Comme son père et son grand-père, Ludovic Cavrot vend des fruits et légumes au Marché d’Intérêt National (MIN) de Rungis. Une reproduction du schéma familial qui n’allait pourtant pas de soi, pour celui qui a démarré comme coiffeur sur les plateaux TV. Rencontre.
Dans la cohue du pavillon des fruits et légumes du marché de Rungis, Ludovic Cavrot est comme un poisson dans l’eau. Ou plutôt, comme une abeille dans un verger. Béret sur la tête, l’air affable et espiègle, “Ludo” s’interrompt souvent pour saluer collègues et amis. Conformément à sa dégaine de pur titi parisien, il ne prend pas de pincettes : avec lui, on s’appelle “ma poule” ou “mon loulou“. Seize ans maintenant qu’il vend fruits et légumes aux restaurants et primeurs venus de toute la région parisienne – et parfois même de plus loin, comme ce client venu de Creil, qui examine ses citrons avec circonspection.
“Tu peux dire à un client qu’il te casse les couilles sans problème, il reviendra quand même !“
“J’aime bien l’ambiance de Rungis. C’est très masculin, mais c’est quand même sympa. Ici, il n’y a pas de chichis : tu peux dire à un client qu’il te casse les couilles sans problème, il reviendra quand même ! Parce que malgré tout, le contact humain reste hyper important, il faut bien connaître ses clients. Par exemple, en cas de pénurie de certains produits, j’en mets de côté pour mes habitués. C’est une petite attention qui renforce la confiance.” Un univers qui contraste nettement avec son ancienne vie de coiffeur sur les plateaux TV et leur “ambiance plus “Bonjour madame, bonjour monsieur”.
Fruits de luxe
Pourquoi un tel virage professionnel ? “Je faisais beaucoup d’heures et pas beaucoup d’oseille”, répond Ludo sans détour. D’un salaire avoisinant les 2000€ par mois, il passe à 3000€ en entrant chez Besson et Alapont, son premier employeur au MIN. Il enchaînera ensuite les postes chez divers grossistes, avant d’atterrir il y a deux ans chez “G…Rungis”, chargé du lancement d’une gamme de “fruits de luxe”. Le tout à quelques mètres du stand de Riviera, entreprise dirigée par Patrick Fabre, son beau-père qu’il appelle père. Jusqu’ici, rien de surprenant : travailler au Min de Rungis, c’est souvent une affaire de famille. Papa lui-même est fils d’un primeur des Halles de Paris.
Mais chez les Fabre-Cavrot, le passage de relais est moins évident. Même après plusieurs étés travaillés à Rungis, “pour voir ce que c’est de se lever tôt”. “Mon père ne m’a pas encouragé à rentrer dans le milieu, il m’en a limite écarté !”, se rappelle Ludo. Le papa, quant à lui, temporise : “C’était surtout sa maman qui n’était pas trop pour.” Reste que quand Ludo cherche une place à Rungis, ce n’est pas à Riviera qu’il la trouve. “À l’époque, il n’y avait pas de place pour qu’il évolue chez moi. J’avais déjà une équipe, que je ne voulais pas changer. Une équipe, c’est long et dur à former. Je lui ai dit d’aller apprendre le métier ailleurs, de faire ses classes”, reconnaît Patrick, qui reste “fier” que son fils ait choisi la même voie que lui.
“Si j’étais resté coiffeur, j’aurais pas autant vu mes gosses !”
Avant que son fils ne rejoigne le métier, le patriarche concède malgré tout avoir fait “une seule mise en garde” : travailler à Rungis, c’est un mode de vie. “Mon père ne m’a pas vu grandir, et moi-même je n’ai pas vu grandir mes enfants. J‘ai passé 45 ans à me réveiller à 2h du matin pour aller au boulot“, explique Patrick, désormais retraité, mais encore en activité. Un risque dont Ludo est bien conscient, pour l’avoir vécu lui aussi. “On n’a manqué de rien, sauf de la présence d’un père”, commente-t-il sobrement. La phrase est dite sans amertume, mais la leçon est apprise : lui fait tout pour passer du temps avec ses deux fils de sept et neuf ans. “Maintenant, ma priorité, c’est la vie de famille !”
Un emploi du temps millimétré
Dans le MIN, où les ruptures amoureuses à cause des horaires décalés ne sont pas rares, Ludo aime à se voir comme une exception. Pour profiter de sa famille, le quadra suit un emploi du temps quadrillé. Réveil à 2h, prise de poste à 3h, fin de journée vers 12-13h – “et encore, je suis de ceux qui partent tôt” –, un repas, une douche, une sieste – “de 1h30, j’arrive pas à faire plus” -, et le voilà sur pied pour faire la sortie de l’école. Pas de quoi regretter son ancienne vie, donc : “Si j’étais resté coiffeur, j’aurais pas autant vu mes gosses !”. De là à souhaiter ses enfants la même voie que lui ? “J’aimerais qu’ils fassent autre chose. Après, on verra bien…”
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