Alors que le nombre de personnes âgées va augmenter massivement en Seine-Saint-Denis, la question de l’adaptation du logement des ménages modestes devient une question préoccupante. Parmi les pistes de réflexion : les quartiers inclusifs et l’habitat partagé.
Depuis ses trois AVC, Maribel ne s’aventure plus seule dans les escaliers. Faute d’ascenseurs, l’octogénaire est coincée dans son logement social à Pantin, un premier étage inadapté qu’elle refuse néanmoins de quitter. “Je n’ai pas envie de changer, je me débrouille comme ça”, s’obstine l’ancienne comptable très attachée à la luminosité de son appartement. Elle y est locataire depuis 1987, et “ne se voit pas” ailleurs.
Pourtant, son cercle d’amis, malades, diminue. La moindre marche est devenue un obstacle pour cette ex-randonneuse, rendant inatteignables les commerces ou la bibliothèque. Même le médecin ne se déplace plus chez elle. Le logement même devient “vraiment compliqué”. Depuis deux ans, la retraitée réclame à son bailleur une barre de maintien dans sa douche. Elle avait également déposé un dossier pour obtenir un logement en rez-de-chaussée, “j’ai renouvelé une fois et puis j’ai oublié de refaire la demande”, dit-elle préférant rester là, et seule comme 2,4 millions des plus de 75 ans en France.
Poussée des seniors
Le cas de Maribel est loin d’être isolé. “On n’a pas forcément l’offre pour répondre aux besoins”, explique Thierry Asselin de l’Union sociale pour l’Habitat. Cette fédération de HLM préconise toutefois à ses membres d‘”anticiper au maximum” la perte d’autonomie, alors que plus de 30% des locataires du parc social ont plus de 60 ans.
La problématique de l’adaptation du logement aux seniors est d’autant plus brûlante en Seine-Saint-Denis que “l’accélération du vieillissement sera particulièrement forte dans le département le plus pauvre de la métropole, un territoire très dense, avec beaucoup de tours, où la précarité fait que les gens vont connaître la perte d’autonomie plus tôt”, souligne Théo Petton, chargé de projets au Conseil départemental.
Quartier inclusif ou habitat partagé
Pour relever les défis du grand âge, cette collectivité suit deux grands axes. Le premier, le “quartier inclusif”, consiste à profiter des opérations de rénovation urbaine pour intégrer la problématique de la perte d’autonomie. Le département a sélectionné une douzaine de quartiers prioritaires et y fait dialoguer bailleurs, sociologues, designers et riverains afin de repenser les quartiers, entre trottoirs plus larges, bancs publics ou espaces de verdure accessibles.
L’autre piste est l’habitat partagé, décliné sous diverses formes, de la collocation au béguinage, ces regroupements d’entraide de femmes créés au XIIe siècle. La Seine-Saint-Denis est l’un des 70 départements -le premier département francilien-, à s’être emparé de l’aide à la vie partagée (AVP) prévue dans la la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Pour 2022, la Caisse nationale de la Solidarité pour l’autonomie a réservé plus de 20 millions d’euros en 2022 pour son déploiement.
“On en est aux prémices. Mais si on veut s’adresser à des seniors potentiellement précaires et isolés, il faut être porteur de projets”, explique M. Petton. Car “quand on a passé toute sa vie dans un logement privatif, ce n’est pas facile de passer à la collocation à 70 ans”.
Le Conseil départemental doit sélectionner d’ici mai 30 porteurs de projets. Parmi les candidats, l’association des Petits Frères des Pauvres souhaite installer dans un immeuble social une douzaine de logements et une salle collective. Les habitants mutualiseraient les services d’une personne à mi-temps chargée d’entretenir cette pièce et de la faire vivre, avec des activités ou les services d’acteurs médicosociaux.
L’idée est de bâtir des “anti-maison de retraite”, avec pour l’instant un objectif assez faible: 103 seniors bénéficiaires des 10 000 euros annuels de l’APV d’ici 2024.
“Si l’on veut vieillir chez soi, il faut peut-être accepter de changer de chez-soi”, estime Laurent Nowik, responsable de l’unité de recherche sur le vieillissement à la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Mais cette mobilité est parfois “très contrainte” pour des retraités aux revenus faibles qui ne peuvent pas non plus se payer les résidences services privées qui se multiplient, surtout sur le littoral.
Dans cette mosaïque d’alternatives naissantes, il faut selon M. Nowik, “une politique des pouvoirs publics pour encourager l’adaptation de l’habitat au vieillissement. Dans le fond, si c’est pour toucher six à huit personnes à chaque fois qu’on fait un habitat inclusif, c’est beaucoup d’argent pour qu’au final, dans 15 ans, ça ne concerne que très peu de monde”.
par Anne Sophie LABADIE
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