Une large majorité des quelque 250 000 personnes qui ont participé à la consultation citoyenne sur l’usage récréatif du cannabis, qui s’achevait le 18 février, ont plébiscité sa légalisation.
Quelque 80,8% des répondants se disent d’accord avec une autorisation de la consommation et de la production dans un cadre régi par la loi, selon les résultats de cette consultation lancée mi-janvier par une mission d’information parlementaire.
13,8% se déclarent favorables à une dépénalisation. A l’inverse, 4,6% sont pour un renforcement des sanctions et seulement 0,8% pour le maintien du cadre légal en vigueur.
“On sait désormais que la légalisation du cannabis n’est plus un tabou en France et que nos concitoyens font le constat de l’inefficacité de la législation actuelle en la matière”, a estimé dans un communiqué la rapporteure du volet “récréatif” de la mission parlementaire, la députée LREM Caroline Janvier.
Cette consultation en ligne s’est achevée dimanche avec un total de 253 194 contributions. A titre de comparaison, la consultation sur le changement d’heure hiver/été avait atteint plus de 2 millions de participations début 2019, un record pour une consultation parlementaire.
“Il faudra lancer une vraie consultation populaire et pourquoi pas un référendum”, a estimé dimanche sur Franceinfo Jean-Baptiste Moreau, député LREM de la Creuse et rapporteur général de la mission d’information. “On fera des propositions d’ici un mois”.
“Aujourd’hui, on fait face à une interdiction mais à une consommation record, donc la situation n’est pas tenable”, a ajouté l’élu qui s’est dit favorable à une légalisation du cannabis. “On a une économie parallèle très conséquente qui s’est constituée et qui finance d’autres réseaux, trafics d’armes et autres”.
Un peu plus de 30% des répondants à cette consultation citoyenne ont déclaré ne jamais avoir consommé de cannabis. 38,3% affirment en consommer occasionnellement, 17% régulièrement et 13,9% disent avoir une consommation quotidienne de ce produit stupéfiant.
62,4% imaginent une commercialisation du cannabis dans des boutiques spécialisées, 24,2% en vente régulée sur le modèle de l’alcool, 8,6% dans les bureaux de tabac et 3,8% en vente libre.
En cas de légalisation ou de dépénalisation, les répondants sont dans leur très grande majorité favorables (86%) à ce que l’Etat permette aux particuliers de cultiver eux-mêmes des plants de cannabis dans des limites fixées par la loi.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a fait de la lutte contre le trafic de stupéfiants une priorité, s’était dit en septembre opposé à la légalisation de “cette merde”.
Le cannabis “récréatif” est l’un des volets sur lesquels la mission parlementaire s’est penchée, après le cannabis thérapeutique et le cannabis dit “bien-être” (cannabidiol, ou CBD).
Autorisée en 2019 par l’Assemblée nationale mais repoussée par la crise sanitaire du Covid-19, l’expérimentation du cannabis thérapeutique (à l’exception de celui à fumer) pour au moins 3 000 patients souffrant de maladies graves doit commencer au plus tard le 31 mars.
Déjà 43 500 PV Cannabis
En attendant une éventuelle légalisation, le PV cannabis, qui consiste à dresser une amende forfaitaire de 200 euros aux consommateurs plutôt que d’engager une procédure pénale, a été généralisé depuis septembre 2020, après avoir été expérimenté dans quelques départements pionniers comme le Val-de-Marne.
Au total, 43 500 amendes ont été dressées au 24 février, explique à l’AFP le procureur de Rennes Philippe Astruc, qui assure la tutelle du centre national de traitement des infractions. S’il est encore trop tôt pour évaluer leur recouvrement après contestation, environ 40% des contrevenants les ont payées spontanément. L’amende soutient une “politique pénale (…) de responsabilisation des usagers afin de peser négativement sur la demande”, se félicite le magistrat.
Entre septembre et fin janvier, les infractions pour usage de stupéfiants ont augmenté de 19,5% par rapport à la même période un an auparavant, selon les calculs réalisés par l’AFP à partir des données du ministère de l’Intérieur.
Cet accroissement des sanctions n’a pourtant pas dissuadé cet ancien serveur de région parisienne, aujourd’hui sans emploi, arrêté deux fois en septembre à la sortie d’un “four”, véritable supermarché du deal au pied des tours de Saint-Ouen. “Ca fait mal 400 euros, mais de toute façon, je peux pas les payer”, évacue le jeune homme de 26 ans, qui n’a rien réglé et a vu l’ardoise gonfler à 900 euros après majoration. “Ca ne change rien à ma conso”, confie celui qui continue de griller “cinq à huit joints par jour”. Il fume toutefois moins fréquemment dans la rue et a déserté le point de vente pour s’approvisionner directement au domicile d’un dealeur.
L’amende a été érigée en symbole de la guerre anti-drogue menée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dans une France championne d’Europe de la consommation de cannabis, malgré une des législations les plus répressives du continent.
Après six mois d’existence, les Bouches-du-Rhône, la Seine-Saint-Denis, le Nord, Paris et le Rhône sont les départements les plus verbalisés, selon le procureur de Rennes.
Côté justice, l’amende “ne change rien en terme de flux et de charge de travail puisque les consommateurs de stupéfiants faisaient déjà l’objet d’une procédure simplifiée auparavant”, explique le parquet de Bobigny.
Les policiers de région parisienne contactés par l’AFP louent en revanche un “gain de temps”, qui évite des heures de procédure pour de maigres résultats.
“Deux cents euros, c’est plus concret qu’un rappel à la loi”, estime l’un deux. Le temps économisé permet aux enquêteurs “d’être plus concentrés sur l’investigation et le travail de démantèlement” des réseaux, souligne un autre.
Délégué national à l’investigation chez Unité SGP Police, Yann Bastière reste pourtant circonspect. “Beaucoup savent déjà comment contourner l’amende, il suffit de ne pas avoir de pièce d’identité”, déplore le syndicaliste.
“C’est une vraie fausse bonne idée”, tranche Frédéric Lagache, délégué général du syndicat Alliance, en pointant des “lourdeurs” qui risquent de compromettre son utilisation à long terme. “Il faut que le gars ne soit pas mineur, qu’il reconnaisse les faits, qu’il ait des papiers sur lui. (…) Ca prend des plombes, avec un vrai risque que les esprits s’échauffent.” Surtout, “il y a toujours autant de consommateurs sur les points de deal”, observe-t-il.
A Montpellier, une serveuse qui admet son “addiction”, s’est faite prendre en train de rouler un pétard après le travail. “J’ai expliqué aux flics que j’essaie de me sevrer en mélangeant de plus en plus de CBD (molécule non psychotrope du cannabis, ndlr), mais ils ne cherchent même plus à comprendre”, soupire la jeune femme de 23 ans.
“Le poncif de la guerre à la drogue débouche systématiquement sur la guerre aux drogués”, s’agace Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction, qui représente plusieurs milliers de professionnels de santé. “Cela fait 50 ans qu’on a ce genre de postures inefficaces”, ajoute-t-elle, en regrettant que le gouvernement “n’ait pas inclus l’amende dans un plan global qui insiste vraiment sur la prévention”.
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