“Certains de mes élèves m’ont carrément avoué avoir acheté leur code de la route sur Snapchat !” confie une instructrice. En colère contre la réorganisation du secteur, des instructeurs du permis de conduire d’Ile-de-France ont occupé le centre d’examen de Créteil ce lundi. Reportage.
Ils sont une vingtaine, venus de toute l’Île-de-France à l’appel du syndicat Force Ouvrière (FO), à s’être rassemblés ce lundi devant les grilles du centre d’examen de permis de conduire de Créteil. Stand de nourriture en abondance et sono à fond, les inspecteurs du permis de conduire ont occupé les lieux depuis sept heures du matin jusqu’en milieu d’après-midi. À l’échelle nationale, on compterait 37% de grévistes selon FO – dont 75% dans le Val-de-Marne selon Florence Isoli, déléguée régionale du syndicat.
En cause : le patinage des négociations entre les syndicalistes et le gouvernement, portant notamment sur la privatisation progressive de leur fonction et l’amélioration de leurs conditions de travail. “Ça fait trois mois que le gouvernement nous balade”, estime Simon Bergue, secrétaire national du Snica-FO. Après avoir entamé le dialogue social en juin dernier, les grévistes estiment n’avoir rien obtenu de la part du gouvernement. Le 4 octobre dernier, l’annonce de la Délégation à la Sécurité Routière qu’aucune décision ne serait prise avant la fin du premier semestre 2021 – soit avant les élections présidentielles – les a fait sortir dans la rue.
Parmi les nombreuses revendications, figure notamment l’abrogation de l’article 28 de la loi Macron. Promulguée en 2016, cette loi permet notamment aux apprentis conducteurs de passer leurs Examens Théoriques Généraux du code de la route (ETG) sans l’aval d’un inspecteur, et réduit les délais de passage de l’examen pour les candidats libres à deux mois maximum – contre neuf mois en moyenne auparavant. Depuis le 1er septembre également, le passage de la première partie de l’examen du permis poids lourds (permis C), dit examen “plateau”, consistant à la conduite hors des conditions de circulation, est délégué au privé. “Depuis que nous avons perdu le monopole sur les ETG, tout s’écroule”, déplore Dany Bourane, 33 ans, dont 7 d’inspection dans les Yvelines.
Les inspecteurs dénoncent le renchérissement de l’examen du code, les candidats devant désormais payer pour le passage des ETG, en plus de la formation elle-même. Et pointent du doigt la baisse du taux de réussite à l’examen du permis de conduire. “Les auto-écoles en ligne sont un leurre. Depuis leur arrivée, le taux de réussite à l’examen du code de la route a chuté”, dénonce Simon Bergue. Selon les chiffres du Ministère de l’intérieur : de 2017 à 2019, la proportion de reçus aux ETG est passée de 66% à 50,5%.
Pour les grévistes, la libéralisation du passage du code de la route a également entraîné un phénomène de fraude de plus en plus massif. Via les réseaux sociaux, des trafiquants proposent pour plusieurs centaines d’euros des certificats de réussite truqués, ou encore de passer l’examen à la place des candidats. “Dans l’Essonne, nous avons recensé plus d’une vingtaine de cas de fraude avec usurpation d’identité depuis mars”, explique Sarah Gandonville, inspectrice depuis six ans.
Sur le rond point menant au centre d’examens, plusieurs voitures d’auto-écoles passent et klaxonnent en soutien aux inspecteurs. Certains moniteurs, comme Nedjima Mehenni et Pascal Raisin, descendent de leurs voitures pour saluer les grévistes. “J’ai annulé une session de conduite avec une élève pour venir !” explique Nedjima Mehenni, monitrice à Villiers-sur-Marne. Moniteurs depuis six ans, les deux observent eux aussi une augmentation des fraudes. “Beaucoup de mes élèves n’ont pas les bases du code de la route : certains ne savent pas ce qu’est un passage piéton prioritaire, ou même un sens interdit !”, raconte Pascal Raisin, moniteur et gérant d’une auto-école à Maisons-Alfort. “Certains de mes élèves m’ont carrément avoué avoir acheté leur code de la route sur Snapchat !” ajoute Nedjima. Au-delà de la défense de leur profession, les deux moniteurs s’inquiètent également d’une dégradation de la sécurité routière. “Nous venons aussi en tant que citoyens. Le permis de conduire, c’est avant tout un permis de se tuer et de tuer les autres !” estime Nedjima.
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