Les élèves du lycée Jacques Brel abordent lundi 10 mai les épreuves du bac blanc de français et de philosophie en plein bras de fer avec l’administration de l’éducation nationale. Depuis une semaine ils réclament l’annulation des examens écrits et du grand oral. La Courneuve, mais aussi Noisy-le-Grand, Épinay-sur-Seine, Aubervilliers, Bagnolet… En dépit des aménagements annoncés par Jean-Michel Blanquer, les blocages de lycées se poursuivent en Seine-Saint-Denis et menacent de se durcir.
« On demande à être entendu ! », clament d’une seule voix les lycéens regroupés ce mercredi 5 mai dès 8 heures devant les grilles du lycée Jacques Brel de La Courneuve. « Il est hors de question qu’on lâche tant que nos revendications ne seront pas prises en compte : l’annulation des épreuves du bac », abonde Jeroen, élève en terminale, l’un des plus impliqués dans la mobilisation.
Bloquer pour être entendu
Depuis lundi, jour de la reprise des cours après les vacances de printemps et du début du déconfinement, ils bloquent l’entrée de cet établissement d’un peu plus de mille élèves. Certains restent chez eux et l’effet des cours en demi jauge masque, selon eux, l’ampleur de la mobilisation. « Tout le monde est solidaire. On bloque sans empêcher d’entrer. Mais à part des BTS, pour qui c’est compliqué, personne n’y va », constate Julie, en terminale également, membre du conseil de vie lycéenne (CVL) et représentante au sein du conseil d’administration. « Notez bien, ajoute un camarade, on est pacifique, il n’y aucune dégradation. »
« Les coups de pression de la direction du lycée et des batman du rectorat (ndlr, les équipes mobiles de sécurité) n’y feront rien », raconte Jeroen. « Depuis le début de la semaine, on a demandé à être reçu au rectorat et aucune réponse ne nous a été donnée. Blanquer n’a pourtant pas hésité à s’exprimer dans TPMP (ndlr, l’émission Touche pas à mon poste). Mais nous on ne compte pas. C’est indécent. »
Désormais, les élèves de Jacques Brel songent à se rendre devant les portes la DSDEN (ndlr, direction des services départementaux de l’éducation nationale) à Bobigny avec leur cahier de doléances. De son côté, le rectorat de l’académie de Créteil n’a pas réagi.
Initiée le 29 avril par l’Union nationale lycéenne (UNL) qui appelle lundi 10 mai à « une marée noire » devant les portes du ministère de l’éducation nationale à Paris, la mobilisation n’a cessé de prendre de l’ampleur. Selon Elie Saget, vice-président de l’UNL contactés par téléphone, elle serait désormais suivie par les lycéens de plus de 400 établissements à travers la France.
Les assouplissements jugés insuffisants
Face la pression du mouvement, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, a annoncé mercredi dernier un assouplissement des conditions de la tenue des épreuves. Pour le grand oral, l’élève ne sera pas interrogé sur les domaines qui n’ont pas été étudiés dans l’année. Les élèves pourront également s’appuyer, durant l’oral, sur les notes prises pendant les 20 minutes de préparation. Concernant la philosophie, c’est la meilleure note entre le contrôle continu et l’épreuve qui sera retenue. Le contrôle continu représentera (pour le moment) 82 % de la note finale du bac, l’épreuve écrite de philosophie et celle du grand oral correspondant aux 18 % restants. Quant au bac, l’élève aura le choix entre deux textes au moment de l’oral, sur les 14 qui ont été préparés en classe.
Des aménagements jugés insuffisants par les élèves. « Il y en a certains qui n’ont eu des cours que sur 4 ou 5 textes d’auteurs alors qu’il est censé y en avoir une quinzaine à préparer pour le bac », pointe Ayoub, élève de 1ère qui s’apprête à passer le bac français.
Même constat pour Julie qui déplore le peu d’enseignement transmis en philosophie. « Mon professeur est tombé gravement malade. On nous a donné des fiches du CNED (Centre national d’enseignement à distance) en nous invitant à venir voir les autres profs de philo en fin de journée. Mais on n’a pas forcément tous la possibilité de suivre », témoigne-t-elle. Ceci dans un contexte où le lycée fonctionne en demi jauge (une demi journée sur deux) quasi en continu depuis novembre selon eux. « Du coup, à quoi bon maintenir ce grand oral alors qu’on est pas prêt à le passer. »
Pour Elie Saget, les aménagements annoncés sont « l’aveu que les notes de l’épreuve finale seront mauvaises, pour beaucoup d’élèves. »
Sentiment d’inégalité
Les incriminations des lycéens ne visent pas les enseignants. « Ils font ce qu’ils peuvent, souligne Jeroen. Mais ce que l’on constate, c’est le manque flagrant de moyens de l’éducation nationale. »
Aysa s’indigne des différences de ressources entre la banlieue et « l’autre côté du périphérique ». « Ici tout le monde n’a pas forcément les moyens d’étudier dans de bonnes conditions, il y a une réelle rupture de l’égalité. Comme beaucoup de monde dans ce contexte, j’ai envie de baisser les bras. » Bakari, en terminale scientifique, renchérit : « Il y a des familles nombreuses, certaines n’ont pas de possibilités de connexion internet. Quant au portable qui nous a été fourni par la région, c’est bien, mais il rame tout le temps. »
Vendredi 7 mai des parents d’élèves ont fait le déplacement. Gamra, mère d’une élève qui passe le bac français, regrette de n’être pas venue avant soutenir les lycéens : « Au début j’étais contre. On est inquiet que nos enfants n’aillent pas jusqu’au bout de leur année. Mais j’ai réalisé qu’ils ont raison : ça fait des mois que j’alerte le proviseur sur les absences répétées et non remplacées. » Une autre mère d’élève s’indigne à ses côtés : « On ressent du mépris, on a vraiment l’impression que la Seine-Saint-Denis est un dépotoir. »
De nouveaux blocages étaient annoncés ce lundi matin.
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