Dans moins de trois semaines, les Gervaisiens seront appelés à revoter pour élire leur maire après l’annulation du scrutin de mars 2020 par le conseil d’Etat. Les candidats au premier tour prévu le 5 décembre ont jusqu’à jeudi pour déposer leurs listes. Dans les rues du Pré-Saint-Gervais, fief historique du parti socialiste (PS) en Seine-Saint-Denis, la campagne est bien lancée, avec notamment trois listes citoyennes dans la course.
“On sent que la tension commence à monter, je n’ai jamais vu autant de militants tracter“, observe Anne, 59 ans, qui sort ce mardi matin du marché. Les jours d’ouverture, les abords de la halle couverte sont désormais pris d’assaut par les militants.
Municipale partielle
Depuis l’annulation des résultats des élections municipales de 2020, ce sont de hauts fonctionnaires nommés par la préfecture qui sont chargés d’expédier les affaires courantes jusqu’à l’élection d’un nouveau maire. Les deux tours de scrutin doivent se tenir le 5 et le 12 décembre.
La décision du conseil d’Etat rendue le 12 octobre a, en effet, confirmé l’invalidation du scrutin prononcée en décembre 2020 par le tribunal administratif de Montreuil devant lequel Delphine Debord, candidate de La liste citoyenne, avait déposé un recours. En cause 42 bulletins qui n’avaient pas été comptabilisés parce que la nationalité européenne d’un membre de cette liste n’y figurait pas. En l’occurrence celle de Tomas, citoyen de nationalité tchèque installé au Pré-Saint-Gervais depuis cinq ans, qui explique aujourd’hui: “Nous avons été victime d’une erreur administrative. On aurait dû avoir un deuxième tour.”
A l’époque, l’édile socialiste, Laurent Baron, avait été élu le 15 mars 2020 dès le premier tour avec 1 807 voix (soit 50,19% des suffrages exprimés). Dix-neuf mois auparavant, l’ouvrier métallurgiste avait été propulsé sur le devant de la scène politique locale en succédant à Gérard Cosme qui démissionnait après vingt ans de mandat.
Fief socialiste
“C’est comme si l’équipe du maire actuel avait peur“, considère Anne avant de repartir son cabas rempli de légumes accroché à son vélo. Certains habitants comme Michèle, qui vient d’apprendre qu’une nouvelle élection municipale est organisée dans une quinzaine de jours, ont un avis tranché : “On ne veut plus de la gauche au Pré-Saint-Gervais. Dans cette ville, ça devient de pire en pire, il y a de plus en plus d’insécurité. Alors j’irai voter.”
Pour d’autres en revanche, comme Karima qui arbore fièrement un badge au nom de la liste “Le Pré au cœur” de Laurent Baron, “le maire ne mérite pas ce qui lui arrive. Il a fait beaucoup de choses pour la ville. On le critique pour la piétonisation [d’une portion] de la rue André Joineau, mais beaucoup de gens et de commerçants sont contents. Et ceux qui vous disent qu’il y a de l’insécurité… ce n’est quand même pas les Quatre chemins ici.”
Dimanche matin, Laurent Baron ne boudait pas son plaisir en accueillant Stéphane Troussel, le président socialiste du département de Seine-Saint-Denis venu lui apporter son soutien. “Je suis confiant“, assure-t-il entouré de nombreux militants socialistes et communistes venus parfois de loin comme Nesrine Rezzag Bara, adjointe (PS) au maire de Nanterre, en charge de la sécurité. Il faut dire que, pour le PS, perdre le Pré-Saint-Gervais serait de mauvais augure: depuis 1904 et Jean-Baptiste Sémanaz (SFIO), ce sont des maires socialistes qui se succèdent à la tête de la municipalité.
Espaces verts et logement
Karima voit aussi en Laurent Baron un homme à l’écoute des préoccupations de ses habitants, ouvert, n’hésitant pas à intervenir lui-même pour régler des problèmes. Mais c’est justement le manque de concertation qui lui est souvent reproché par les autres candidats. “Il y a un côté hors-sol et unilatéral dans sa façon de prendre des décisions“, considère Grégoire Roger qui prend comme exemple la piétonisation de la rue André Joineau, mais aussi d’un projet immobilier de la rue Jean-Baptiste Sémanaz: “après son élection [en mars 2020], on apprend, en septembre, le dépôt d’un permis de construire.” Enfant du Pré-Saint-Gervais, tout comme Laurent Baron, ce professeur d’histoire-géographie s’est lancé en 2020 sous l’étiquette “Alternative gervaisienne”.
Comme pour le réaménagement du site de l’ancienne usine des salaisons Busso, Grégoire Roger dénonce des projets qui ne font qu’accentuer le bétonnage dans une ville de plus de 17 700 habitants “qui ne compte que 0,48 m2 d’espace vert” (contre 4 m2 pour Pantin par exemple). “Or, la crise sanitaire et les confinements ont rendu encore plus criant le manque d’espaces de nature où les gens peuvent se retrouver. C’est un enjeu écologique, mais aussi social et de santé publique“, pointe Grégoire Roger.
Des critiques que déplore Laurent Baron. Lui rappelle notamment qu’il y a eu des ateliers de concertation sur le projet immobilier Busso et que la mairie a obtenu “la création d’un espace vert public de 3 300 m2 en pleine terre, alors que la surface totale de la friche représente 4 700m2“. Il met également en avant la transformation de la cour l’école Suzanne-Lacore en cour oasis. La priorité pour lui est “de pouvoir poursuivre le travail de politique sociale et écologique que nous avons engagé [depuis mars 2020] dans le contexte difficile que nous traversons tous.”
Alexandre Saada, qui se présente sous les couleurs de La République en marche (LREM), considère néanmoins que le projet Busso témoigne d’une “absence symptomatique de consultation” de la population par le maire sortant, ce qui a cristallisé sa volonté d’engagement dans la campagne municipale, déjà en 2020 (avec le soutien aussi du Modem et du parti centriste Agir). Alors qu’il se revendique comme “le seul candidat qui ne soit pas de gauche“, il veut saisir l’opportunité de cette nouvelle élection: “A la veille d’une 5ème vague de Covid-19, je ressens beaucoup de colère de la part d’électeurs qui n’ont pas pu voter comme ils le souhaitaient lors du dernier scrutin“, lâche-t-il.
Listes citoyennes
Le projet Busso et la consultation sur ce dernier qu’il estime “bâclée“, a également poussé Tomas Netusil à s’engager aux côtés de Delphine Debord, candidate de “La liste citoyenne”. Mais pour Patrice Zhan, le candidat tête de liste de Lutte ouvrière, le débat sur le réaménagement de la friche Busso est de tout façon faussé. Répondant au téléphone depuis l’usine Stellantis de Poissy où il travaille, il estime que “c’est toujours des gens d’un certain milieu qui s’intéressent à ce type de consultation. La plupart des gens ne se sentent pas concernés: ils ont déjà beaucoup à faire avec leurs propres préoccupations.” D’ailleurs, “ce n’est pas une municipalité qui peut régler les problèmes écologiques ou la fermeture d’usine, explique-t-il. C’est à une autre échelle qu’il faut changer les choses. L’objectif de Lutte ouvrière c’est de saisir toutes les opportunités pour s’adresser aux travailleurs. Et c’est par un changement complet de la société qu’il faut passer.“
En dehors de la “Liste citoyenne”, soutenue par La France insoumise et désormais par Europe écologie-Les Verts, qui promeut “une démocratie directe” pour la gestion de la ville, deux autres listes se revendiquent comme “citoyennes”.
D’une part, Alternative gervaisienne, arrivée en 2ème position en mars 2020 avec 19,66% des voix. Celle-ci fait de sa non affiliation à un parti politique la garantie d’une gestion efficace de la municipalité.
D’autre part, celle d’Alexandre Bénéteau, nouveau venu dans l’arène politique locale. Ancien militaire et patron d’une auto-école située place Séverine, il déclare vouloir “rendre la ville aux habitants“, et “représenter la classe populaire du Pré“, celle des “grands oubliés des quartiers périphériques du centre-ville“. Se décrivant “sans étiquette” mais de “sensibilité plutôt à gauche“, il veut également agir face “à la montée de l’insécurité“. “Le déclic de mon engagement est aussi venu de l’agression de mon fils de 14 ans en pleine rue par plusieurs jeunes, sans que personne n’intervienne“, confie-t-il.
En attendant, nombre de Gervaisiens observent ce jeu politique entre désillusion et désintérêt. Pour Thierry, retraité de 72 ans et habitant depuis toujours au Pré-Saint-Gervais “cette élection est bizarre et elle ne changera rien“. Emmanuel, mécanicien de TGV, est quant à lui Gervaisien depuis 26 ans. Il se dit “dégouté” par la politique: “A la mairie on n’a jamais pris en compte mes demandes de logement. Maintenant je gagne bien ma vie, mais je ne m’en toujours sors pas. Je travaille souvent jusqu’à 2h00 ou 3h00 du matin et parfois loin d’ici. Aujourd’hui je ne me bats que pour mes trois filles.” Moins virulent mais partageant un certain désintérêt pour la politique, Hakim se rendra néanmoins aux urnes. Pour rappel, l’abstention avait atteint 57,96% en mars 2020, certes dans un contexte hors-norme de début de crise sanitaire.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.