à ses côtés son collègue, Julien Deshayes, 39 ans.

Les morts du Covid restent dans des housses

Mais ce “cœur de métier” est abandonné pour les morts du coronavirus pour qui le rituel est tout autre: à cause de la contagiosité, ils arrivent ici dans une housse qui doit rester fermée, ils ne sont ni habillés, ni toilettés, ni maquillés. Les agents mettent le corps dans le cercueil, le scellent, les familles ne peuvent pas voir le défunt.

Au début de l’épidémie, “ce qui a été compliqué, c’est cet afflux intense de morts pour lequel on ne pouvait pas faire ce que l’on sait très bien faire, réconforter les familles, faire en sorte qu’elles commencent leur deuil. Habiller les défunts, les maquiller, les bichonner et puis au dernier moment les présenter pour que la famille nous dise +il est magnifique merci, vous lui avez rendu un petit peu de son apparence+”, relate Yannick Tolila-Huet, responsable des chambres mortuaires de Bichat et Beaujon, parmi les 26 que compte l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). 

Infirmière de formation, elle a vu arriver la crise en première ligne, accueillant à Bichat le premier mort du Covid en France en février, un touriste chinois de 80 ans. 

Et se souvient d’une “hécatombe” arrivée “très vite”. “La pièce à basse température était remplie de housses blanches marquées au feutre du nom des patients… j’ai fait les années sida, et je m’étais dit que plus jamais je ne revivrai quelque chose d’aussi intense, mais c’était surréaliste”.  

Dans la chambre à basse température de Beaujon, “un soir on a eu 50 défunts, alors qu’on avait une vingtaine de places”, “inimaginable de les mettre par terre”, alors “on a installé des tables de bureau partout”, raconte Nada Benkhemassa. A Bichat, un camion réfrigéré a été installé sur le parking.

“Notre objectif était que les défunts soient dignement conservés, il fallait mettre les corps au frais”, témoigne Yannick Tolila-Huet. Depuis, la capacité d’accueil des deux chambres mortuaires a été augmentée.

“veiller à ce que la bonne personne soit dans le bon cercueil”

Pour réconforter malgré tout les proches, “on faisait un simulacre, on emballait la housse dans les linceuls, on faisait des faux habillages en disposant les vêtements, des petits objets sur le cercueil pour faire partir le mort avec quelques effets personnels…”, poursuit l’infirmière.

Mais il faut aussi “veiller à ce que la bonne personne soit dans le bon cercueil” car, avec les housses, “il n’y a plus de visibilité du corps” et cela “angoisse énormément les familles”. 

Si la situation est “calme” pour le moment, cette prise en charge minimaliste pour les morts du Covid devrait durer: “une personne décédée est censée ne plus être contaminante dix jours après l’apparition des premiers symptômes mais avec l’arrivée du variant… on ne sait pas”

par Zoé LEROY

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