“On sait que ça ne devrait pas être normal, mais on a l’habitude maintenant”, lâche un lycéen d’Angela Davis, à Saint-Denis, deux jours après l’agression au couteau d’un élève de Bartholdi, dans un gymnase.
Deux coups de couteau à la cuisse et dans le dos : c’est le tarif qu’a payé ce jeune de 16 ans, attaqué dans l’enceinte du gymnase fréquenté par les élèves d’Angela Davis. La victime est désormais hors de danger. Pourquoi une telle agression ? Personne ne le sait réellement. Peut-être est-ce le match retour des affrontements de vendredi dernier. Aux alentours de 20h, une cinquantaine de personnes, issues des quartiers du Landy à Aubervilliers et de la Plaine Saint-Denis, s’étaient déjà affrontées à coups de battes de base-ball. Un problème relativement fréquent autour de cet établissement, situé à la limite des deux villes. Certains élèves avancent pour leur part l’hypothèse d’une guerre 100% dionysienne, entre les quartiers Landy et Montjoie, qui dure déjà depuis au moins une vingtaine d’années. “On n’était même pas nés quand ces histoires ont commencé”, affirme un lycéen de Angela Davis.
Un autre assure avoir vu une partie de la scène depuis la fenêtre de sa salle de cours . Aux alentours de 15h45, deux individus garent un camion devant le gymnase du lycée, situé en face du bâtiment principal. Ils tentent d’abord de forcer l’entrée avant qu’un jeune ne leur ouvre. Quelques minutes plus tard, l’alerte est donnée : la police et les pompiers accourent, les élèves sont confinés dans l’enceinte de l’établissement pendant une demi-heure. Le soir même, la nouvelle se diffuse sur les réseaux sociaux.
“On a l’habitude maintenant”
À Angela Davis, les lycéens de terminale n’affichent pas une émotion ostensible. “On sait que ça ne devrait pas être normal, mais on a l’habitude maintenant”, confie l’un d’eux. L’année dernière, deux jeunes s’étaient déjà fait poignarder à la sortie des cours. “Apparemment, c’est une dispute entre deux cités de Saint-Denis. Je ne suis pas dans cette histoire, je ne suis même pas de Saint-Denis. Oui, c’est triste, mais je ne me sens pas concernée” , lâche Rebecca. “Je resterai peut-être un peu moins longtemps devant le lycée après les cours, mais c’est tout”, ajoute une élève de première.
Devant l’établissement, un groupe de seconde confie son émotion. “Quand on s’est retrouvé bloqué dans le lycée, personne ne nous a dit pourquoi. D’abord, on a cru que quelqu’un avait fait un malaise. Mais quand on a vu les voitures de police, on a un peu paniqué!”, raconte Deedee. “Ça fait de la peine, ça aurait pu arriver à tout le monde. Et surtout, on se sent moins en sécurité”, ajoute Thirisha. “Nos parents nous ont dit de ne plus traîner devant le lycée”, assure Anas. “Ma mère voulait carrément que je change de lycée”, renchérit Rebecca.
Un message aux élèves et aux parents, une surveillance renforcée
Le lendemain de la rixe, un message du proviseur à destination des élèves et de leurs parents est diffusé sur l’Environnement Numérique de Travail (ENT) du lycée : “[…] des adultes surveillent les abords de l’établissement toute la journée. Vos enfants peuvent venir et suivre les cours normalement […]”, rassure le proviseur Salim Bouzad. Selon les élèves, des policiers sont restés en observation devant le lycée tout au long du lendemain des heurts. Ce jeudi, des équipes de la police municipale se relayaient avec des agents de sécurité de la région Île-de-France pour veiller au bon déroulement de la sortie des cours. “Ils seront là pendant 2 ou 3 jours et on ne les verra plus”, lance une élève de terminale.
Pour limiter les risques, les horaires d’entrée ont également été modifiés. Désormais les élèves ne pourront plus rentrer dans l’établissement qu’à heures fixes, toutes les demi-heures. “Ils préfèrent laisser les retardataires dehors, exposés à tous ces risques, plutôt que de les laisser rentrer, ça n’a pas de sens…” se plaint une lycéenne. Ses camarades aquiescent.
Un manque de moyens chronique
Du côté des profs, le désabusement est palpable. “Il n’y a pas eu une année sans qu’il y ait eu un problème de violence à gérer”, témoigne une professeure de français, en poste depuis l’ouverture du lycée il y a quatre ans. Elle déplore le peu de moyens dont bénéficie Angela Davis. “L’établissement vient tout juste d’ouvrir, donc il n’est pas encore classé dans les catégories qui lui permettraient d’obtenir plus d’aides et d’effectifs – alors que tous les autres lycées des alentours le sont. Avec un classement en Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP), on pourrait déjà réduire les effectifs en classe de 35 à 24, et avoir deux profs principaux par classe, ce qui permettrait un meilleur suivi. Au-delà de ça, nous voudrions également que soient créés des postes de psychologues et qu’une antenne de vie sociale soit mise en place, pour permettre aux élèves de socialiser en dehors du cadre purement scolaire. Bien sûr, ça ne mettrait pas fin à toutes les violences, mais ça permettrait au moins d’en désamorcer certaines en amont.”
Après l’attaque au couteau de l’année dernière, une séance de sensibilisation avait eu lieu et une cellule de soutien psychologique avait été mise en place. Cette fois-ci, ni les profs ni les élèves interrogés avaient entendu parler d’une telle initiative ce jeudi, alors que la situation sanitaire complique déjà beaucoup le quotidien.
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