Une famille qui a fui la Côte d’Ivoire pour éviter l’excision de leur fille, une femme seule qui a réchappé à l’asservissement par sa famille d’accueil parisienne… Au nouveau centre d’hébergement d’urgence de Montreuil, rue des Sorins, les parcours de réfugiés se croisent, tous en quête d’un nouveau départ. Reportage.
“Nous avons décidé de partir pour que notre fille ne soit pas excisée“, raconte Sonia, 27 ans. A ses côtés, Mohamed tient dans ses bras leur fille, Naïla, âgée d’à peine neuf mois. Le couple a fui la Côte d’Ivoire pour la protéger.
Installés depuis juin au centre d’hébergement d’urgence rue des Sorins à Montreuil, tous deux racontent avec pudeur leur parcours chaotique. Lui a été le premier à prendre la route de l’exil. Elle arrivera peu après, enceinte, en plein hiver fin 2021. “Après deux jours très difficiles à la rue, on a appelé le 115 et on nous a placés dans un hôtel à Saint-Denis”, raconte Sonia. Seul espoir auquel s’accrocher, une demande d’asile pour leur fille, laquelle finira par être acceptée.
“On se rend compte de la chance que l’on a eu en venant ici“, poursuit la jeune maman. “Lorsque j’ai découvert la cuisine, la table à manger, je n’en revenais pas. La première fois qu’on est resté seul tous les trois, on a dansé, on était fou de joie.“
La famille est l’une des premières à s’être installée dans ce nouveau centre d’hébergement d’urgence (CHU), aujourd’hui presqu’au complet. Géré par le Samu social de Paris, il accueillera à terme 16 familles, dont la moitié sont des femmes seules avec des enfants.
“se réapproprier son intimité”
Quatorze appartements sont d’ores et déjà occupés par des familles avec un ou deux enfants, dont la moitié par des femmes les élevant seules. Ce sont tous des deux pièces de 28 mètres carrés en moyenne, équipés d’une douche et de toilettes, d’un canapé-lit, d’un micro-ondes et d’un frigidaire.
“Les familles trouvent ici un cadre de vie plus apaisé qu’à l’hôtel. Elles peuvent se réapproprier leur intimité”, souligne Yenifer Lema, la directrice du CHU dont le bureau est installé au rez-de-chaussée.
“On se voit comme des gens normaux“
Ce nouvel environnement a transformé le quotidien de Sonia et de Mohamed. “A l’hôtel, la cuisine fermait à 21h00, se souviennent-ils. Comme il y a avait plus de 300 personnes, il fallait faire la queue pour réchauffer la nourriture. Souvent c’était impossible. Et, la chambre était toute petite, il y avait des cafards et des punaises partout.”
Pour Kadiatou, 41 ans, c’est le sentiment de sécurité qui fait la différence. “On se sent comme chez nous. On se sent bien avec nous-mêmes et on se voit comme des gens normaux.”
Arrivée en France de Guinée-Conakry en 2015, elle dit avoir été hébergée, “d’abord gentiment” par une famille à Paris, avant qu'”ils ne profitent de ma situation. Il y a avait cinq enfants, et, très vite c’est moi qui faisait tout le travail. Ça m’a fait perdre toute confiance en moi.“
Comme elle avait engagé une demande d’asile, Kadiatou obtient d’abord d’être placée en CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) à Torcy (Seine-et-Marne), puis à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis). Mais au bout d’un an, sa demande est rejetée. “On m’a donné 24 heures pour quitter les lieux. Là je me suis retrouvée dans la galère. Pendant un mois j’ai dormi aux urgences à l’hôpital Delafontaine [à Saint-Denis], parce que la rue, c’est trop dur pour une femme seule. C’est là que j’ai appelé le 115. Ça peut te sauver d’être violée, agressée ou même prostituée. Quand tu es à la rue, tu n’as pas à manger, tu perds ta dignité“, lâche-t-elle.
Kadiatou a ensuite été suivie à l’accueil de jour de La main tendue à Aubervilliers, où elle rencontre son mari Koné. Leur fille Fatoumata naît alors qu’ils obtiennent une place à l’hôtel Royal de Montreuil. “Avoir une vie de famille à l’hôtel ce n’est pas facile. Mais on ne se plaignait pas trop parce qu’on sait ce qu’on a quitté“, résume-t-elle.
Structure collective, contrat de séjour
“L’accueil est inconditionnel ici comme pour tout centre d’hébergement d’urgence, souligne Yenifer Lema qui connait très bien tous les résidents. “La plupart des familles qui sont ici veulent s’en sortir, c’est-à-dire trouver un logement et construire une vie comme tout le monde. Mais chaque cas est différent. Pour les personnes qui n’ont pas de papiers, le parcours sera plus long. C’est pour cela que l’on propose un accompagnement global.”
C’est la mission de Karina, travailleuse sociale du Samu social de Paris depuis deux ans et demi. “On aide à la réalisation de toutes les démarches qui vont faciliter l’insertion: ouverture de droits sociaux, inscription aux cours de langue, régularisation en lien avec le service juridique, recherche d’emploi et de formation, préparation de cv en lien un conseiller en insertion qui vient deux fois par mois, aide à la parentalité et tout simplement aide de tous les jours. Beaucoup de familles ont vécu à l’hôtel pendant de longues années et ne savent pas forcément se servir des équipements“, détaille-t-elle. Ce qui l’amène a monter de temps en temps dans les étages “pour voir si tout va bien et comment évolue la dynamique familiale.”
“Le centre reste une structure collective, les résidents signent un contrat de séjour, il y a un règlement intérieur“, rappelle cependant Yenifer Lema. Les visites extérieures, par exemple, sont restreintes à des horaires définis.
“social chic“
Elle vient d’ailleurs d’organiser une première réunion pour que tout le monde fasse connaissance dans la salle commune. On peut y faire la cuisine (elle est équipée du seul four de l’immeuble), servir de lieu de rencontre, mais aussi de travail. Elle accueillera également des cours de langue. Et pour faciliter les démarches de chacun, deux ordinateurs doivent y être installés, ainsi que des transats pour les bébés.
“C’est du social chic ici“, s’amuse Samiha. A 37 ans, elle élève seule ses deux garçons, Mohamed et Anasse. “Avant d’arriver ici, on s’est retrouvée dans un CHU à Aubervilliers. Cet environnement n’était pas bon pour mon fils ainé qui est autiste. La porte d’entrée n’était pas sécurisée. Il n’y avait pas de douche, ni de toilette ni de cuisine pour nous. C’est trois mois que l’on a passé là bas, c’était comme un an pour moi. Ici ça nous change la vie.”
Réduire les places en hôtel social
Sur les six centres que gère le Samu social de Paris, celui de la rue des Sorins est le premier à être entièrement ancré dans la Seine-Saint-Denis, c’est-à-dire dont les bénéficiaires sont aiguillés par le service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) de la Seine-Saint-Denis.
“L’objectif, avec la création de ce centre, c’est de fermer des places en hôtel social. Aujourd’hui, elles représentent plus de la moitié de l’hébergement en Ile-de-France pour une durée moyenne de séjour de deux ans et demi. A côté de cela, les structures telles que les CHU sont saturées. Les places sont en nombre insuffisants, notamment dans un département comme la Seine-Saint-Denis“, souligne Vanessa Benoit, directrice générale du Samu social de Paris.
Selon le rapport 2021 d’Interlogement 93, sur 10 476 personnes orientées au cours de l’année, 83% l’ont été dans un cadre hôtelier. Par comparaison, 908 personnes ont été admises dans des centres d’hébergement d’urgence.
Un partenariat entre la ville et Caritas Habitat
A Montreuil, la ville était propriétaire de l’immeuble rue des Sorins et l’a cédé à Caritas Habitat, la société foncière du Secours catholique créée en 2015. “On a travaillé en partenariat pour proposer, dans le cadre de la loi, le montant de 800 000 euros, soit un 20% en-dessous du prix du marché, ce qui se justifie par la dimension sociale du projet et les besoins de réhabilitation lourd de l’immeuble“, précise Gaylord Le Chequer, premier adjoint au maire de Montreuil en charge de l’urbanisme. “La création du CHU s’inscrit d’ailleurs pleinement dans la volonté de la ville de maintenir la diversité de son offre de logements, en particulier social, en dehors de toute logique spéculative.”
Pour Caritas Habitat, qui a créé ici son premier CHU, “il s’agit d’un projet emblématique, souligne sa directrice générale, Samuelle Coué. “Il s’agit d’une réhabilitation lourde et d’un projet co-construit avec la ville de Montreuil et le Samu social de Paris [dont le bail s’étale sur 15 ans]. Nous avons travaillé sur la création de ces logements autonomes. Aujourd’hui, le centre peut accueillir 60 personnes, dans des espaces de vie qualitatifs.” Les travaux ont duré un an et demi et représenté un budget de 3 millions d’euros, financé à hauteur d’un tiers par l’agence nationale de l’habitat (ANAH).”
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