Des bureaux de poste et des caisses primaires d’assurance-maladie qui ferment, des rendez-vous difficiles à obtenir à la préfecture… La généralisation des formalités en ligne a transformé la fracture numérique en fracture dans l’accès aux droits. Pour la combler, le gouvernement a lancé un plan de recrutement de conseillers numériques depuis déjà un an, mais la question de leur pérennisation est désormais sur la table. Jeudi dernier, le nouveau ministre chargé de la transition numérique, Jean-Christophe Barrot, n’a rien pu confirmer de manière très précise lors de son passage Villetaneuse, face à des conseillers inquiets et des usagers très en demande.
“On a toujours besoin de faire une démarche, une question à poser“, souligne Amar, un habitant du quartier de Saint-Leu, à Villetaneuse.
Comme lui, ils sont plus de 360 usagers a avoir franchi les portes de la Maison France services de la commune depuis son inauguration le 8 décembre. Vertus, 42 ans, vient pour la première fois. “L’inscription en ligne de mon fils à l’école ne marche pas, j’ai pourtant tout ce qu’il faut“, explique-t-il. Une jeune femme attend, pour sa part, qu’on l’aide à renouveler sa demande de récépissé de titre de séjour.
Dématérialisation
Pour les problèmes administratifs, les usagers s’adressent à Najlah et Malika, les deux agentes France Services. Pour les questions d’ordre plus technique et informatique, comme l’envoi de documents, deux conseillers numériques sont à leur disposition.
“Notre rôle c’est d’essayer de résoudre les problèmes des usagers, mais surtout de les accompagner pour qu’ils comprennent par eux-même les solutions. Pour ça on propose des ateliers collectifs tous les jeudis de 16h00 à 18:00 ou individualisés“, souligne Anas, 23 ans. “La limite de l’apprentissage du numérique, poursuit-il, ce sont les personnes âgées pour qui les réflexes sont difficiles à intégrer. Il y a ensuite la barrière de la langue qui complique la communication. L’absence de connexion internet est aussi un obstacle parce que les gens ne peuvent pas pratiquer chez eux. Dans tous les cas, ils reviennent et même si on se répète souvent, je pense que ce qu’ils cherchent c’est du contact humain.”
Et ça marche, la fréquentation a explosé: les ateliers collectifs organisés par Anas et son collègue Steve sont passés de 10 en janvier à 40 en juin, et de 4 à 65 pour les ateliers individuels. Le public s’est aussi diversifié. “Les usagers cherchent à s’appuyer sur des gens qui ont de l’expérience pour ne pas risquer l’échec de leur démarche“, ajoute Malika.
Les droits des étrangers
Comme elle, Hossein, conseiller numérique à Pierrefitte, constate une forte croissance des demandes sur l’Anef (administration numérique pour les étrangers en France). “Pour les démarches classiques comme la Caf (caisse d’allocations familiales), la sécu ou l’utilisation des smartphones, on ne rencontre pas de difficultés particulières. C’est avec la préfecture qu’on a un gros problème. Il est impossible d’obtenir un rendez-vous“, pointe-t-il.
Comme il est également formé France services, Hossain gère ce type de dossiers. “J’ai déjà quatre personnes qui ont perdu leurs droits parce que leur titre de séjour n’était pas à jour, observe-t-il. En fait, ils n’arrivaient pas à prendre un rendez-vous. Ce qui est contradictoire avec notre formation, c’est qu’on nous demande de ne pas faire à la place de la personne, sauf que les gens qui viennent nous voir avec des urgences ne sont pas autonomes. On a demandé des explications et on nous a expliqué que ce n’était pas à nous de nous occuper du droits des étrangers et qu’ils fallait les rediriger vers la préfecture. Mais, comme la prise d’un rendez-vous est presque impossible, c’est triste parce que ça reste des humains.”
Sur ce plan, les choses devraient avoir changé avec la mise en place de l’Anef et surtout d’une procédure simplifiée à la préfecture de Seine-Saint-Denis pour les personnes pouvant notamment attester de difficultés de connexion. Ce système résulte de la décision de l’ordonnance du 6 juillet du tribunal de Montreuil, annulant les décisions du préfet de Seine-Saint-Denis qui imposaient l’utilisation d’un téléservice pour les demandes de titre de séjour.
Un plan stratégique territorial
A Plaine commune, le déploiement des conseillers numérique a donné lieu à un “plan stratégique pour un numérique inclusif au niveau territorial“, incluant un plan de reconditionnement et de redistribution de matériel informatique, explique Mauna Traikia, conseillère territoriale en charge du développement numérique au sein de l’établissement public territorial. “Il faut remettre de l’humain dans la machine (administratif). Elle fait peur et un des enjeux c’est l’apprentissage et l’usage du numérique, mais aussi de redonner confiance aux gens en leur administration.”
Avec les trois autres intercommunalités de Seine-Saint-Denis et le conseil départemental, Plaine commune (qui regroupe neuf villes: Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse), a signé en octobre dernier, un accord avec l’Etat. Moyennant un financement de 4 millions d’euros, 80 conseillers numériques ont été recrutés dans les collectivités locales, auxquels s’ajoutent une vingtaine de conseillers intégrés à des associations comme Emmaüs Connect, aujourd’hui tous en postes.
Lire : Seine-Saint-Denis: 80 postes de conseillers pour contrer la fracture numérique
Mais plusieurs conseillers numériques, à commencer Hossein qui a effectué sa formation mais n’est pas encore passé devant un jury pour la valider, s’inquiètent pour leur avenir. Leur contrat prendra en effet fin en 2023. Quid de leur reconduction?
“Il est évidemment souhaitable que l’on puisse pérenniser“, répond le ministre. Et quid du doublement annoncé des effectifs ? “Mon prédécesseur (Cédric O) s’était fixé l’objectif de 4000 conseillers numériques, explique le ministre. 0n est un peu plus de 3 000. Depuis septembre, ce-sont 450 000 Français qui ont été accompagnés. L’ambition du président de la république est que nous ayons 20 000 médiateurs, aidants, conseillers numériques“, sachant que les statuts ne sont pas les mêmes.
“Cette structure et les conseillers qui y travaillent répondent à de réelles attentes de la population. On fera tout ce qu’il faut pour pérenniser leur poste. En fait il en faut effectivement davantage tant la fracture numérique est grande“, réagit Dieunor Excellent, maire de Villetaneuse.
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