Entre les deux heures de sport théoriquement inscrites dans les emplois du temps des jeunes de Seine-Saint-Denis et le temps d’activité physiquement réellement pratiqué, l’écart se creuse en raison du manque d’équipements sportifs à proximité. A deux ans des jeux olympiques de 2024, les professeurs de sport tapent du poing sur la table et exigent de l’Etat un vrai plan de rattrapage.
C’est un paradoxe: dans le département le plus jeune de France (36% de la population à moins de 25 ans), il n’est pas facile de faire du sport. La Seine-Saint-Denis est même l’un des plus mal dotés de l’hexagone en matière d’installations sportives. Selon le recensement des équipements sportifs (RES), la Seine-Saint-Denis compte 16,2 équipements pour 10 000 habitants contre 49,6 à l’échelle nationale.
Un décalage dénoncé par les professeurs de sport mais aussi les parents, élèves et élus qui étaient une cinquantaine à se réunir ce jeudi 10 février à l’Assemblée nationale, à l’initiative du Syndicat national de l’éducation physique (SNEP) et de la députée communiste Marie-George Buffet.
“2 heures d’EPS par semaine ça n’existe pas”
Pour les élèves, le manque d’installations sportives se traduit directement sur leur parcours scolaire. “Il faut 25 minutes pour se rendre au gymnase. Avec le temps nécessaire pour faire l’appel, les élèves n’ont qu’une heure de pratique sur deux“, dénonce une enseignante d’éducation physique et sportive (EPS) d’un collège du Blanc-Mesnil.
Même constat pour Disoloka Carlos, enseignant à Bagnolet. “Deux heures de sport par semaine, ça n’existe pas! Nous avons en moyenne entre 15 et 20 min de temps de trajet pour nous rendre sur site.” Résultat, “les horaires légaux réels et les programmes d’EPS ne sont pas assurés concrètement alors que les lois imposent depuis 1985 une obligation de résultats aux collectivités sur la construction et la rénovation des installations sportives afin de mettre en œuvre les programmes scolaires“, résume Clara Donadille, co-secrétaire du SNEP-FSU 93.
Plus de 40 ans d’âge
A ce problème logistique s’ajoute la vétusté des infrastructures. Selon le SNEP-FSU, le parc d’installations sportives en Seine-Saint-Denis a en moyenne plus de 40 ans d’âge.
“Ma piste d’athlétisme est une piste cendrée, donc elle ressemble plus à un terrain vague toute l’année“, décrit Disoloka Carlos. Quant à la section sportive de lutte dont il est responsable, les conditions d’entrainement ne sont pas vraiment meilleures: “Il pleut dans ma salle de lutte“, déplore-t-il.
Concurrence entre scolaires, associations et clubs
Face aux manques de moyens, écoles, collèges, lycées, associations et clubs n’ont bien souvent d’autres choix que de se partager les infrastructures disponibles. Un partage qui peut bien souvent virer à la concurrence faute de créneaux disponibles.
Avec 0,45 bassin pour 10 000 habitants, l’enjeu de l’insuffisance de piscines est bien connu dans le département. “De plus en plus sont privatisées. On doit donc louer des lignes d’eau et on n’a pas forcément les moyens de le faire“, indique Lucie Perinelli, enseignante d’EPS à Rosny-sous-Bois. La dotation d’une ligne d’eau pour l’année c’est 1 200 euros pour un groupe de non-nageurs de 12 élèves. Alors, certes, on a une aide du département, mais ça pose problème.”
Ces contraintes pèsent aussi sur les associations sportives que Lucie Perinelli représente au sein du comité départemental de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS): “Énormément d’AS natation sont en difficulté parce qu’elles ne peuvent plus accéder aux piscines.”
Décrochage sportif
Conséquence sur la pratique sportive, le taux de licences en Seine-Saint-Denis est le plus faible de France. Seul un collégien sur trois pratique en club.
“Le décrochage de la pratique physique et sportive a lieu entre le collège et le lycée. Ça touche plus les filles que les garçons et ça touche encore plus les milieux défavorisés“, souligne Hugues Rolan, directeur du département STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) à l’Université Sorbonne Paris Nord.
Cette réalité n’est pas sans effet au plan sanitaire. Selon l’assurance maladie, la prévalence du diabète était ainsi en 2016 de 8,8% en Seine-Saint-Denis, alors qu’elle est située autour de 5% sur le reste de l’hexagone.
Un plan de rattrapage de 6 milliards d’euros
“On est passé à côté de grandes dynamiques: il y avait l’Euro (de football), la coupe du monde de 1998, mais notre jeunesse de Seine-Saint-Denis est souvent restée aux portes des stades. Et je crains qu’on ne le reste (…)”, s’inquiète Tony Laïdi, adjoint au maire de Romainville chargé des sports, à l’approche des jeux olympiques Paris 2024.
C’est justement dans cette perspective que s’inscrit la création du “collectif permanent de défense et de promotion de l’EPS, du sport scolaire et du mouvement sportif en Seine-Saint-Denis.”
“L’héritage des JOP c’est là que se trouve notre fenêtre de tir“, explique Jonathan Alvès, l’un des co-fondateurs du collectif et co-secrétaire du SNEP-FSU 93. “Nous voulons également que des athlètes de haut niveau s’impliquent dans notre collectif. Pour l’instant on s’aperçoit qu’ils ne peuvent pas s’exprimer comme ils le voudraient, mais on ne désespère pas d’y arriver.”
Pour rattraper le retard pris en matière d’infrastructures sportives, le SNEP-FSU revendique d’ailleurs le montant symbolique de 6 milliards d’euros qu’il met en regard du budget prévu par le comité d’organisation des jeux olympiques. “Les jeux c’est 7 milliards, corrige Stéphane Troussel, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. 3,8 milliards d’argent privée pour l’organisation, 3,2 milliards d’argent publique et privée pour les infrastructures de toutes natures. Là encore il y a des réalisations : je ne ferai pas [le centre aquatique de] Marville sans les conditions que j’ai aujourd’hui.“
Impliquer les collectivités
“L’idée du collectif, précise Jonathan Alvès, c’est de réunir à la fois le mouvement sportif, les élus, les députés, les maires, les parents, et les acteurs de l’éducation pour mettre en œuvre des initiatives concrètes.”
Il salue à cet égard la venue de Stéphane Troussel (PS) et d’autres élus du conseil départemental. “Ces discussions remuent beaucoup de choses qui ne sont pas toujours très agréables. Mais sans la participation du département je pense la portée de cette réunion n’aurait pas été la même.”
Lors de cette réunion, trois villes ont manifesté leur soutien et ont adhéré au comité de parrainage: Noisy-le-Sec, Romainville et La Courneuve. La mairie des Lilas, où s’est tenue la première réunion du collectif, en est déjà partie prenante.
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