Leurs témoignages ont été “classés sans suite”. Un livre raconte désormais la suite de leur histoire. Dans “Impunité”, la journaliste Hélène Devynck qui accuse, comme de nombreuses autres femmes, Patrick Poivre d’Arvor de l’avoir violée, développe sa perception de “la construction de l’impunité”.
Dans ce livre, qui paraît vendredi aux éditions du Seuil, Hélène Devynck, 55 ans, raconte à la première personne l’année écoulée dans l’affaire “PPDA”, l’une des plus emblématiques du mouvement MeToo en France.
La journaliste et scénariste y écrit son histoire, mais aussi celle d’autres plaignantes, ayant accusé l’ex-présentateur vedette de TF1 de viols, d’agressions sexuelles et/ou de harcèlement sexuel.
Un livre qui a fait bondir la défense de M. Poivre d’Arvor, présumé innocent. Mme Devynck “en répondra devant un juge, à l’instar de toutes ces fausses victimes”, a déclaré à l’AFP son avocat Philippe Naepels.
L’autrice, déjà visée par une plainte pour dénonciation calomnieuse après avoir accusé PPDA de l’avoir violée en 1993 quand elle était son assistante à TF1, semblait avoir anticipé cette réaction.
“La menace de la diffamation pèse sur chacun de mes mots”, écrit-elle dans “Impunité”. “Je ne peux pas prouver que Patrick Poivre d’Arvor m’a violée. Je ne le pourrai jamais. Les faits sont prescrits. Ils ne seront jamais jugés”, déplore-t-elle.
Son livre se veut “une lettre, un hommage” aux femmes ayant témoigné, explique-t-elle à l’AFP. Il nourrit aussi une ambition: “montrer l’étoffe dans laquelle se tisse l’impunité”.
L’affaire PPDA éclate en février 2021, quand l’écrivaine Florence Porcel porte plainte pour viols contre Patrick Poivre d’Arvor.
Depuis, ce dernier a fait l’objet de trois enquêtes.
Deux sont en cours à Nanterre (Hauts-de-Seine). Une enquête préliminaire dans laquelle il a été entendu en audition libre en juillet dernier et où au moins sept femmes ont témoigné ; et une information judiciaire portant sur les accusations de viols de Mme Porcel.
Hélène Devynck et 22 autres femmes ont, elles, témoigné lors d’une première enquête, classée sans suite en juin 2021, majoritairement pour prescription.
“Le classement sans suite a démontré la banalité de l’impunité”, estime la plaignante. “On a eu l’impression qu’on nous mettait à la poubelle, comme si on n’avait pas parlé, comme si on n’avait rien fait. J’ai voulu raconter cette histoire”, explique-t-elle à l’AFP.
271 pages sobres où l’autrice donne voix au chapitre à ses “sœurs de misère”: leur “sidération” dans le bureau de PPDA, cette “expérience extrême de l’humiliation” qu’elles décrivent, puis leurs “stratégies” pour vivre l’après. Des récits de solitude, jusqu’à cette année 2021, où elles découvrent être nombreuses à témoigner.
Elles se rencontrent autour d’un dîner. “Pour la première fois, nous étions en sécurité”, se souvient Hélène Devynck.
Cette journaliste et scénariste a grandi à Paris dans une famille bourgeoise, “dans l’illusion que les femmes étaient des hommes comme les autres”, mais se heurte vite à “l’énormité tranquille de la misogynie” du monde audiovisuel, celle qui “prépare nos viols”.
A ses yeux, l’affaire PPDA ne peut se résumer à “un homme”: l’autrice questionne la responsabilité de TF1, et un “système criminel” entretenu par une culture du silence, teintée de complaisance ou d’indifférence.
Une culture soutenue par tout un champ lexical.
“+Viol+ est un sale mot”, écrit-elle. “Il éclabousse d’obscénité autour de lui. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’imaginer qu’il clignote sur mon visage quand un soupçon de gêne s’installe”.
“Prédateur” ? “Le mot me gêne”. “Il évoque les grands fauves, là où je ne vois que la petitesse de la répétition compulsive”. “Je n’ai pas été violée par un animal mais par un homme superbement intégré à la communauté”, accuse-t-elle.
“Consentement” ? “Consentir n’est ni demander ni désirer. C’est accepter une proposition ou même une pression. Le mot lui-même implique une hiérarchie entre celui qui propose et celui qui consent”, analyse-t-elle.
“Victime” ? Le mot “pose déjà, en lui-même des problèmes quasi insolubles”… Mais “en transformant le vocabulaire, on change la vie”, espère-t-elle.
par Clara WRIGHT
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