Alors que l’un des prévenus fête ses 100 ans, l’importante affaire de corruption de la Chaufferie de La Défense, survenue à la fin des années 1990, avait vu son procès annulé en janvier 2021 en raison de l’âge des protagonistes. La Cour de cassation en a décidé autrement.
La Cour de cassation a rendu mercredi un arrêt très attendu sur la longueur de certaines procédures pénales: pour elle, leur durée, même excessive, n’entache pas les droits de la défense et ne peut justifier l’annulation d’un procès.
Par cette décision, la plus haute juridiction française confirme sa jurisprudence: la durée déraisonnable d’une enquête ou l’audiencement tardif devant un tribunal ouvre le droit aux justiciables de solliciter une réparation financière, mais n’invalide pas la procédure pénale.
La Cour avait été invitée à réexaminer la question le 22 septembre dernier, après l’annulation rarissime en janvier 2021 d’un vaste procès pour corruption.
Le dossier de “la chaufferie de la Défense” avait nécessité près de vingt ans d’enquête avant son renvoi devant un tribunal, et le procès avait été annulé dès le premier jour d’audience devant le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Cinq chefs d’entreprise, accusés d’avoir faussé entre 1999 et 2003 l’attribution du juteux marché du chauffage et de climatisation du quartier d’affaires de La Défense, devaient y comparaître. Mais les magistrats avaient annulé l’intégralité de la procédure, craignant un procès inéquitable.
Sur 29 pages, ils avaient détaillé la chronologie de la procédure et conclu que la complexité de l’affaire ne justifiait pas une telle durée.
En revanche, cette durée les contraignait, selon eux, à juger les prévenus dans des conditions incorrectes, sans confrontation: l’un d’entre eux était presque centenaire, un autre atteint de la maladie de Parkinson… Et le bénéficiaire présumé de la corruption, l’ancien sénateur et maire de Puteaux, Charles Ceccaldi-Raynaud, était décédé.
La cour d’appel de Versailles (Yvelines) avait confirmé cette annulation, au grand dam du parquet général, qui avait demandé à la Cour de cassation de statuer.
Mercredi, cette dernière a censuré leurs décisions d’annulation, renvoyant le dossier devant la cour d’appel.
“Ne pas être jugé dans un délai raisonnable ne porte pas, en soi, atteinte aux droits de la défense”, a estimé la Cour, énumérant “les garanties” dont disposent les parties pour permettre la tenue d’un procès équitable.
Les parties “peuvent influer elles-mêmes sur la durée de la procédure, en demandant que des investigations soient menées ou que l’information judiciaire soit clôturée”, ont ajouté les juges. Elles peuvent aussi bénéficier d’une réparation financière en “engageant la responsabilité de l’Etat au titre d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice”.
La Cour a plutôt incité les magistrats à tenir compte du délai de procédure “sur la valeur des preuves” et “sur le choix de la peine”, en leur rappelant la possibilité, le cas échéant, de prononcer des relaxes ou des dispenses de peines et de ne statuer que sur l’action civile.
“C’est une décision honteuse, de l’hypocrisie incarnée”, s’est indigné Me Olivier Baratelli, qui défend le prévenu le plus âgé, Jean Bonnefont, ancien dirigeant des ex-Charbonnages de France, qui aura 100 ans jeudi.
“C’est un bien triste anniversaire”, note son avocat, fustigeant un “déni d’humanité” de la part de la Cour.
“On va imposer à un procès de se tenir dans des conditions dont on sait qu’elles ne seront pas respectueuses des libertés fondamentales”, a aussi déploré Me Patrice Spinosi, avocat de deux autres prévenus dans l’affaire de la chaufferie.
A ses yeux, la Cour a failli à “entendre le cri d’alarme des juridictions pénales”. “Une nouvelle grille de lecture” aurait “pu être un électrochoc pour pousser à une accélération des procédures”, souligne aussi l’avocat, y voyant une “grande occasion manquée”.
Depuis le cas emblématique de la chaufferie, une demi-douzaine de jugements d’annulation ont été rendus. Presque tous frappés d’appel, ils étaient suspendus à l’arrêt de la Cour.
par Clara WRIGHT
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