Lancé en 2015, le projet de réaménagement de la place de la Porte Montreuil se précise. Après l’attribution du projet au groupement d’entreprises Nexity, Engie et Crédit agricole en décembre 2019, une nouvelle étape sera franchie courant octobre avec la restitution des trois consultations publiques. Sur le papier, le début des travaux est désormais prévu pour 2025, mais il reste beaucoup de questions en suspens.
“Je suis très inquiet“, explique Jean, 70 ans, en arrivant sous le chapiteau installé à l’angle de la Porte de Montreuil et de l’avenue Benoît Frachon. Malgré la pluie qui tombe à verse, il a tenu à venir s’informer sur les transformations envisagées place de la Porte de Montreuil.
L’insécurité concentre ses préoccupations. En cause, la densité de la circulation automobile. L’accident qui a coûté la vie à la cycliste Angela Sandoval en juillet dernier est encore dans toutes les têtes. Mais la peur est aussi générée par les trafics en tous genres, notamment ceux des “biffins” (ndlr: les vendeurs à la sauvette) qui “débordent du marché des puces“, explique Jean. “Mais que deviendra-t-il des puces? Je connais des marchands qui ne sont pas très contents“, ajoute-t-il ? Maeva, 26 ans, partage ce sentiment: “En tant qu’habitante de Bagnolet, cette place fait déjà partie de mon environnement et elle le deviendra encore plus lorsque j’emménagerai à Montreuil. L’avenir des puces mais aussi du centre commercial qui est mort m’inquiètent, ainsi que la propreté et la sécurité du passage.“
“Ça ne va faire l’effet d’un mur?”
Traduire ces préoccupations, mais aussi les envies d’amélioration des usagers de la place de la Porte Montreuil en alternatives d’aménagement urbain, c’est la mission de l’agence Made in. Trois ateliers de consultation publique ont été organisés à cette fin dont le dernier, le 15 septembre, côté Montreuil et Bagnolet, justement pour tenir compte des attentes des habitants de ces deux communes limitrophes de cette place du XXème arrondissement de Paris.
Pour cela Thierry Parisot, socio-urbaniste, utilise un plan simplifié du projet retenu par la ville de Paris et esquissé au départ par l’agence d’architecture TVK. Ensuite c’est un travail d’écoute pour tenter de redéfinir les usages possibles de la futur place. “Les gens peuvent, par exemple, donner leur avis sur l’usage des espaces végétalisés, indique Thierry Parisot: faut-il y inclure des espaces de jeux ou de sport? Ils peuvent aussi indiquer comment ils envisagent le sens du passage sur cette place: faut-il créer une allée centrale pour cyclistes et piétons? Comment séparer les deux voies?“
Sur le plan étalé sur la table, Jean s’interroge sur les nouveaux bâtiments qui sont prévus autour de la future grande place: “En fait, ils sont tous concentrés côté Montreuil, constate-t-il. Ça ne va pas faire l’effet d’un mur?” se demande-t-il.
Quid des Puces ?
Côté Paris, c’est en effet simplement un édifice destiné à accueillir la recyclerie “Coup de main” de l’association Emmaüs qui doit être construit. Côté Montreuil, trois bâtiments sont prévus, dont un dédié au “co-living” (mode d’habitation hybride entre hôtel et colocation), un autre baptisé “pavillon inclusif” qui abritera des associations et une aire de restauration avec des bureaux (le food court), devraient s’aligner à côté des immeubles déjà existants du centre commercial de la Grande porte et du siège de la CGT. De ce côté de la place, un hôtel doit également être construit sur le pont qui enjambe le périphérique.
Gaylor Le Chequer, premier adjoint au maire de Montreuil, en charge notamment de l’urbanisme, prévient lui aussi: “Nous veillons à ce que cette place ne devienne pas une frontière“, rappelant que si c’est la ville de Paris qui pilote le projet, le travail se fait en bonne entente. “Nous ne voulons pas que ce projet soit un objet de confrontation politique. L’objectif est de faire de ce lieu une vraie place métropolitaine“, précise-t-il.
Reste à préciser l’avenir immédiat des puces de Montreuil. Son maintien a été acté mais “dans un bâtiment de type halle d’environ 6 500 m² et ouvert sur l’espace public“, comme le précise notamment la convention pluriannuelle des projets de renouvellement urbain (NPNRU) avec la ville de Paris.
Parmi les marchands des puces, au nombre d’environ 450 à Montreuil, les avis sont réservés. Sur le marché ce lundi, Rachid et Marco sont en pleine discussion. Une dame vient acheter des jeans. Si le premier ne semble pas effrayé par le changement, pour Marco, qui tient son stand de fripes depuis près de 40 ans, le projet de hall signerait “la mort des puces. Regardez autour de vous, nous ont fait un commerce social.” A ses côtés, Kenny, un client habitué devenu ami, abonde dans son sens: “Ici on vient pour chiner, négocier, discuter, il y a un vrai lien social qui se créé.” Leur crainte est de voir les puces se transformer en une sorte de grande surface où chaque commerçant serait parqué dans un box, en perdant tout le charme du marché ouvert. “Ce qui en plus favoriserait les abonnés par rapport aux volants“, comprendre respectivement ceux qui ont un emplacement déterminé et les itinérants, précise Rima, la présidente de la commission du marché des puces de Montreuil. “Il faut que les puces reste un marché ouvert“, poursuit-elle en montrant avec fierté son étal: des robes, des pantalons, des t-shirt et des chemises pour enfants. Quant au déplacement du marché pour la mise en œuvre des travaux de la voirie, Rima déplore un manque de concertation: “pour l’installation des pistes cyclables de la place, on n’a pas vraiment été prévenus. Comme vous pouvez le constater, les camions n’ont plus de place pour se garer et c’est à la limite plus dangereux pour les cyclistes.”
Un chantier de 60 000 m2
L’aménagement de la porte de Montreuil s’inscrit dans le cadre plus large de l’opération “Portes du 20ème” s’étendant de la porte de Bagnolet à la porte de Montreuil, qui compte environ 8 600 habitants et comprend 4 000 logements dont 95% de logements sociaux avec une part importante de logements HBM (habitation à bon marché). Toutefois, “elle ne fait pas l’objet de co-financements de l’ANRU au titre du NPNRU“, note la dite convention.
Pour démarrer les travaux sur la voierie de la place, la relocalisation du marché des puces, probablement sur le site jusque là occupé par une station-service, serait nécessaire. La décision très attendue pourrait tomber avant la fin du mois.
Pour les Montreuillois, une autre attente concerne l’ouverture d’un accès au métro de la ligne 9: “C’est une vieille revendication que nous portons, mais la décision entre les mains d’Ile-de-France mobilité“, précise Gaylor Le Chequer.
Au total, le réaménagement de la place de la porte de Montreuil représentera un chantier couvrant 60 000 m2, soit une surface près de deux fois plus grande que celle de la République, dans le 10ème arrondissement de Paris.
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