Comment se connecter à Internet, vérifier ses e-mails, utiliser un moteur de recherche? Pour certains, cela relève du casse-tête. À Saint-Denis, Emmaüs Connect enseigne depuis 2014 les bases du numérique à un public éloigné de la technologie, souvent précaire. Reportage.
“Si je cherche le titre d’une chanson de Céline Dion, je tape quoi ?”, demande Éric à ses cinq élèves. -“Céline Dion ?”, propose Lilia. – “Non, c’est Céline Dion qui va s’afficher.” – “Alors, ‘chanson Céline Dion’ ?” -“Voilà !” Ce mercredi, dans le petit local l’antenne Emma¨üs Connect de Saint Denis, dans le quartier de la basilique, les bénéficiaires apprennent à naviguer sur internet, utiliser un moteur de recherche… L’avant-dernière séance d’un programme de six cours en deux semaines qui a commencé par les bases, à savoir apprendre à manipuler un ordinateur, tenir une souris, utiliser un clavier, se repérer sur le bureau Windows… Une dernière séance, et ils sauront utiliser une boîte mail !
Des compétences indispensables pour rester ou devenir autonome. “À mon âge, on est largué, on ne peut rien faire sans internet”, constate simplement Emmanuelle, 79 ans. “Je ne veux pas apprendre à utiliser un ordinateur pour surfer toute la journée, je veux juste pouvoir prendre mes rendez-vous chez le médecin, mes billets de train et mes billets d’avion pour rentrer chez en moi en Martinique ! J’en ai marre de tout le temps solliciter mes enfants”, continue cette ex-agente de la RATP, dionysienne depuis 40 ans.
Pour Marie, 57 ans, acquérir des compétences numériques s’annonce déterminant pour la suite de sa carrière – et de sa santé : “J’ai fait de la manutention, du conditionnement, j’ai été caissière… Maintenant, il faut que je change de travail, j’ai trop de problèmes physiques. J’ai hâte de pouvoir mettre cette compétence sur mon CV !” explique cette Villetanieusienne de 57 ans, enthousiaste.
L’audience du jour est plutôt âgée, mais en réalité, plus de la moitié des bénéficiaires ont entre 31 et 54 ans. Une génération que l’on penserait habituée au numérique – et pourtant. “Ce public est très souvent équipé de smartphones mais on ne se rend pas compte de la différence avec un ordinateur classique. Savoir utiliser un smartphone ne veut pas dire que l’on sait se servir d’un pad, d’une souris, faire une pièce-jointe dans un mail… Le smartphone n’est pas adapté à un usage professionnel”, explique Marie Talhouarne, responsable des opérations à Saint-Denis. Or, un des objectifs principaux de cette formation est de favoriser l’accès à l’emploi : 38% des bénéficiaires sont au chômage.
Autre particularité du public : 70% d’entre eux sont d’origine étrangère, et maîtrisent souvent mal le français. “On reçoit beaucoup de gens qui savent mal lire et écrire. La plupart d’entre eux n’ont jamais touché à un ordinateur de leur vie”, détaille Éric, bénévole depuis près d’un an et lui-même informaticien de formation. C’est le cas d’Abdelaziz, 52 ans, qui cherche longuement avant de comprendre comment accéder à la barre de recherche du navigateur, puis tape “Le Monde” à deux doigts pour accéder au site du journal. “J’ai été à l’école au Maroc dans les années 1980, j’ai arrêté en classe de seconde. À l’époque, on n’avait pas tout ça”, s’excuse-t-il presque. D’autres n’ont pas réussi à tenir la distance. “Il y avait un monsieur qui est venu au début de la session, mais il a arrêté”, confie Abdelaziz. À l’issue de la formation, les bénéficiaires recevront un document attestant de leurs nouvelles capacités informatiques
Après une petite heure de théorie, les cinq élèves passent à la pratique. L’exercice : trouver la réponse à des questions en effectuant des recherches sur le web. “Dans quelle région se trouve le village d’Hermaville ?”, “Quel dessin animé Disney est sorti en 1997 ?”, “Quelle est la date de naissance de Céline Dion ?” “La dernière fois, on avait une personne qui connaissait la date sans avoir besoin de faire une recherche”, sourit une formatrice. Le groupe se met à ses claviers. “Et on tape à deux mains, s’il vous plaît !”
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