Pour Foulematou, auxiliaire d’élèves handicapés dans une école de Chennevières-sur-Marne, la régularisation de son titre de séjour est passée du parcours du combattant au cauchemar kafkaïen, entre l’impossibilité d’obtenir des rendez-vous en temps et en heure en préfecture et celle de justifier d’un nombre d’heures de travail suffisant en raison du statut actuel des AESH (Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap).
Ce jeudi 2 juin, plusieurs dizaines de personnes sont venues soutenir l’auxiliaire d’enfants handicapés, à l’appel du Réseau éducation sans frontière (RESF). Inratable dans son haut orange, Foulematou distribue sourires et embrassades à la pelle. On pourrait presque croire que c’est son anniversaire. Mais elle n’a rien à fêter. Si militants, professeurs et parents d’élèves se sont réunis devant le groupe scolaire des Hauts de Chennevières, c’est parce qu’elle a reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), émise par la sous-préfecture de Nogent-sur-Marne.
“Quand j’ai reçu la lettre de la préfecture, j’ai d’abord cru à une bonne nouvelle ! Je pensais que mon titre de séjour avait enfin été renouvelé. J’étais tellement contente” se rappelle-t-elle en gardant le sourire, comme si elle racontait une anecdote amusante. “Maintenant, je ne dors plus, je ne pense plus qu’à ça. Je me dis “Pourquoi moi ?”, je ne suis pas une terroriste !”
Pas de rendez-vous à la préfecture
Arrivée de Guinée-Conakry en France en 2011 après le décès de son mari, Foulematou bénéficie intialement d’un titre de séjour “vie privée et familiale”, qui l’autorise à travailler. Ce titre de séjour est notamment prévu pour les étrangers nécessitant une prise en charge médicale exceptionnelle. C’est le cas de Foulematou qui souffre de diabète et d’un cancer de la thyroïde. L’opération, relativement bénigne en France, l’est beaucoup moins en Guinée, et nécessite un traitement et un suivi médical à vie. “Là-bas, il n’y a pas d’hôpitaux. Si je retourne en Guinée, je suis en danger”, insiste-t-elle.
Foulematou parvient à renouveler son titre de séjour à plusieurs reprises jusqu’en octobre 2018. Par la suite, elle ne parvient plus à obtenir de rendez-vous en préfecture. Pendant deux ans, l’auxiliaire dépose ainsi cinq demandes de renouvellement, obtenant un sursis qui durera jusqu’à fin 2020. Cette fois, la préfecture lui demande un justificatif d’autorisation de travail signé par son employeur, pourtant non requis pour le renouvellement d’un titre de séjour “vie privée et familiale” auquel candidate Foulematou. Elle s’exécute, mais son dossier est alors rejeté par deux fois car, comme la plupart des AESH, Foulematou travaille moins de 35 heures par semaine et n’est donc pas en mesure de produire un ‘“contrat de travail réglementaire au SMIC et à temps plein”.
“Elle a sauvé notre vie”
Pour Pablo Krasnopolski, co-fondateur du Réseau Éducation Sans Frontières, venu prêter main forte à la mobilisation, “Foulematou est au croisement de deux discriminations. D’une part celle vécue par les AESH,qui ne bénéficient ni d’un statut ni d’un salaire suffisamment protecteur, et bien sûr celle dont souffrent les étrangers, qui voient leurs conditions de séjour toujours plus précarisées.”
Dans l’école, la décision passe d’autant plus mal que Foulematou remplit une fonction essentielle pour les élèves qu’elle accompagne. “C’est une véritable injustice. Foulematou s’occupe de deux des élèves les plus difficiles de l’établissement, toujours avec calme et patience. Elle n’a jamais manqué un jour de travail. Elle manquerait beaucoup”, confie un membre de l’équipe éducative du groupe scolaire. Parmi les manifestants, Maja, maman du petit Dusan, est hors d’elle. “Mon fils est atteint d’autisme, c’est Foulematou qui l’accompagne depuis cinq ans. Au départ, il ne parlait pas, il n’écrivait pas, il ne socialisait pas… Maintenant, il est parmi les premiers de sa classe de CE1 et a plein de copains. Elle a sauvé notre vie, c’est comme une mère pour mes enfants. Aujourd’hui, c’est elle qui se fait expulser, demain ce sera peut-être moi!”, martèle la mère avec un fort accent serbe.
“Ces enfants, c’est comme ma famille”, abonde Foulematou, elle-même mère de quatre fils restés en Guinée. Sans rien ajouter, elle sort de son sac un porte-clés. Dessus, elle pose avec le petit Alexis, un des enfants qu’elle accompagne.
“Ça fait plus de 11 ans maintenant que je suis des soins en France, que je suis enregistrée à la Sécurité Sociale. Donc l’État connaît ma situation. Pourquoi d’un coup, mon état de santé n’est plus suffisant pour rester sur le territoire ?” questionne-t-elle.
Une pétition de soutien à Foulematou Youla est en ligne et a déjà atteint plus de 1700 signatures.
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