Depuis janvier 2021, le centre municipal de santé d’Aubervilliers dispose d’une consultation d’initiation au traitement préventif contre le Sida, baptisé PrEP. L’enjeu est de démocratiser son accès, notamment aux femmes, particulièrement touchées en Seine-Saint-Denis. Cette consultation pilote, organisée avec des associations spécialisées, est aussi l’occasion d’aborder les problèmes de santé sexuelle.
“L’idée de ce projet, c’est de proposer une nouvelle offre pour que la PrEP soit plus accessible. C’est ce qu’on a fait en mettant en place une consultation spécialisée dans un centre de santé qui est déjà bien connu des habitants“, explique Hamane Mouhim, directrice du centre de santé sexuelle d’approche communautaire Checkpoint Paris.
PrEP est l’acronyme anglais pour “prophylaxie pré-exposition” qui désigne une stratégie de prévention contre le VIH, le virus responsable du Sida. Pour ouvrir cette consultation au centre municipal de santé (CMS) d’Aubervilliers, la ville s’est associée à Checkpoint et Arcat, autre association historique de lutte contre le sida qui concentre son action sur les publics issus des communautés africaines et sub-sahariennes. Un partenariat ville-association-professionnels de la santé salué par le ministre de la santé François Braun venu visiter le CMS à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida. “Il faut maintenant élargir les possibilités de consultation et faire venir le public“, souligne Fabrice Giraux, directeur de la santé d’Aubervilliers.
Les femmes migrantes plus exposées
En 2022, 28 personnes ont été inclus en consultation d’initiation à la PrEP au CMS d’Aubervilliers contre 25 en 2021. “Les gens qui viennent à la PrEP sont surtout des HSH [ndlr, terme qui englobe les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes], détaille Patrick Florentiny, animateur de prévention de l’association Le kiosque info sida et toxicomanie. Mais notre but c’est de toucher plus de femmes. Beaucoup sont ici d’origine subsaharienne et ne maitrisent pas leur protection à l’égard du virus. Si le VIH est aujourd’hui encore une maladie très discriminante, la population la plus vulnérable a changé. De plus en plus, l’exposition au virus résulte de pratiques à risque dues à des situations de précarité. Et les migrants et les femmes sont de plus en plus concernés“, indique-t-il, en rappelant que le VIH est la première cause de mortalité des femmes de 15 à 49 ans dans le monde.
Santé sexuelle
Dans la pratique, la mise en place de la consultation PrEP a entrainé une petite révolution: l’apprentissage par les équipes du CMS de savoir non-médicaux, davantage liés aux communautés exposées au VIH. “Il faut que les médecins prennent davantage en compte la santé sexuelle durant les consultations“, pointe Patrick Florentiny. “Par ce biais on peut aussi aborder des questions comme le consentement… Par exemple, si on ne pose pas de questions sur la santé sexuelle à une femme on peut pas savoir si elle subit des violences ou si elle fait du sexe de survie… On peut donc passer à côté de personnes exposées et, du coup même coup passer à côté d’un dépistage et d’un traitement la PrEP“. C’est lui, qui, au début du projet en 2019 est venu avec un médiateur santé de Checkpoint sensibiliser les personnels et les professionnels du CMS.
“L’enjeu est de trouver des réponses adaptées à des publics très spécifiques, mais aussi de participer à l’acculturation de l’ensemble des professionnels“, complète Fabrice Giraux. “Durant nos études, on parle d’IST [ndlr, infection sexuellement transmissible] mais pas de santé sexuelle. Et ce n’est pas le premier sujet que l’on aborde lors d’une consultation en médecine générale. D’où l’idée de ce partenariat et de cette consultation qui pose un cadre propice pour parler plus facilement de sexualité.”
Démocratisation de la PrEP
Autorisé en France depuis 2016, le traitement PrEP ne pouvait être prescrit que par un médecin hospitalier ou dans un centre hospitalier de dépistage jusqu’en juin 2021 et son élargissement à la médecine de ville.
Hamane Mouhim rappelle qu'”au départ, l’idée avec la mise en place d’une consultation PrEP qui avait été prise avant son ouverture à la médecine de ville, était aussi de désemboliser les CeGIDD [ndlr, Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic].”
Or, pour Nicolas Derche, président d’Arcat, “les possibilités de prescription de la PrEP en médecine de ville ne sont pas encore totalement mobilisées pour pleins de raisons: les consultations de ce type sont plus longues, les médecins généralistes n’y sont pas forcément formés, la santé sexuelle reste un sujet difficile à aborder. Dans ce contexte, la PrEP reste un médicament connu surtout des publics plutôt bien insérés socialement et ayant un niveau d’éducation assez élevé.”
Soutenu notamment par l’Agence régionael de santé, Checkpoint Paris et Arcat travaillent à étendre l’expérience menée à Aubervilliers à Saint-Denis et Montreuil, les deux autres villes les plus touchées de Seine-Saint-Denis par les contaminations au VIH.
“Aujourd’hui, il n’y a pas assez de femmes qui accèdent à la PrEP“, constate la directrice du centre de santé de Checkpoint Paris tout en pointant la prévalence au VIH élevée sur le territoire. “Aubervilliers représente 9% des nouvelles contaminations en Seine-Saint-Denis, qui est particulièrement sous-doté en médecins généralistes et qui, dans le même temps, est le département plus touché par les contaminations au VIH.” D’après les chiffres de l’Agence régionale de santé (ARS) en 2022, il compte 731 cas pour 100 000 habitants, un taux largement supérieur à la moyenne francilienne (593). La prévalence y bat même des records pour les femmes avec 613 cas pour 100 000 habitants, devant Paris (501).
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