Mégaphone en main, casque à visière et lourd gilet pare-balles, Clément progresse à pas prudents dans l’appartement, protégé par le bouclier d’un policier du Raid. A l’étage, un forcené armé d’un fusil. “Monsieur Robin, vous m’entendez?”
“Monsieur Robin” est criblé de dettes, retranché chez lui depuis la visite d’un huissier pour des loyers impayés. Un personnage fictif, joué par Jimmy, membre du Raid.
Clément, capitaine à la Brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris, passe toute la semaine des épreuves de sélection pour intégrer la cellule négociation de la prestigieuse unité d’intervention de la police, sur son site de Bièvres (Essonne).
Entre bordées d’injures et bruyant fond musical, Jimmy malmène le jeune officier de 33 ans qui parvient, malgré tout, à maintenir le fil du dialogue jusqu’à sa porte. Puis, un “boum” assourdissant: Clément doit évacuer au plus vite son équipier blessé par balle. Fin de l’exercice.
Un examinateur le débriefe à chaud.
“Avant de sauver ton bouclier, tu n’as pas oublié quelque chose?
“Euh… oui, effectivement. J’aurais dû engager (le tir sur) le forcené”.
“Sur cette situation, on attend des candidats une réaction globale”, commente Cyril dit “Cissou”, policier de l’antenne marseillaise du Raid. “Un négociateur ne cesse jamais d’être un policier, il doit savoir changer de casquette d’un instant à l’autre”.
Ancien étudiant en médecine, intéressé par la psychiatrie, Clément a finalement bifurqué vers des études de droit et décroché un diplôme de criminologie avant d’intégrer l’école des officiers de police de Cannes-Ecluses (Seine-et-Marne).
Parmi les autres élèves de l’école, un ancien négociateur de la BRI, l’unité d’intervention de la préfecture de police de Paris, qui lui donne l’envie de postuler.
10 candidats retenus sur 40 dossiers
Au total, dix candidats, issus de la sécurité publique, de la police judiciaire ou des services de renseignements ont été retenus sur une quarantaine de dossiers.
Mises en situation, exercices de tirs, tests psychologiques et de mémorisation sous pression: les épreuves s’enchaînent pendant quatre jours.
Parmi les postulants, sept femmes. Un chiffre “exceptionnel”, souligne le commandant Olivier, chef de la cellule négociation.
“C’est un profil qui nous intéresse, avec une autre sensibilité, d’autant plus que nous avons eu en 2021 neuf crises avec des femmes, contre une seule ou aucune les années précédentes”, ajoute-t-il.
1 seule femme
Actuellement, le Raid ne compte qu’une seule femme dans ses rangs, recrutée en 2021, sur les 76 négociateurs répartis dans la cellule nationale et les treize antennes de l’unité en métropole et en outremer.
Chaque année, la cellule nationale mène vingt à trente négociations en moyenne et sert de “base arrière” pour une centaine d’autres gérées par les antennes.
Marie (prénom modifié), en poste à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) depuis une dizaine d’années, pense à la négociation “depuis longtemps”, attirée par l’idée “d’aider sans être dans la coercition”.
Lors d’un exercice, elle fait face à Sophie, une policière qui joue le rôle d’une femme suicidaire perchée dans une cabane et qui menace de mettre fin à ses jours.
Elle tente de nouer une relation de confiance à partir de bribes d’informations données par l’examinateur quelques minutes auparavant, évoque ses parents, sa soeur, son chien “Titou”…
“C’était pas évident!”, réagit après coup la candidate. “J’avais peur d’être trop directe, d’activer quelque chose de négatif en elle en verbalisant ces sujets”.
“On teste des aptitudes spontanées d’empathie, d’argumentation. Les candidats partent de rien, sans formation”, explique Thomas, le psychologue du Raid.
Le soir, toutes les prestations sont passées au crible: ton de voix, basculement du vouvoiement au tutoiement, gestion du stress, capacité à écouter, rebondir et ne pas subir l’échange…
Les commentaires sur chaque candidat s’enchaînent, parfois encourageants (“bonne marge de progression”, “voix rassurante”) et souvent sévères (“dialogue de sourds”, “ton trop directif”).
A l’issue de la semaine, seul un ou deux, maximum, pourront espérer intégrer le prestigieux service.
Un recrutement hyper sélectif mais nécessaire selon Cyril, du Raid de Marseille. “Ce sont des gens avec qui tu vas bosser ensuite pendant des années sur des situations potentiellement graves. On ne peut pas se tromper”.
par Alexandre HIELARD
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