Dragon dans le dos, délicate rose sur une épaule, gros 93 sur les doigts… Des motifs inspirés des graffs de street-art aux univers girly, les tatouages se dévoilent en cette période estivale, fruits d’une longue réflexion ou ancrés sur un coup de tête. Rencontres.
Assise à l’ombre près du lac Daumesnil du Bois de Vincennes, Anna est fière de ses tatouages. “Le serpent dans le dos représente ma fille et sa passion pour les boas. C’est un moyen pour moi de me rappeler d’elle tous les jours.” explique la quinquagénaire habitante de Champigny-sur-Marne. “La rose c’est simplement parce que je trouve ça joli, c’est le plus important dans un tatouage je trouve, car on le garde toute sa vie sur la peau.” Si elle a toujours trouvé ça beau sur le corps des autres, Anna a sauté le pas récemment. “Le premier, le serpent, je l’ai fait juste avant le confinement. La rose, elle date d’il y a trois mois.”
“Mes tatouages je n’y pense plus vraiment.” Eduardo, 39 ans dont 20 passés avec le corps ancré, profite lui aussi de l’ombre offerte par les arbres du Bois de Vincennes. “J’étais jeune et j’en avais envie. J’ai commencé par faire l’aigle dans le dos, d’inspiration égyptienne” raconte ce brésilien installé en région parisienne depuis de nombreuses années. “J’ai ensuite fait tatouer la carpe sur mon bras gauche, mais elle s’est un peu abîmée avec le temps et le soleil… Il faudrait que je repasse chez le tatoueur pour le faire réancrer.”
Un nouveau tatouage comme une retouche, c’est un certain nombre de précaution à respecter. “La cicatrisation prend un mois. Pendant un mois, pas de baignade, pas de bain, il faut vérifier que ça ne s’infecte pas. C’est comme si t’avais une plaie ouverte. La cicatrisation, ça fait 30% à 40% du tatouage final. Il y a des trucs graves qui peuvent t’arriver si t’es vraiment un gros dégueulasse”, prévient Goup’s, patron du salon de tatouage Au Love Store, installé dans un pavillon de Montreuil, qui vient de se faire un “night-life” sur le bras lors de ses vacances à Marseille.
“J’associe un peu ça au graff : on écrit sur des endroits qui ne sont pas faits pour.”
Quentin, 26 ans, est un habitué du Love Store. il a plus d’une cinquantaine de motifs sur le corps, et tatoue parfois lui-même sans être professionnel. Aujourd’hui, il est venu voir ses potes et a décidé de s’en offrir un autre sur un coup de tête : un “93” sur les doigts de sa main gauche. Il en est encore aux contours. “Comme tous mes tatouages, ça se fait sur un coup de tête. En me levant aujourd’hui, je ne savais pas que j’allais me faire tatouer. Pour moi, mes tatouages ne représentent rien, c’est juste quelque chose de joli. Moi je fais du graff, et j’associe un peu ça au graff : on écrit sur des endroits qui ne sont pas faits pour.”
Auriane, 26 ans et 7 tatouages en 6 ans ne prévoit pas non plus ses rendez-vous chez le tatoueur. “Je les ai tous fait sur un coup de tête, mais il faut que l’occasion s’y prête.” Le dernier en date, une pièce réalisée par un tatoueur mauricien “dans une soirée de dingue ! Je me suis dit que c’était un beau souvenir que de se faire tatouer à ce moment là.” Au total, ses tatouages lui ont coûté 400€, “c’est vraiment pas cher !” s’enthousiasme la jeune femme.
Salomé, 25 ans, est tatoueuse permanente au Love Store depuis un an. Avec plus d’une cinquantaine de tatouages sur le corps, elle n’en est pas à son coup d’essai et est en train de tatouer Jui, 20 ans, qui vient pour ses premiers tatouages : un papillon dans le cou, une nuée de papillons sur les poignets et un “333” sur la main, symbole d’une période décisive pour le développement de soi en numérologie. “Ça signifie que tu es sur le bon chemin” explique Jui. Les papillons sont quant à eux des dessins qu’elle a repérés sur le site Pinterest.
“Pour les parents, ça peut représenter quelque chose de malsain”
Si les tatouages sont largement répandus dans la population, qui concernaient déjà un cinquième de la population en 2018 selon un sondage Ifop réalisé pour La Croix, la question de les montrer en toutes circonstances continue pourtant de se poser. “Pour certains emplois, tu peux t’en foutre. Mais il faut garder en tête que les gens le voient”, estime Raphaël, 26 ans, qui vient de passer un entretien pour être serveur dans un bar branché, et n’a pas caché ses tatouages. Pour autant, ce grand brun ne veut pas non plus divulguer ses motifs à n’importe qui. Diplômé en design d’objets aux Beaux-Arts de Saint-Étienne, il a par exemple gardé des manches longues lorsqu’il est passé devant son jury de fin d’année il y a quelques semaines. “Pour les parents, ça peut représenter quelque chose de malsain. Mais c’est en train de se démocratiser. Dans dix ans, ça ne fera plus grand-chose”, confie-t-il.
“À partir du moment où tu te fais tatouer, c’est de la com“
En pause cigarette à l’extérieur du salon de tatouage Fatalitas, à deux pas de la mairie de Montreuil, Dreck2000, 33 ans, dont 13 derrière une table de tatouage, a lui du mal à saisir les tatoués qui veulent se faire discrets. “La discrétion et les tatouages ne sont pas potes. À partir du moment où tu te fais tatouer, c’est de la com’. Sinon, tu gardes une photo dans ton portefeuille. On a tous des raisons pour se faire nos tatouages, mais on ne peut pas être gênés.” Peut-être les plus gênés sont ceux qui regrettent d’avoir sauté le pas ? “En général, au Fatalitas, on a un petit mois d’attente pour se faire tatouer, donc les gens ont le temps d’y réfléchir. Si tu ne te prévisualises pas avec ton tatouage, c’est qu’il y a un problème. De toute manière, on ne prend jamais les commandes des gens sans en parler un minimum avec eux. J’ai l’exemple d’une dame qui avait perdu sa fille et qui voulait se tatouer son nom sur la main. Je lui ai demandé si elle voulait vraiment voir ça tous les jours pour le reste de sa vie. Elle a dit qu’elle allait y réfléchir, je ne l’ai pas revue.”
“Regretter, c’est con. Ceux qui regrettent au final, ce sont ceux qui ont fait des tatouages très esthétiques, car à 60 ans ce sera moche. Alors que celui qui s’est fait tatouer une canette de bière, c’était déjà moche avant !”, tranche Joss, 43 ans, bras et mains tatoués, croisé dans un bar voisin du Fatalitas, tout en reconnaissant que les dessins qui peuplent son corps ne sont pas tous réussis. “Mon pire, c’était le premier, un Mr. Jack [le personnage du film de Tim Burton, NDLR] complètement raté dans le dos. Le tatoueur n’était pas en état, moi non plus”, préfère s’en amuser ce cuisinier de profession.
“Mon premier tatouage est complètement dégueulasse, je l’ai fait dans un squat”, confie aussi Salomé en pointant un œuf au plat un peu raté sur son genou. “Pareil pour un autre tatouage que j’ai fait entre les seins, je l’ai fait faire par quelqu’un qui n’était pas pro et c’était raté. Mais ce qu’il faut savoir c’est qu’aucun tatouage n’est irrattrapable !”
Propos recueillis par Simon Guichard et Raphaël Bernard
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