Élection de Lula : une soirée avec les Brésiliens de France à Paris

17h. Cette fois-ci, les portes sombres du centre La Rochefoucauld (Paris IXe) ferment pile à l’heure prévue. Les retardataires ont beau plaider leur cause, le personnel du consulat est inflexible. Il y a trois semaines à la même heure, la queue était pourtant encore longue de plus d’un kilomètre. “L’organisation a été meilleure cette fois-ci. Les gens sont aussi venus plus tôt, et savaient déjà vers quelle machine de vote se diriger, ce qui a facilité les choses”, glisse un personnel du consulat.

Rouge contre jaune

Devant le centre, deux groupes bien distincts se toisent. L’un vêtu de rouge, couleur du Parti des Travailleurs de Lula, candidat pour un troisième mandat. L’autre, vêtu de maillots jaunes de la Seleção brésilienne, supporters du président sortant d’extrême-droite Jair Bolsonaro. À la tête du groupe, Elionay, 17 ans. Il y a deux semaines, ce natif de Champigny-sur-Marne a créé un groupe Whatsapp : “União das Patriotas Bolsonaristas” (Union des patriotes bolsonaristes), qui regroupe déjà plus de 200 personnes selon lui. À l’approche du début du décompte, il est “anxieux”, mais aussi énervé. “Tous les Brésiliens de Paris sont des gauchistes !”, s’agace-t-il.

Drapeau brésilien sur l’épaule, le lycéen dresse un inventaire des accomplissements, à ses yeux, du président sortant. Grâce à Bolsonaro, le Brésil serait un des pays avec un des taux d’inflation les plus faibles au monde (avec 8,73% d’inflation, le pays se situe en réalité dans la moyenne mondiale), ou serait le pays ayant le plus vacciné au monde contre le Covid-19 (81,5 % de la population a reçu deux doses, bien loin des 99% des Émirats Arabes Unis). Seule affirmation vérifiée : le taux d’homicides a en effet chuté en 2022. Elionay partage malgré tout un point commun avec les électeurs de Lula : lui aussi a été surpris par les résultats d’il y a trois semaines. “On pensait que Bolsonaro allait passer au premier tour !” regrette-t-il.

Parti à cause de Bolsonaro

Le groupe de bolsonaristes ne tarde pas à se faire interpeller par les électeurs de gauche. “Vous êtes pro-armes !” leur lance agressivement Ricardo, décoré d’un “13” en carton sur le torse, en référence au code à entrer pour voter Lula dans l’urne électronique. Ce menuisier de 32 ans est lui arrivé en France en 2017, anticipant la victoire du candidat d’extrême-droite l’année suivante. “L’armement, la faim, et la libération des comportements racistes : c’est pour ça que je suis parti”, affirme-t-il en portugais. Depuis 5 ans, Ricardo n’est pas retourné voir sa famille à Boa Esperança, petite ville rurale de l’état d’Espirito Santo, au nord de l’État de Rio. “Mais si Lula gagne, je reviens en janvier !”, prévient-il, déjà impatient.

Aux alentours de 19h, les résultats du bureau de vote tombent. Sans surprise, le scrutin tourne largement à l’avantage du leader de gauche. Sur 9000 votes valides, Lula emporte 82,94% des voix, contre 17,06% pour son rival.

Fête électorale

Un début encourageant pour la majorité de gauche, qui continue sa soirée électorale dans un grand bar en plein air de la Porte de la Villette. Dans la queue, la prudence reste de mise : il reste encore plus de trois heures au Brésil pour voter. Au même moment, les médias brésiliens rapportent que la police routière aurait dressé plusieurs barrages pour empêcher les électeurs de Lula de se rendre aux urnes. Ce qui ne rassure pas Ana, 37 ans. “C’est un crime électoral, la police n’a pas le droit de faire ça ! Si les élections étaient plus propres, on serait plus sereins. Tout ça me donne peur”, se lamente cette prof de violon, venue de Bordeaux pour voter.

Malgré la tension autour du scrutin, la soirée est festive. Venus en famille ou entre amis, les Brésiliens de France se restaurent autour de bières et de pastels, dansent et chantent. Aux alentours de 22h20, 20% des votes ont été dépouillés. Bolsonaro mène avec 51,5% des voix, mais Ronaldo reste confiant : “On attend les résultats du Nordeste [région acquise à Lula depuis toujours, ndlr]” explique en souriant Ronaldo, t-shirt Lula sur le torse, drapeau Lula sur les épaules.

Victoire de Lula

À 22h44, des cris de joie retentissent : Lula vient de franchir la barre des 50%. Les chants et les danses redoublent, même si les inquiétudes ne sont pas encore totalement dissipées. “Je suis encore préoccupée, mais un peu moins. On est comme ça au Brésil, on chante et on danse pour aider à faire passer les moments difficiles” raconte Julia, venue du Jura.

À l’intérieur du bar, au dessus de la piste de danse, un écran géant diffuse l’évolution des scores en direct. Les yeux rivés sur les images, les Brésiliens hurlent à chaque centième de pourcentage grapillé par leur champion, faisant le “L” de Lula avec le pouce et l’index. À 23h58, c’est officiel : Luiz Inacio da Silva, dit Lula, est élu président du Brésil avec 50,9% des votes valides. Dans la foule, c’est l’explosion. Au milieu du vacarme, les couples s’embrassent, d’autres pleurent de joie, parfois les deux en même temps. “Je viens du Nordeste, je sais l’importance de cette élection pour mon pays !”, se réjouit Sara, 25 ans, en larmes.

Rapidement, l’émotion laisse place à la fête. Dans le bar, les tubes de Gilberto Gil ou de Grupo Revelação s’enchaînent, la foule se déhanche. À 2h du matin, le bar ferme, mais quelques irréductibles continuent à chanter devant la sortie. Durant quelques instants, Victor redescend : “Le pays est très divisé. Ça va être difficile pour Lula de gouverner, car le Congrès est à droite. Mais ça donne quand même un peu d’espoir, pour l’Amazonie, pour l’éradication de la misère… On y croit. On espère, en tout cas.”