Dans le Val-de-Marne, c’est généralement par l’aéroport d’Orly que la cocaïne en provenance d’Amérique du sud transite, transportée dans l’estomac des passagers. Cette semaine, c’est un trafic par voie maritime, dont la destination finale était la ville de Thiais, qui a été démantelé, au terme d’une enquête démarrée par une banale affaire d’escroquerie au chômage partiel pendant le confinement.
A partir de cette arnaque qui porte sur un montant de 100 000 euros, les services des finances publiques du département repèrent alors une société fantôme qui prétend avoir 142 salariés, avec un gérant basé à Nice. Le dossier est transmis au service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) qui dépend du ministère des Finances. Nouvelle découverte : le gérant est fictif. Son identité a été usurpée. La société est par ailleurs reliée à d’autres entreprises. “Une vraie toile d’araignée. On repère des mouvements financiers et d’importations de marchandises qu’on ne comprend pas. Tantôt ce sont des poissons, tantôt du tabac, tantôt du sucre”, se souvient Christophe Perruaux, le directeur SEJF.
Rapidement, les enquêteurs suspectent un trafic de drogue et de blanchiment et poursuivent les investigations aux côtés de la Junalco (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) et de l’Ofast, l’office spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue. Une coopération qui porte ses fruits et sait se saisir d’un renseignement des Américains sur une cargaison de 22 tonnes de sucre mélangé à de la cocaïne devant quitter le port de Carthagène (Colombie) en direction de la France.
La cargaison sera suivie de bout en bout de Colombie au Havre jusqu’à Thiais, en passant par un port rebond de République dominicaine. Selon Le Monde, “un huitième de la cargaison totale a été contaminé, dans des proportions variant de 3% à 15%”.
Les nouveaux labos de la cocaïne en Europe
C’est à Thiais que la drogue doit être traitée en laboratoire pour être séparée du sucre. “Le phénomène des laboratoires existe depuis quelques années en Europe mais surtout en Espagne. C’est tout nouveau en France”, explique Stéphanie Cherbonnier, la directrice de l’Ofast. Mais un laboratoire requiert des chimistes capables de séparer la cocaïne de marchandises contaminées, comme le charbon, des liquides ou du sucre. C’est pourquoi des chimistes colombiens ou mexicains ont commencé à arriver en Europe. Sur la période 2018-2021, 25 laboratoires ont été découverts en Europe dont 11 en Espagne, chiffre la directrice de l’Ofast auprès de l’AFP.
Coopération nationale et internationale sans faille
“Face à des organisations criminelles inventives qui savent mettre à mal les contrôles, il faut parler à ses partenaires, le partage du renseignement est important”, insiste-t-elle “le croisement des informations est payant comme l’a montré ce dossier”. Pour démanteler ce petit morceau de la toile d’araignée, tous les services ont bossé ensemble, se félicitent leurs responsables respectifs. “On a super bien bossé”, “il n’y a pas eu de guerre des polices”, se réjouit le directeur du SEJF, Christophe Perruaux, tandis que Stéphanie Cherbonnier fait état d’une “coordination réussie” en “harmonie”.
Il y a eu “une vraie coordination entre les différentes juridictions” à Nice, avec la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) et au niveau national avec la Junalco, renchérit la procureure de Paris, Laure Beccuau, qui insiste aussi sur “le caractère inédit de la coopération internationale qui s’est déployée dans ce dossier avec la Colombie, Dubaï, l’Espagne et les autorités américaines”. L’ancienne procureure du Val-de-Marne note encore “un déploiement quasi-inespéré, une première”, qui “s’est traduit par des demandes d’entraide européennes et internationales par dizaines” alors qu’il s’agit d’un réseau de trafiquants de “très haut niveau”.
17 interpellations
Depuis la saisie des 22 tonnes de sucre cocaïné le 5 mai dernier, 17 personnes ont été interpellées dont 9 en France, en région parisienne et dans le Sud, 7 en Espagne et 1 à Dubaï. Lundi et mercredi, 6 personnes arrêtées en France ont été mises en examen et placées en détention provisoire, 3 autres ont été remises en liberté sans poursuite, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.
Les 7 interpellés en Espagne sur mandat d’arrêt européen sont des ressortissants colombiens, soupçonnés d’être des chimistes capables de séparer la cocaïne du sucre. La personne interpellée à Dubaï l’a été sur mandat d’arrêt international. Elle est soupçonnée d’être l’organisatrice du trafic.
par Sylvie MALIGORNE
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