Dans le quartier, la plupart des habitants n’ont rien vu et rien entendu. Ce lundi à 6 heures, beaucoup n’étaient pas encore sortis de chez eux lorsque 180 policiers ont discrètement débarqué dans le quartier de Créteil Montmesly et Bleuets, après six mois d’enquête, pour interpeller une trentaine de membres d’une florissante PMI de la drogue tenue par cinq frères.
“C’est étonnant ! En principe tout se sait tout de suite dans le quartier“, s’étonne la pharmacienne dans l’Allée des commerces du Montmesly, absolument “pas au courant”. “Moi je ne l’ai appris qu’hier soir, quand les gens qui partent travailler tôt sont rentrés du boulot. Mais c’est pas encore sur les réseaux sociaux”, commente le marchand de pizzas voisin.
Après six mois d’enquête par la Bac territoriale, la Sûreté territoriale et le commissariat de Créteil en lien avec le Parquet de Créteil, les forces de l’ordre l’ont joué discrète ce lundi pour éviter de tout faire capoter. “On s’est retrouvé pour un brief à 5 heures du matin et on a débarqué à 6 heures pétantes”, raconte Sébastien Durand, directeur territorial de la sécurité de proximité du Val-de-Marne. Pour mettre 180 policiers dans la rue, toutes les équipes ont été réquisitionnées. “On a même demandé à des policiers des bureaux de participer”, poursuit le patron de la police du 94.
Le détail qui cloche
En mai dernier, c’est en patrouillant dans le quartier que des policiers de la Bac territoriale avaient repéré une voiture dont la plaque d’immatriculation ne collait pas avec la vignette d’assurance. Un petit détail qui leur a donné envie de vérifier l’identité du propriétaire, puis de pister la voiture et établir qu’elle faisait régulièrement des allers-retours avec les pays frontaliers du nord pour ramener de la marchandise dans le fief cristolien. En surveillant de plus près, les policiers repèrent le même manège pour d’autres véhicules.
C’est qu’il faut fournir. Dans le quartier Montmesly, Bleuets, Kennedy, ce-sont deux points de deal et quatre lieux de vente qui sont arrosés et réalisent chacun “entre 30 et 50 ventes par jour” selon la police. Au menu : cannabis ou cocaïne.
Une fratrie qui a réussi
A la tête de ce réseau présumé : cinq frères, âgés de 24 à 30 ans, tous nés à Montmesly ou à proximité. Une fratrie qui a trouvé son modèle économique, s’approvisionnant directement outre-quiévrain, et faisant tourner l’affaire avec d’autres gars du quartier.
“Pour mener l’enquête, nous avons concentré beaucoup de moyens en peu de temps, et nous sommes appuyés sur trois techniques : le renseignement, la surveillance et le patrimoine”, précise le procureur de Créteil, Stéphane Hardouin, qui donnait une conférence de presse ce mardi pour évoquer ce coup de filet d’ampleur.
Ce lundi matin, lors de l’opération policière qui s’est déroulée de 6 heures à midi, ce-sont 30 personnes qui ont été interpellées et placées en garde à vue. “Des revendeurs, gérants de point de deal, bras droit, nourrices, chefs de filière et aussi quelques clients”, détaille le procureur, tous des “locaux de l’étape.”
Au cours des perquisitions, les policiers découvrent 75 100 euros en cash, 87 kg de résine de cannabis, 9 kg d’herbe de cannabis, 81 grammes de cocaïne, mais aussi un fusil à pompe, un pistolet automatique, un presse hydraulique pour conditionner la drogue et encore 50 sachets d’un kilogramme pour dégrossir les stocks.
“des troubles qui pourrissent la vie des citoyens”
Des preuves qui viennent illustrer la conclusion de l’enquête mais n’en sont pas le point de départ ni l’objectif, insiste le procureur. “Nous menons bien sûr des opérations de surface de temps en temps mais il s’agit là d’une enquête de longue durée, qui est partie des troubles qui pourrissent la vie des citoyens avec notamment les règlements de compte. Il est extrêmement important de partir du sentiment des habitants et il faut absolument combiner l’approche enquête et sécurisation des lieux“, développe Stéphane Hardouin, qui rappelle que ses deux priorités dans le département sont la lutte contre le trafic de stups et les violences intrafamiliales. “Nous partons toujours d’une situation dégradée”, abonde Sébastien Durand, pour qui l’enjeu n’est pas ici de régler “le problème mondial du trafic de stupéfiants” mais d’avoir “un impact réel, significatif et durable sur le quartier”.
32 points de deal démantelés depuis 3 ans
Au-delà de l’affaire cristolienne, le démantèlement de ce réseau s’inscrit dans le cadre d’un plan national de lutte contre les stupéfiants. “C’est le 32ème réseau que l’on démantèle depuis trois ans”, détaille le chef de la police. “Nous travaillons en bureau des enquêtes”, détaille le procureur qui ne souhaite pas en revanche préciser le nombre d’enquêtes en cours. “En général, les points de deal ne se reconstituent pas et nous sommes passés de 83 à 54 dans le département depuis 18 mois”, chiffre Sébastien Durand.
Trafic ordinaire allée des commerces
Allée des commerces ce mardi après-midi, ça continue à traficoter quand même un peu. Devant l’un des nombreux étals fermés de la venelle, un gamin qui n’a pas la vingtaine regarde furtivement autour de lui avant de se hisser sur la pointe des pieds pour glisser un sachet dans le auvent qui prolonge les devantures. Un peu plus loin, deux personnes font affaire sans se cacher ni susciter la gêne des groupes qui discutent devant la médiathèque de l’Abbaye, non plus que des gamins qui jouent au foot. “Aujourd’hui, c’est monsieur et madame tout le monde qui vient acheter du cannabis pour se détendre. Il y a même des mères de famille, note le marchand de pizzas en découpant ses parts. Alors qu’est-ce que vous voulez faire ? Et puis, les gamins du quartier qui vendent, c’est même pas des méchants. Ils font cela un temps et passent souvent à autre chose parce que c’est quand même risqué. D’ailleurs, ils ont du mal à recruter ces derniers temps, et font venir des gens de plus loin.” Pour le restaurateur encore, les points de deal cristoliens restent d’une taille modérée. “Vous allez dans le 93 ou à Paris il y a des points de deal avec des gens qui font la queue ! Ca ça me choquera toujours!”
“Service après-vente”
Côté police, on est bien conscient que la nature a horreur du vide. “Après un démantèlement, on sature l’espace pendant plusieurs semaines avec utilisation intensive de l’amende forfaitaire”, prévient le patron de la police qui entend bien assurer “le service après-vente”.
Les 30 personnes interpellées, âgées de 17 à 43 ans, sont toujours en garde à vue. Une information judiciaire devrait être ouverte d’ici à la fin de la semaine et plusieurs chefs d’accusation sont d’ores et déjà évoqués : trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs en vue de commettre un délit passible de plus de dix ans d’emprisonnement, provocation au trafic, détention d’armes de catégorie B….
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.