Installée pour partie dans ce qui fut l’atelier du sculpteur Morice Lipsi, la Maison du conte de Chevilly-Larue fédère des artistes conteurs de tous les horizons, accomplis ou en devenir. Lieu de pratique, de spectacles, de festival, de ressources et de professionnalisation, elle contribue à la vivacité, la réflexion et au rayonnement de cet art populaire. Rencontre.
“C’est un peu une ruche ici !” prévient Isabelle Aucagne, la directrice (photo de une). Même si le lieu est plutôt calme en ce milieu d’après-midi, il faut s’imaginer les silhouettes des conteurs, assis sur leurs minuscules tabourets en bois au beau milieu du jardin, ou plongés dans une lecture silencieuse à la bibliothèque qui compte un millier d’ouvrages relatifs au conte. Il arrive que l’un d’eux entre dans la yourte, suivi d’une trentaine d’enfants qui l’écoutent et l’observent, attentifs aux mots comme aux gestes. “La devise de ma compagnie, c’est de s’adresser à l’enfant dans l’adulte et à l’adulte dans l’enfant” explique Delphine Noly, dont la Compagnie de la Tortue s’adresse surtout au jeune public. C’est lors d’un voyage au Sénégal, où elle a fait l’école des arts de Dakar, que la conteuse a eu la vocation. Marquée par “les gens qui ont peu de moyens et se cotisent pour désigner celui qui regarde un film et le raconte aux autres à la sortie”, elle raconte à son tour, dans les écoles, les villages, à la télévision parfois.
Parfois, les conteurs se retrouvent simplement au bar, juste au-dessous de la petite pancarte “Bienvenue à la Maison”, à échanger leurs idées, leurs histoires. Cécile Morelle, originaire de Picardie, se souvient de ses premiers jours : “J’avais fait l’ESAD [École Supérieure d’Art Dramatique, NDR] de Paris, je venais d’un milieu assez homogène, assez jeune. Là, il y a des conteurs et conteuses de 21 ans à plus de 50 ans, ça brasse des âges, des régions, et des répertoires très variés.” A la Maison du conte, on peut se ressourcer entre deux tournées. “Les conteurs sont souvent en tournée. Ils peuvent travailler partout, car le conte est d’une simplicité extrême. En théorie, n’importe qui peut s’asseoir sur une chaise et se dire conteur” résume Isabelle Aucagne. Art oral, le conte peut aussi s’enrichir d’une théâtralisation, et c’est l’un des enjeux de la Maison du conte que d’accompagner les artistes dans leur scénarisation, à l’instar de Delphine Noly qui pratique aussi l’écriture “au plateau”, accompagnant son récit d’une mise en scène théâtrale, dansée, ou accompagnée par la kora, un instrument à corde venu du Mali.
C’est dans les années 1990 que la Maison du conte a vu le jour, à l’initiative de Michel Jolivet, à l’époque directeur du théâtre André Malraux de Chevilly-Larue. Unique en son genre, ce lieu s’inscrivait alors dans le mouvement de l’éducation populaire et du renouveau du conte. Depuis, la Maison s’est étoffée, remise à neuf en 2018 avec une nouvelle salle de spectacle, une bibliothèque, une salle de travail, en faisant un lieu de résidence artistique, de recherche, de spectacles et de formation entièrement dédié au conte, avec même un festival biennal, Le Grand Dire, qui a fêté sa deuxième édition cette année.
Le “Labo”, de la formation à la création
Côté formation, la Maison du conte accompagne les artistes depuis 2003 avec le “Labo”, une séquence de formation sur une année à raison d’une semaine par mois, sous l’impulsion du conteur Abbi Patrix (jusqu’en 2016), pour qui “mélanger les arts n’est pas un problème”, se souvient Delphine Noly, issue de cette promotion inaugurale (2003-2006). Les aspirants conteurs et conteuses passent une audition, et il faut mieux avoir quelques histoires dans ses bagages. “Ayant surtout fait du théâtre, j’avais une image stéréotypée du conte, je l’ai même mis dans ma lettre de motivation ! témoigne entre deux répétitions Cécile Morelle, qui a intégré la cinquième promotion du Labo (2020-2021) dirigée par Rachid Bouali, Annabelle Sergent, et Marien Tillet.
Ci-dessous, l’extrait d’un des derniers spectacles de Cécile Morelle et Julien Tauber (Cie Le Compost) donne à voir la scénarisation de l’histoire.
Les ateliers sont encadrés par des professionnels du conte expérimentés, mais aussi des chorégraphes, danseurs, plasticiens. Delphine Noly se souvient encore de sa rencontre avec le metteur en scène britannique Peter Brook. “Il a demandé à chacun de raconter pourquoi on venait à la Maison. J’ai répondu que, d’un point de vue symbolique, j’avais soif, j’étais asséchée, comme si je remuais ma langue dans la terre pour me regénérer. J’en ai fait une histoire.”
Les artistes sont formés aussi bien au seul en scène qu’à l’écriture au plateau, qui nécessite la présence de toute une équipe, pour assurer le son et la lumière. “On accompagne les artistes pour qu’ils deviennent des “conteurs-entrepreneurs”, ils doivent pouvoir être multi-tâches” soutient Isabelle Aucagne. Une fois leur formation achevée, les conteurs prennent leur envol. “J’y ai préparé un spectacle tout terrain pour aller dans les écoles, produit par la Maison. Ils produisent aussi ceux d’après. C’est très précieux. En même temps, le lieu reste familial, le nom est bien trouvé !” commente Cécile Morelle.
Le “renouveau du conte”
“On invite à se poser la question : qu’est-ce qu’un répertoire ? qu’est-ce qu’une histoire ?” prolonge Pépito Matéo, 73 ans, l’un des plus anciens formateurs, artiste représentatif du mouvement du renouveau du conte. “Avant les années 1980, il y a eu une période où les jeunes n’allaient plus vers la lecture, je crois que la télévision a beaucoup joué là-dessus. En bibliothèque, il fallait leur donner de l’immédiat, pour les inciter à faire des images dans leur tête.” Le mouvement du Renouveau du conte, en s’intéressant sur le rôle des histoires, leur symbolique, lui a donné ses lettres de noblesse, travaillant sur tous ses aspects et en faisant un art du spectacle à part entière.
“On fait des histoires avec plein de niveaux de lectures” confie Delphine Noly, qui s’appuie sur ce principe dans son triptyque Rêve de Pierres/d’Air/de Faire. “Chacun peut y trouver son compte et sa voie, son conte et sa voix. La narration est un outil pour parler aux gamins partout, c’est un art immédiat, proche du rap et du slam, et en même temps lié au passé” reprend Pépito Matéo qui prépare désormais un festival de contes à l’échelle européenne : “On va s’arranger pour que tous les publics comprennent. L’Europe a bien besoin d’une histoire positive!”
En images
Rectificatif : Actualisation des noms de la direction pédagogique du Labo
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