Le portrait bleu et jaune d’une fillette ukrainienne qui s’affiche en grand sur une façade du 13e arrondissement de Paris est le “message universel” contre la guerre du street artiste engagé Christian Guémy, alias C215.
“C’est un portrait d’enfant qui nous interpelle sur le drame humanitaire en cours en Ukraine et sur la responsabilité des politiques. C’est un message universel. En noir et blanc, il parlerait d’autres conflits”, explique l’artiste de 48 ans dans son atelier-studio d’Ivry-sur-Seine, rempli de pochoirs et de bombes de couleur, à quelques encablures de sa fresque.
Sous le visage enfantin, il a ajouté “une citation du président ukrainien Volodymyr Zelensky”, encourageant les personnels administratifs à ne pas accrocher sa photo officielle dans leurs bureaux “mais plutôt celles de leurs enfants”.
Il condamne autant “Vladimir Poutine qui a envahi l’Ukraine” que “les interventions américaine en Irak ou française en Libye“, évoquant aussi le drame des “enfants” syriens, kosovars ou rwandais, dont il a réalisé des portraits qui le hantent.
Appuyé contre un placard, celui de Nelson Mandela regarde le frigidaire. Dans la pièce attenante, le visage de Jean-Michel Basquiat saute aux yeux. Sur les murs: un tableau baroque et des œuvres colorées de ceux qu’il admire, “mon univers”, commente l’artiste, adepte du Caravage et de l’écrivain Charles Péguy.
Depuis 2006, ses œuvres taguées jalonnent l’espace public, “peut-être trop simplistes pour les élites mais suffisamment évidentes pour un public très large y compris dans les couches populaires”, juge-t-il.
“Je parle de gens exceptionnels dans des circonstances exceptionnelles parfois, mais je ne suis pas Simone Veil, Yoda (Star Wars), Gisèle Halimi: je suis un pauvre type”, ajoute-t-il.
Né à Bondy (Seine-Saint-Denis) en 1973 dans un “milieu très populaire, déconnecté de la culture”, il étudie “comme un dingue” sans faire les Beaux-Arts.
Enfant, le dessin “l’amuse”, sans plus. Il grandit “dans le milieu de la nuit, la violence, la drogue, l’alcool”, auprès de grand-parents qu’il croit être ses parents, et d’une mère qu’on lui présente comme sa sœur, enceinte à 13 ans. Elle s’est suicidée lorsque lui en avait cinq.
Polyglotte, il travaille dans l’export (mobilier de luxe) et comme historien pour les Compagnons du devoir.
Après une rupture avec la mère de son premier enfant, il “quitte tout pour taguer”, sans aucune idée du succès qui l’attend au coin de la rue.
“J’ai commencé à peindre au pochoir le portrait de ma fille autour de chez elle pour lui signaler ma présence” et “canaliser ma dépression”, en travaillant “petit, avec précision, rapidité, au scalpel”: il découpe les traits des visages à même le carton, sans dessin préalable, avant de pulvériser la peinture pour les faire apparaître.
Surgissent alors d’autres portraits, “des anonymes et des justes, des gens en général qui ont fait un peu plus que ce que la vie attendait d’eux”, se souvient-il.
En 2008, il collabore avec le célèbre street artiste britannique Banksy, participe à son film “Exit Through the Gift Shop”, et à un livre, avant de s’en éloigner, se sentant “trop Français, trop tragique”.
Ce “coup de projecteur extraordinaire” le propulse à l’international. Il voyage, expose, publie et reçoit des commandes. En 2013, Ubisoft le recrute pour des jeux vidéo, “un tournant“, dit-il.
Il se tourne vers des œuvres “à caractère citoyen et mémoriel”, rend hommage aux grandes personnalités du Panthéon, aux collaborateurs de Charlie Hebdo assassinés en janvier 2015 ainsi qu’aux grands résistants pour le musée des Invalides.
Depuis huit ans, il intervient bénévolement dans les prisons où il “parle d’engagement”, et c’est ce qu’il voudrait “qu’on retienne” de lui.
par Sandra BIFFOT-LACUT
Lire aussi :
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.