Des témoins peu loquaces voire absents, une enquête bâtie sur des renseignements anonymes, un tireur présumé qui redoute les représailles: jusqu’à vendredi, la cour d’assises de Seine-Saint-Denis juge deux hommes pour une affaire de règlements de comptes mortels entre trafiquants, où domine la loi du silence.
“En dépit des espoirs qui nous ont animés, personne ne vient“, constate Isabelle Pulver, la présidente de la cour. Malgré les mandats d’amener délivrés pour obliger les témoins à se présenter au procès qui a débuté vendredi dernier, ces derniers ont presque tous déserté. La plupart “seraient partis il y a quelques jours“.
Dans la salle d’assises n°2 à Bobigny, des faits graves sont pourtant évoqués. Le 12 février 2019 vers 20h00, à Pantin, Tiky G., 27 ans, meurt sous les balles. Un ami avec qui il discutait est grièvement touché à la cuisse mais survit. La fusillade se déroule à Scandicci, quartier connu pour abriter un “four”, un lieu de vente de stupéfiants.
“Que je parle ou pas, j’vais m’faire fumer, c’est sûr“
L’enquête s’oriente rapidement vers une guerre entre trafiquants dont les “terrains” (périmètre de vente) se situaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. Membre de l’équipage monté sur un puissant scooter, Michel Tetaert, 30 ans, a reconnu être le tireur. A ses côtés comparaît, libre, un homme de 41 ans qui a toujours nié être le conducteur complice qui l’a aidé à commettre ce crime en bande organisée.
Pour les hommes de la police judiciaire, la tâche s’est avérée ardue. “Les gens ne veulent pas venir déposer, tout simplement parce qu’ils sont terrorisés“, a martelé un enquêteur à la barre, évoquant des règlements de comptes “fréquents” en Seine-Saint-Denis. Les enquêteurs n’ont d’ailleurs recueilli que des renseignements anonymes.
Le tireur présumé n’a jamais donné les noms de ses acolytes. “Que je parle ou pas, j’vais m’faire fumer, c’est sûr“, murmurait-il entre deux sanglots, lors d’une garde à vue partiellement diffusée à l’audience. Déjà condamné pour des vols, l’accusé était sans domicile fixe au moment des faits. Il n’a reçu pour son forfait qu’une somme dérisoire d’environ 500 euros, selon l’enquête. Sa version, selon laquelle il devait uniquement tirer dans les jambes de la victime décédée, a été mise à mal pendant les débats, notamment par l’expertise balistique.
“C’est un dossier sur des “on-dit”
Sur les bancs clairsemés, une dizaine de jeunes hommes écoutent sans piper mot. Certains moments du procès révèlent un imperceptible malaise. Après des explications techniques entre un assesseur et un expert sur la manière de récolter les données d’un téléphone pour localiser un suspect sur une scène de crime, la présidente assène: “D’expérience j’évite de donner des renseignements” de ce type en audience.
Mardi, la magistrate a demandé à l’un des rares témoins présents, un grand-cousin de Tiky G., de décliner identité et adresse, comme l’impose la loi. “Je suis obligé de dire mon adresse?“, bafouille ce gaillard à la barbe soignée. “J’ai pas peur, sinon je serai pas venu“, assure ensuite cet ancien éducateur qui confie avoir pris un temps sous son aile son petit-cousin au passé chaotique.
Sur ses recommandations, Tiky s’était mis au vert dans le Sud, après une “jambisation” (tir dans les jambes pour éloigner un dealer concurrent) en 2013. A son retour cependant, il avait voulu reprendre du service, secteur Hoche, non loin de Scandicci. Et les ennuis arrivèrent. “Je pense qu’il y avait un conflit“, a glissé Fouta T., 35 ans, l’autre victime de la fusillade, dont le témoignage de rescapé offre un précieux aperçu du déroulé des faits.
Au milieu de ces non-dits, cet ancien ambulancier, “traumatisé” par ce qu’il a vécu, est le seul à “assumer” ses déclarations. Il avait estimé que Tiky essayait de récupérer des clients à un concurrent. Le matin-même, la cour avait entendu un surnommé “Dad”, 28 ans au moment des faits. Soupçonné d’être le concurrent et commanditaire présumé, il a obtenu un non-lieu faute de charges suffisantes, échappant ainsi à ce procès où il n’apparaît que comme témoin. “C’est un dossier sur des “on-dit”, moi j’étais pas là, je sais rien, fin de l’histoire“, s’énerve-t-il dans une salle aux murs blancs. Entendu par visioconférence d’une prison, il purge actuellement une peine pour trafic de stupéfiants.
Par Fanny Lattach
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