Histoire | | 26/03/2022
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Dernières lettres avant les camps de la mort: exposition au mémorial de Drancy

Dernières lettres avant les camps de la mort: exposition au mémorial de Drancy © Mémorial de la Shoah Coll Régine Betts

A partir de 1942, le camp de Drancy, installé Cité de la Muette, devient une véritable plaque tournante des déportations de juifs vers les camps d’extermination nazis. Jusqu’au 22 décembre 2022, le Mémorial de la Shoah de Drancy consacre une exposition aux lettres écrites dans l’urgence par les déportés.

“Ma chère Antoinette, je te préviens que demain lundi matin je quitte Drancy et je pars pour une destination inconnue”, commence un dénommé Georges Benedikt le 13 septembre 1942, d’une écriture finement penchée. Interné à Drancy (Seine-Saint-Denis) un an auparavant, il mourra à Auschwitz.

Quelque 200 missives collectées auprès des familles de victimes forment l’exposition “C’est demain que nous partons. Lettres d’internés du Vel d’Hiv à Auschwitz”.

Son ouverture au public, du 27 mars au 22 décembre, coïncide avec le 80e anniversaire du premier convoi de déportation de juifs de France, parti de Drancy pour Auschwitz le 27 mars 1942, avec une halte à Compiègne (Oise). Suivra la rafle du Vel d’Hiv en juillet.

Informations pratiques sur l’exposition

“un dernier au revoir, un adieu, et des recommandations

Ces lettres manuscrites représentent l’unique lien des internés avec le monde d’extérieur. Sur une carte petit format, en lignes serrées sur une feuille ou griffonnées au verso d’une couverture de livre tant le papier est rare, les mots se pressent pour dire l’angoisse, l’urgence, le désespoir et le déchirement des cœurs séparés.

“La plupart des lettres, c’est un dernier au revoir, un adieu, et des recommandations”, résume Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah de Drancy, co-commissaire de l’exposition aux côtés de l’historien Tal Bruttmann.

“L’écriture est essentielle pour la survie des internés, pour donner des nouvelles et en recevoir, et pour recevoir des colis” pour tenter de parer au dénuement, explique-t-elle. L’internement a eu lieu en zones libre comme occupée, et les détenus y passent parfois des années. 

Pour échapper aux bureaux de la censure, qui caviardent des passages, demandent à écrire “plus gros la prochaine fois” sous peine d’interdiction, un circuit clandestin existe. Mais alors il faut payer les gendarmes, qui pratiquent l’inflation.

“Je vous fais parvenir aujourd’hui ma 21e lettre et peut-être la dernière, pour deux raisons, la première c’est que je n’ai plus d’argent, car les lettres coûtent aujourd’hui 150 francs (…) et deuxième raison c’est que l’on attend la déportation d’un jour à l’autre”, explique en 1944 un interné à Drancy.

Jusqu’à la fin dans les convois vers l’Est, écrire est un impératif. Surtout, ne pas oublier ceux et celles qu’on aime. 

dans quelques jours nous sommes morts

“Ma Chérie, partie ce matin direction Est je (…) vous envoie à vous et tous les êtres chers que j’ai quittés mes meilleurs baisers. Adieu ! Au revoir peut-être”, écrit à la hâte une femme qui a jeté sa lettre du train et ne reviendra jamais d’Auschwitz.

Certains tentent de rassurer les proches comme pour se rassurer soi-même. “Ma petite Maman je pars et j’ai un  moral de fer”, assure Jacques Dreyfus à sa mère, avant d’être déporté.

“Attention ! On nous a trompé et menti (…) Écrivez à Vittel que dans quelques jours nous sommes morts”, prévient un homme qui a balancé son billet griffonné du wagon, sans savoir s’il parviendrait à son destinataire. Des cheminots ou des anonymes ont parfois permis de les acheminer à bon port. 

“n’envoyer ni colis ni correspondance”

A de rares exceptions, la quasi-totalité des auteurs ont disparu. Aux proches sans nouvelles, à l’affût d’un signe de vie, les autorités françaises renvoient la même formule. “Partant pour une destination inconnue, n’envoyer ni colis ni correspondance”.

Si éloignées des communications actuelles par écrans interposés, ces “bonnes veilles lettres” sont “un trésor”, s’émeut Karen Taieb. Entre les lignes, se devinent les mains qui les ont touchées pour écrire des récits personnels. L’exposition en fait une grande polyphonie.

par Fanny LATTACH

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